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Design et digital, les frères amis de l'affinité client

01/01/2019

Dans leur précipitation actuelle à digitaliser, les marques ne doivent oublier, ni ce qu​‌’elles sont, ni ce que sont les bases d​‌’une vraie relation client. Le design, à condition qu​‌’il sache évoluer en profondeur, restera naturellement un formidable outil pour susciter l​‌’attachement et se rapprocher des consommateurs.

Design  et  digital.  Amis  ou  ennemis  ?  Ils sont les deux factions d’un même combat. À l’heure de la transformation digitale, tout conduit à le croire. Dans la course des marques à la désirabilité et face à la nécessité qu’elles rencontrent d’être les préférées, la data est le meilleur éclaireur possible. Il est indéniable qu’à l’ère du big data, design et digital n’ont jamais été aussi liés, développant une forme d’interdépendance. Impossible d’omettre la complexité qui en découle. Design et digital ont en commun de s’adresser au plus grand nombre et de ne connaître ni frontières ni décalage horaire. Pour exister, ils ont l’obligation structurelle d’être partout et tout le temps en contact avec leurs clients utilisateurs. Ils sont constamment contraints à la mutation. Ils sont génétiquement à l’écoute permanente de leurs clients et, ce qui est plus nouveau, entretiennent avec eux une conversation perpétuelle. Compte tenu de ce nouveau contexte, il est urgent que le binôme design-digital organise son espace de création de valeur et repense son modèle économique. 

Au royaume du moi, le design devient roi. Au royaume de l’user-centric, l’uniforme semble bel et bien passé de mode. Place à la différence ! Pour autant, le consommateur veut continuer d’appartenir à une communauté dont il partage les valeurs, d’où l’inexorable inflation des logos, ce marqueur très corporatiste qui permet d’afficher les codes d’une tribu. Imaginez un polo Lacoste sans le précieux crocodile…

Le règne du consom’acteur : l’unique en série

L’heure des « hyper-marques » a sonné... des marques qui n’ont jamais été, elles et leurs produits, aussi audibles et aussi proches de leurs clients. Quel est leur secret ? Elles les écoutent, leur parlent et donnent aux « fans » la sensation qu’ils sont uniques en leur offrant un rôle dans le processus de création des produits. Quoi de plus connivent que d’accorder la possibilité de personnaliser, voire de créer, des objets singuliers – pour soi ? « L​‌’unique en série », en somme… Grâce au binôme digital-design, certaines marques maîtrisent déjà fort bien cette quadrature du cercle entre la personnalisation, l’unique en série et la montée en puissance des communautés. Le marché de la chaussure de sport est l’un des exemples les plus signifiants de ce nouveau modèle. Grâce aux plateformes digitales et à des configurateurs d’options, NIKEiD ou miadidas permettent au client de créer sa propre chaussure en ligne. Un modèle presque totalement unique, tant les combinaisons sont nombreuses. Il est évidemment possible de broder ses initiales, son nom de guerre ou autre sur le précieux soulier, une coquetterie autrefois réservée au monde de l’hyper-luxe et aujourd’hui accessible à tous grâce au digital. Autre exemple : l’automobile, où les modèles iconiques des marques, comme Mini, Fiat 500 ou encore Volkswagen Coccinelle, se prêtent à (presque) tous les caprices d’option des clients. On peut aussi citer Ikea et son configurateur 3D en ligne permettant de formaliser sa future cuisine ou encore Apple, qui permet, lors d’opérations spéciales, la gravure de son iPhone. À la frontière du matériel et du virtuel, la firme de Cupertino nous offre bien entendu l’ultra-personnalisation de ses interfaces et de ses applications.

De l’unique en série à la série unique

En parallèle de l’unique en série, un autre levier de création de valeur est intimement lié au binôme design-digital, c’est l’essor de la série unique. Le levier marketing n’est pas nouveau : souvenons-nous des Peugeot Roland-Garros ou Eden Park. La différence réside dans la puissance de partage et le vortex du désir savamment entretenu par les marques via les réseaux sociaux. Le succès commercial de la Fiat 500 Anniversario, de la Volkswagen Coccinelle Ultimate (dernière série de l’iconique modèle, disponible à 300 exemplaires sur le marché français) ou de la Porsche 911 Black Edition en est la preuve tangible. Là encore, le design comme accélérateur du désir n’est pas bien loin… Uniqlo, marque japonaise de street-wear chic, lance chaque saison des collections « capsules » en collaboration avec des couturiers de renom, empruntant au passage leur notoriété, leur univers créatif et leur patrimoine émotionnel (Inès de la Fressange, JW Anderson, Alexander Wang…) – annonce, teasing et achat se font essentiellement en ligne. Enfi n’oublions pas le « hold- up marketing et design » du siècle, Supreme, la marque de skate-wear newyorkaise dont les modèles « one shot » et les micro-séries s’arrachent si vite lors des ventes en ligne que les ados ont recours à des robots acheteurs pour ne pas les rater… se transformant en traders du design. Aïe ! Là encore, les hyper-marques de la chaussure ouvrent la voie de la spéculation digitalisée. Pour exemple, la Nike Air Jordan 1 et son Pantone 293C, éditée en quelques exemplaires à l’occasion de la fermeture du concept store Colette, s’est arrachée en quelques minutes. Elle est désormais vendue plusieurs milliers d’euros sur le marché du resell (la revente via des sites et applications dédiées). 

