Bulletins de l'Ilec

Éditorial

Allegro, andante - Numéro 470

12/01/2018

Une étude conduite en 2015 aux Etats-Unis1 évoquait le « slow shopping » comme le moyen de rendre les enseignes plus attractives et vendeuses : les clients qui ont l’occasion de s’asseoir dans leur « parcours » dépenseraient 40 % de plus qu’ils ne le feraient sans l’avoir. Sous bénéfice d’inventaire et de transposabilité, un bon usage de la lenteur serait-il la riposte du commerce physique à l’e-commerce, la dernière chance de l’hyper face à Amazon et Cie ? Le magasin, réenvisagé comme lieu de vie – et en France des enseignes de centre-ville ont déjà fait plus que s’y essayer –, deviendrait un lieu de la lenteur valorisée, réinterrogeant un modèle, le libre-service, ou la rapidité d’accès est toujours allée de pair avec la massification. A contrario, le digital ouvre une nouvelle étape d’accélération en rendant possible la réduction à rien de la période entre l’envie et l’acte d’achat. Mais n’a-t-on pas passé souvent en ligne, en recherche de conseils, comparaisons, bonne affaire, un temps au total plus long qu’on y aurait consacré en boutique ?

Il suffit de s’interroger sur les destinées et les avatars des formes commerciales, comme on peut le faire sur tout autre décor ou activité du quotidien, pour apercevoir les fils du temps qui en sont les coutures, et en font les structures. Derrière les aspirations à ralentir qui s’expriment ici ou là, ou la surenchère événementielle qui partout nous sollicite, le temps est la mesure ultime de toute chose comme il l’est de nos existences. Vitesse, synchronisation, désynchronisation…

Slow food, slow cosmetic, slow drinking, slow shopping, slow management… Que des slowgans ? Ils ne feraient qu’une litanie sans imagination si leur répétition ne venait au secours d’une lenteur digne d’être mieux considérée dans la vie sociale, alors que d’après un sondage réalisé en 2016 pour l’ObSoCo, 82 % des Français aspireraient à ralentir leur rythme quotidien.

Bien considérée, la lenteur l’est parfois : quand elle s’entend, dans le processus de création et de fabrication, comme un caractère de la qualité, voire du luxe, comme elle a été associée de tout temps à la méthode ou à la sagesse. Mais la vitesse, de décision, d’exécution, a aussi ses vertus, dont notre époque se grise peut-être voire s’abuse en y voyant toujours fluidité et légèreté.

Légèreté ? Avec la vitesse, une chose est sûre, c’est que le poids augmente. Et avec la multiplication des flux et des informations, la charge mentale, les conflits entre les rythmes naturels humains et les technologies, et les effets de cet axiome énoncé par Milan Kundera² : « Le degré de la vitesse est directement proportionnel à l’intensité de l’oubli. » L’équilibre des temps sociaux comme de la mémoire est affaire musicale : rythmes, silences et harmonies.

1. Boston Consulting Group et Fashion Institute of Technology.
2. La Lenteur, Gallimard.

François Ehrard

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