Bulletins de l'Ilec

Objectif réduction - Numéro 466

31/07/2017

Le schéma de l’innovation, hier linéaire, repose aujourd’hui sur un mode de développement qui associe la rapidité des jeunes pousses à la puissance des grands groupes. Pour comprimer la durée nécessaire aux processus innovants. Entretien avec Rachel Milutinovic, ex-directrice mareketing de Tropicana Global

Qui de la demande finale ou de l’état de la concurrence affecte le plus la dimension temporelle de l’innovation ?

Rachel Milutinovic : La concurrence, de plus en plus vive et active, conduit les grands groupes, particulièrement ceux de l’univers des produits de grande consommation, à être confrontés à des start-up qui elles aussi innovent, mais beaucoup plus vite qu’eux, à qui il faut entre deux et trois ans pour conduire une innovation. Incidemment, on constate que l’accélération de l’innovation et le raccourcissement des délais peuvent inciter certains opérateurs à pratiquer de préférence des extensions de gammes, au détriment de véritables innovations de rupture.

Les différentes temporalités engagées dans l’innovation – temps des études, de la recherche, du réglementaire et du juridique, temps du design industriel, temps de la négociation commerciale avec la distribution, du référencement, de la communication… , sont-elles toujours linéaires ou parfois conduites en même temps ?

R. M. : C’est une question de procédures. Dans un schéma traditionnel, celui encore dominant dans les grands groupes, la procédure est linéaire, car chaque étape doit être validée avant que soit ouverte la suivante. L’étape première concerne l’identification du besoin, la création d’un concept, ensuite validé auprès des consommateurs et assorti d’une estimation de chiffre d’affaires. Vient ensuite l’étape du développement du prototype, etc.

Il faut donc compter entre dix-huit mois et trois ans pour lancer une innovation. Les start-up, elles, pratiquent une forme de développement parallèle, selon une méthode d’expérience-apprentissage continue : elles allègent chacune des phases, elles ont une relation à la prise de risque totalement différente. Alors que les grands groupes attendent une innovation totalement parfaite, l’approche jeune pousse consiste à lancer un produit acceptable et à l’améliorer de manière itérative, en prenant en considération les avis des consommateurs.

Dans un cas, celui des grands groupes, l’innovation est potentiellement parfaite mais arrive souvent trop tard. Dans les cas des start-up, un produit valable a minima est modifié au fil du temps. Aujourd’hui, les grands groupes font évoluer leurs approches : de plus en plus, le processus et les critères de l’innovation à fort potentiel évoluent, selon le principe « penser grand, commencer modeste mais avancer vite ».

Quelles sont les temporalités les moins souples (durée incompressible, périodisation rigide…) ?

R. M. : L’étape qui demeure la moins souple est celle du développement du produit, au regard de celles, plus rapides, de l’idée et de sa validation auprès des consommateurs. Toutefois, des entreprises ont émergé autour d’une nouvelle offre de service consistant à proposer à de grands groupes de fabriquer des prototypes de produits, des séries limitées, et d’en externaliser la production. Les grands groupes peuvent ainsi proposer sur le marché des produits qui peuvent encore être modifiés ; dans un deuxième temps, ils ont la possibilité d’internaliser la production. Cette façon de procéder permet de comprimer le temps nécessaire au développement, très long, et de gagner en souplesse pour répondre aux attentes des consommateurs.

Ajoutons à cela une façon de procéder encore peu développée, mais prometteuse sur le plan de l’innovation : l’innovation ouverte. Pour bon nombre de grands groupes, l’innovation doit demeurer confidentielle, sans partage ni collaboration. Le développement de pépinières et d’incubateurs change peu à peu les comportements, vers une approche plus collaborative. Une question demeure toutefois qui freine les initiatives : celle de la propriété intellectuelle de l’innovation.

Les réseaux sociaux ont-ils conduit les entreprises à modifier leur façon de communiquer l’innovation auprès des consommateurs ? Comment s’accommodent-elles du temps « réel », immédiat, dont ceux-ci font usage ?

R. M. : Les réseaux sociaux permettent de cocréer avec les consommateurs. Les échanges en temps réel, plus fluides, raccourcissent les délais, facilitent la prise en compte de leurs attentes et rendent les relations plus transparentes avec eux. Pour Tropicana, nous leur avions ainsi demandé d’élire la prochaine recette d’été ou d’hiver, lors du lancement d’éditions limitées. Les réseaux sociaux permettent de communiquer plus facilement sur les innovations, de les soutenir grâce aux recommandations des internautes fidèles à la marque, le bouche-à-oreille moins coûteux que des campagnes télé, et de donner une caution des ambassadeurs à la marque. Toujours sur le plan de l’innovation, les réseaux sociaux conduisent à mieux communiquer de manière ciblée et pertinente. On peut dès lors adapter les messages ainsi que les innovations.

Propos recueillis par J. W.-A.

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