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Nouvelles marques de grande consommation : une relation différente avec le consommateur ?

01/01/2019

En cette période de profusion des nouvelles marques en GMS, alimentaires ou cosmétiques et à l​‌’ère du « néo-marketing », quels types de relations ces jeunes marques veulent-elles instaurer avec leur public ? Sont-elles si différentes de leur aînées ?

L​‌’heure est à la transparence. On entend beaucoup dire qu​‌’une époque est révolue :  celle où les marques pouvaient imposer leur discours aux consommateurs de façon univoque, dans une posture parfois autoritaire. Un exemple emblématique de ce type fut Findus dans les années 1980 ; la marque l’affirmait : Heureusement il y a Findus ! . Trente ans plus tard, une nouvelle marque nous interpelle différemment : C’est qui le patron ? ! . Les citoyens réclament un nouveau rapport aux industriels qui les fournissent, ils exigent une transparence totale et souhaitent exercer un pouvoir sur les grands, exprimant ainsi un désir de revanche né de nombreuses déceptions dans leur relation aux marques…

Marque et clients, une relation plus adulte ?

Les choses ont-elles vraiment changé depuis les années 1980 ? Les consommateurs sont-ils plus adultes, moins sous l’emprise de leurs émotions, moins sous l’influence d’idées reçues ? Ont-ils plus de temps à consacrer aux marques et aux produits afin de satisfaire leur soif de transparence ?  Par ailleurs, les jeunes marques qui naissent sous nos yeux vont-elles initier une relation différente avec leur public ? Souhaitent-elles une relation « adulte » (rationnelle, transparente, honnête) ou utiliseront-elles les leviers marketing d’une relation émotionnelle, affective, voire passionnelle ? La création du nom de marque donne le ton de la relation future. Depuis quelques années, face à un rejet des puissants par la population, nous voyons émerger une multitude de petites marques qui parfois bousculent les marques installées. Les consommateurs leur donnent un blanc-seing pour la seule raison qu’elles ne font pas partie de l’establishment. En analysant l’acte même de création de marque et les raisons d’adhésion des fans, nous pouvons anticiper le type de relations à venir entre les marques et leur public. Force est de constater que ce registre reste très empreint d’émotion : pour l’illustrer, nous avons analysé quelques créations de marque sous cinq angles différents : 1/ les nouvelles marques du bio, 2/ l’utilisation d’un prénom, 3/ les leviers du local et de la transparence, 4/ les marques assertives, 5/  les créations new age,ciblées sur les millenials…

1/ Les nouvelles marques du bio

En comparaison des anciennes, telles Bjorg ou Vrai, campées dans le sérieux et l’austérité, la construction des nouvelles marques de cette catégorie montre une volonté d’instituer une relation émotionnelle plus forte avec le consommateur. Initiatrice de cette tendance, la marque de Danone Les 2 Vaches communique sur le ton de l’humour depuis sa création, en 2006, développant une relation complice avec ses consommateurs. En 2018, Danone a lancé une seconde marque sur le circuit spécialisé bio : Faire Bien. Par son nom, cette dernière renvoie à sa cible la motivation qui l’anime à travers une mise en scène dédramatisée. Dès sa naissance, la marque installe une relation d’empathie. Leroux témoigne également de l’irruption de l’émotionnel dans le bio en 2018 avec le lancement de sa marque prénom Avec Plaisir ! , preuve que l’injonction reste encore un mode relationnel en marketing, même dans le bio, même pour toucher les millenials… Enfin L’Oréal convoque l’imaginaire de la Provence et du local afin de créer une relation de proximité avec sa cible.

2/ L’utilisation d’un prénom

Depuis le succès de Michel & Augustin, l’utilisation des prénoms dans la création de marque n’a cessé de s’accroître. Le recours à ce type de marques (nous en avons sélectionné quelques-unes pour l’exemple en alimentaire ou en cosmétique Bio) relève d’un procédé marketing bien connu : asseoir une relation familière avec la cible dès la conception en utilisant des prénoms sympas. La marque de savons Louise Émoi sursignifie ainsi son intention d’installer un rapport émotionnel avec ses clientes, affichant le mot émoi tout en suggérant habilement le « et moi », qui représente aussi la cliente. L’utilisation d’un prénom permet à la marque de se positionner « du côté du consommateur »… elle fait alors presque partie de la famille. Le marketing répond ainsi au besoin de ressourcement dans un monde vécu comme de plus en plus inhumain.