Le design, levier de proximité physique et affectif

Qui mieux que le design sait cultiver le singulier ? Interface entre la marque et ceux qui la choisissent, le design est, de facto, le lien entre eux. Cette vérité serait-elle plus évidente aujourd’hui qu’hier, en raison d’un contexte de digitalisation quasi universelle ? En réalité, pas du tout. Tout change, mais rien ne change. Car le design est structurellement proche du consommateur. Le design est un langage, dont les règles ont changé, mais conservent le même socle. Ne l’oublions jamais : le design questionne et nourrit, non seulement la « fonctionnalité » d’un objet, mais aussi son esprit. Il crée l’objet, alimente l’immatériel de la marque et organise son incarnation dans le produit. Rappelons que l’un de ses éléments structurants et initial est la quête du beau. « La laideur se vend mal », disait Raymond Loewy. C’est aussi dans cet espace que se joue la bataille de l’affectif. Le beau – comme le valorisant et le rassurant – est indispensable dans tout jeu de séduction marque-acheteur. Que l’on parle de design produit ou de design digital, d’user experience ou d’user interface, le design est clairement un ingrédient indispensable de la proximité physique et de la relation émotionnelle entre une marque et son client. Tout simplement parce qu’il est « entre » eux.

Le Web n’ayant pas de frontières, les canons de cette « beauté digitale » se sont uniformisés au niveau planétaire. Dans le monde entier, des dizaines de millions de personnes sont soumises de manière simultanée aux mêmes codes design installés par les marques. Les structures technologiques sont elles aussi standardisées. Dans son hyperpuissance, le digital gomme et écrase toutes les spécificités. Résultat : rien ne ressemble plus à un site Internet aujourd’hui qu’un autre site Internet. Quoi de plus standardisé qu’un smartphone… un écran en forme de carré long. Déprimant ! Sur les plateformes, les GAFAM nous imposent et imposent aux marques des matrices esthétiques très contraintes. Quelle marque oserait aujourd’hui rivaliser avec le « bleu Facebook » ? ou choisir pour logo une pomme ?

 

Passer d’un design « solide » à un design « éther »

À part quelques très grandes marques et quelques trop rares agences, le digital n’a rien compris aux marques et au design de marques. C’est, certes, un univers nouveau, avec de nouveaux canaux de diffusion, de nouveaux codes de langage et de comportement, mais est-il vraiment nouveau ? Non. Les fondamentaux du design restent les mêmes, encore faut-il ne pas les oublier. C’est la maîtrise de leur diffusion qui doit être réinventée. Cela passe nécessairement par une trans- formation radicale des états du design, de l’ordre de la physique. Avec ses produits, ses flagships, le design de marque s’inscrivait hier dans un état « solide », au sens physique du terme. C’était un peu « ma maison, mon chez-moi, ma plaquette publicitaire, mon concept  store, mon flagship, ma vitrine physique ou virtuelle… ». Or le digital a fait passer le design à un état qu’on peut qualifier de « liquide ». Grâce au digital, les marques s’immiscent comme un fluide dans tous les canaux de diffusion, réseaux sociaux, pop-up stores, applications… Marques et produits se retrouvent sur une place de marché, sur laquelle ils ne maîtrisent ni les autres ni le parcours du consommateur, et encore moins la capacité de ce dernier à « liker », partager, commenter ou… recommander. La bataille de la puissance et de la mémoire est déclarée ! La marque et ses produits doivent vivre et exister seuls au milieu des autres. Le design sera leur meilleur allié pour les aider à prendre la parole. L’avantage, c’est que ce design « liquide » va investir des espaces et des canaux bien plus vastes que l’espace solide.

Si l’on reste dans l’analogie avec la physique, après ce passage du solide au liquide, l’ultime étape  sera  de  parvenir  à  un design « éther », un design des souvenirs capable de s’inscrire dans l’esprit, les mémoires et les cœurs. Certaines marques ont déjà atteint ce sublime stade : la marque « aux voitures rouges qui vont très vite », la marque « à la pomme à demi-croquée», celle « à la double arche jaune », pour ne citer qu’elles… Demain, le design sera, encore plus, ce qu’il doit être aujourd’hui : un langage vivant et polymorphe, capable de compiler les langages produit, visuel, olfactif, sensitif, gustatif… le concret et l’abstrait, la matière et le virtuel, le tangible et l’émotionnel. C’est la maîtrise d’un design global et de ses langages qui permettra aux marques d’émerger, et à terme de survivre.

Marques  :  recentrez-vous et osez être vous-même !

Digital et design sont deux mondes indissociables, interdépendants, partout, tout le temps, parce que l’un est le « aujourd’hui, ici, maintenant » de l’autre et inversement. Aux marques qui sont engagées à marche, souvent forcée, dans la digitalisation, suggérons d’abord de ne plus avoir peur, mais aussi de ne pas confondre vitesse et précipitation, laquelle conduit à de mauvais choix stratégiques. Avant d’ouvrir le chantier, il y a urgence à prendre le temps de se connaître soi-même. Le digital est un extraordinaire moyen de prendre la parole, d’échanger, de transmettre, de converser. Pour se différencier dans un monde désormais « phygital » (physique et digital) et initier un cercle vertueux de création de valeur, la marque doit s’appuyer sur un langage design global subtil, affectif, verbal et non-verbal, fondé sur son ADN. À ce prix, seulement, s’atteindra le nirvana : l’affinité.  

 

 

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