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Marque de luxe : nouvelles relations pour nouvelles clientèles

01/01/2019

L​‌’émergence des millénials bouleverse les codes spécifiques du luxe, fondés jadis sur les seules valeurs de tradition. L​‌’heure est à leur combinaison avec celles de la modernité dans une relation unique mêlant réel et virtuel.

Depuis la crise financière des années 2008-2009, le marché international des produits de luxe pour la personne est soumis à quatre évolutions structurantes. Le creusement des inégalités sociales et de revenus – le pouvoir d’achat de la population mondiale a progressé, mais jamais les disparités entre pauvres et ultra-riches n’ont été aussi sensibles – ; l’apparition de nouvelles préoccupations d’ordre éthique, moral et environnemental, notamment chez les clients issus des pays matures (Europe de l’Ouest, États-Unis, Japon) ; la transformation digitale, qui propulse les opérations des marques et leur gestion de la relation client dans une ère inédite favorisant instantanéité et transparence ; et enfin un renouvellement démographique dont l’impact est sans précédent : l’avènement des millennials asiatiques – nés à partir de 1985 – marque l’émergence d’une génération d’experts ultra-connectés, désireux d’affirmer leur personnalité et bien moins réceptifs aux sirènes du luxe « bling bling » et de la consommation ostentatoire que ne l’avaient été leurs parents.

Aujourd’hui, la conjugaison de ces quatre facteurs rend urgente une refondation de la relation entretenue par la marque de luxe avec ses clientèles, refondation complexe, car elle s’inscrit dans un environnement instable, incertain et très exigeant à l’égard de la marque. Les frontières sont devenues poreuses entre ce qui est du luxe et ce qui n’en est pas (ou n’en est plus) : la montée des offres premium disponibles sur Internet, le succès planétaire de la fast fashion, le mix and match en prêt-à-porter, la réussite récente de plusieurs DNVB... ont déstabilisé nombre de leaders traditionnels ; au-delà de ses produits et objets, la marque de luxe contemporaine investit les services, établit des passerelles avec des acteurs venus d’horizons très différents (street-wear, sportswear, skate...). La collaboration de Louis Vuitton avec Suprême, celle entre Ralph Lauren et Palace, l’arrivée en tant que directeur artistique d’un Virgil Abloh en provenance d’Off-White, sont autant d’expériences inédites témoignant d’une réelle prise de risques créatifs. Enfin, la marque de luxe est tiraillée entre des injonctions qui, de manière légitime, peuvent lui sembler paradoxales. Si elle a longtemps cru fonder sa réussite sur son expansion à l’international, notamment en Chine, la multipolarité géographique du marché se retourne aujourd’hui contre elle. Elle ne peut en effet plus se contenter d’une stratégie unique si elle veut continuer à intéresser ses clients actuels – une majorité de baby-boomers occidentaux – tout en gagnant la bataille de l’attention auprès des millennials asiatiques, prérequis indispensable à la préparation de son avenir. Dans un environnement de surcroît caractérisé par de nombreux risques géopolitiques, la tentation existe ainsi de céder à la prudence. Pourtant, l’immobilisme, c’est la mort… alors, quels fils d’Ariane dérouler et pour quelle nouvelle relation ?

Un nouveau discours de marque

Les valeurs sur lesquelles nombre de marques de luxe occidentales traditionnelles (prêt-à-porter, maroquinerie et accessoires, montres) se sont construites – l’artisanat, le savoir-faire, un respect scrupuleux de l’héritage transmis, de la tradition et de l’histoire – ne « parlent » plus aux millennials, en particulier chinois. Le constat est sans appel : immergé dans l’instantanéité de WeChat, ce millennial plébiscitera la marque qui aura su créer de la valeur pour lui au cours des dernières 24 heures. Les innovations historiques, sur lesquelles la marque avait fondé légitimité et différentiel de prix, n’opèrent plus. Plus grave, elles risquent même de s’avérer contre-productives, car elles la rejettent dans le passé et, en creux, suggèrent son incapacité à se réinventer. Ce serait bien sûr une erreur que de nier tradition, histoire ou héritage. Mais, afin de les rendre attractives aux yeux des millennials, il conviendra d’ouvrir un nouvel angle de vue sur ces valeurs emblématiques du luxe, en les combinant avec innovation, technicité, romantisme et art de vivre. Le principe : établir un discours inédit autour de l’authenticité et de l’exclusivité du luxe, en privilégiant en parallèle de nouvelles formes d’expression (smartphone, réseaux sociaux, vidéo, formats courts, humour et décalages créatifs).