3/ Les leviers du local, de la proximité et de la transparence

Nous assistons à une floraison de marques créées par des agriculteurs, des éleveurs ou des coopératives, dont la spécificité est de répondre à l’insight grandissant de proximité et d’achat en circuit court. Dans cette catégorie, la relation marque-consommateurs s’inscrit dans un registre au départ rationnel : adhésion à une démarche non mercantile, suppression des intermédiaires, purification de la chaîne de valeur, rejet du marketing… À ce titre, la marque La Nouvelle Agriculture reste exemplaire, très peu émotionnelle. Mais il lui manque une dimension relationnelle. Les autres marques en exemple ont bien été obligées de se mettre en scène : J’aime le lait d’ici, Les éleveurs vous disent Merci ! , C’est qui le patron ? ! , on voit bien qu’établir une communication avec son public suppose le recours à une relation émotionnelle… et donc aux techniques de marketing de l’ancien monde.

4/ Les créations de marques « assertives »

Créer une marque porteuse d’une promesse forte dès sa conception est un objectif idéal en marketing. Les marques Taillefine (promesse de minceur) ou Câlin (promesse de douceur) furent des exemples de réussite dans les années 1970 et 1980. Les années 2000 et 2010 montrent que cette pratique perdure. Mais le fait même de se baptiser Innocent ou Honest n’est-il pas un péché originel lorsqu’on veut faire du commerce ? Celui d’une surpromesse potentielle, d’une transparence surjouée à terme, d’une perversion de l’intention d’origine par le marketing ? Ces deux marques sont aujourd’hui propriétés de Coca Cola… maintenir une relation pure et transparente avec son public, garder son intégrité et ses valeurs d’origine sont des défis impossibles à relever lorsque le succès commercial est au rendez-vous.

5/ Les créations de marques new age

Nous avons choisi quatre exemples : TooGood, Eat Me, What The French ? ! et Akua. Pour trois d’entre elles, la langue  anglaise, devenue universelle pour les jeunes générations, installe une relation privilégiée, moderne, ouverte sur le monde. Les produits de ces marques ont pour caractéristique d’être hyper-innovants : snacks très sains, produits à base d’algues, etc. Il est donc nécessaire de rendre l’offre familière par une approche fun et décomplexée. Là encore, rien de rationnel ni de pédagogique dans cette démarche pourtant nouvelle : le langage gai et ludique l’emporte sur l’argumentation. Le cerveau droit est plus sollicité que le cerveau gauche, les fondements de la relation sont essentiellement émotionnels.

 

Ces quelques exemples montrent que l’acte de création de marque installe une relation subjective entre la marque et le consommateur – familière, complice, fun, humoristique, affective… rarement rationnelle –, une relation émotionnelle qui structurera en aval la communication de la marque et le rapport à son public… Michel & Augustin a parfaitement réussi à maintenir cette cohérence relationnelle depuis sa création grâce à son style accessible et décomplexé, fondé sur le mythe d’une co-construction avec ses consommateurs. Cette interactivité fut d’ailleurs rendue crédible par l’émergence des outils du digital et des réseaux sociaux… mais c’est une toute petite minorité qui s’exprime à la place de la majorité silencieuse. Cette dernière le fait par la voie des tests et études dans un marketing plus classique. C’est qui le patron ! ? fait aussi voter ses consom’acteurs ; une représentativité limitée de 4 000 à 8 000 participants « proactifs » qui votent, mais une vraie posture marketing donnant l’impression que les consommateurs décident…

En 2020, la relation à la marque reste, tout comme les relations humaines, essentiellement émotionnelle. La marque fait encore plus partie du quotidien et de l’environnement qu’au xxe siècle. Certes, les moyens de communication développés entre la marque et son client permettent une interactivité qui n’existait pas auparavant, mais le besoin d’affect est plus fort, le temps fait plus défaut et la subjectivité est devenue la norme relationnelle, malgré une soif de transparence inextinguible. On entend donc un discours qui annonce un nouveau mode de relation entre les marques et leur public, plus adulte, plus rationnel, plus transparent, plus interactif. Mais dans la réalité, cette relation est toujours régie par l’émotion et la subjectivité, par nature intrinsèque aux relations et à la communication entre les différents composants d’un corps social… Les nouvelles marques qui naissent chaque jour nous confirment cette réalité immuable. Et même s’il est vrai que l’interactivité s’est ajoutée à la palette des moyens dont disposent les marques et les consommateurs, l’essentiel de leur relation reste encore fondée sur l’existence d’un émetteur unique – la marque – et de centaines de milliers, voire de millions d’adeptes – son public. Toujours de la communication, pas encore de la conversation.

 

 

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