Le service à une personne unique et non la vente à un client indifférencié

Cette personne unique mérite d’abord d’être servie par la marque de luxe, laquelle devra, à l’avenir, s’intéresser à ses rêves, à ses valeurs propres, au caractère spécifique de leur relation et lui présenter en toute transparence et authenticité son univers afin de lui faire vivre une expérience séduisante, porteuse de sens et fortement différenciée. Et seulement quand elle aura décidé d’entrer dans cet univers, l’amener à acheter objets et/ou services. Cet éventuel client est la même personne, qu’il évolue dans le monde réel ou sur Internet et cette évidence affecte en profondeur l’expérience de marque omnicanal qui lui est proposée. Au-delà de l’achat, la marque de luxe doit en effet lui offrir une relation unique, qui se développera ensuite dans deux environnements, certes distincts (lieux de vente réel ou boutique virtuelle), n’offrant pas les mêmes opportunités, mais néanmoins perméables. Les deux expériences sous-tendant cette relation doivent donc être différentes – un site Internet ne sollicitera jamais les cinq sens autant qu’une expérience vécue dans le flagship de la marque. Elles doivent aussi être complémentaires, sous peine que l’expérience virtuelle ne soit qu’une pâle copie de celle vécue dans le monde réel ou, qu’au contraire, elle soit le lieu de toutes les expérimentations que la marque s’interdirait dans ce monde réel du fait de son positionnement ou de son image. Elles doivent enfin être à la hauteur de la pertinence et de l’extrême qualité attendues d’une marque de luxe. Parcours d’achat on-to-off ou off-to-on, relais de la publicité digitale dans les boutiques physiques, expression de la marque sur les réseaux sociaux... Qu’une seule de ces deux expériences n’atteigne pas ses objectifs et c’est l’expérience globale de la marque qui s’en trouvera compromise.

Cette relation mérite bien sûr d’intégrer les innovations technologiques issues de la transformation digitale (réalité virtuelle, algorithmes et intelligence artificielle, data valorisée à des fins de segmentation de la clientèle...), en plaçant ces innovations au service d’une expérience et d’un parcours d’achat toujours plus fluides, séduisants et individualisés. Sur tous les points de contact, l’enjeu de la marque n’est pas de réaliser une démonstration de force, et encore moins de compenser un éventuel manque de créativité par un recours excessif aux dernières prouesses technologiques. Il est d’être pertinente et de créer de la valeur pour le client. C’est la considération d’un tel enjeu qui nous paraît motiver la très récente rénovation du flagship de Regent Street de Burberry ou encore l’initiative du casque de réalité virtuelle Dior Eyes, qui offre en boutique une expérience immersive unique par laquelle le client est plongé à 360 ° dans les coulisses de la maison.

Parmi toutes ces innovations, le smartphone bénéficie d’un statut privilégié. La tendance « mobile first » recèle en effet plusieurs opportunités, tant pour le développement d’un marketing géolocalisé et contextualisé performant – le rêve du message juste envoyé à la personne ciblée au bon endroit et au moment adéquat – que pour celui du social selling et du m-commerce. L’actuelle aversion des clients du luxe à l’égard du paiement via smartphone est certes encore un obstacle, il est néanmoins probable que nous assisterons dans les trois à cinq prochaines années à un glissement de l’actuel e-commerce vers le m-commerce.

L’évolution vers une relation marque client de nature inclusive

Si la marque de luxe a longtemps créé de strictes barrières entre une minorité d’happy few et une très large majorité de non-clients, ces années appartiennent au passé. La formidable démocratisation du luxe a entraîné une accessibilité inédite de ses objets et services, et cette accessibilité a renversé la finalité même de sa consommation. Le luxe répond aujourd’hui à une quête individuelle de sens ; y compris dans les pays émergents, il n’est plus uniquement le marqueur de l’appartenance à telle ou telle classe sociale. Le must pour le client ? Se reconnaître dans les valeurs et le projet esthétique portés par la marque, cultiver sa singularité à l’intérieur d’une tribu d’élus et affirmer son unicité par de très subtils twists perçus par les seuls connaisseurs. Loin, très loin d’un recours immodéré aux signes extérieurs de richesse et aux autres logos invasifs...

Début 2019, la nouvelle exclusivité du luxe, c’est l’« inclusivité ». Cette évolution majeure s’accompagne d’une redéfinition du statut de la boutique physique. Celle-ci joue toujours un rôle de point de vente mais, en parallèle, elle se transforme pour devenir le lieu privilégié d’une expérience initiatique de la marque, dirigée par d’authentiques ambassadeurs et proposée au client dans le cadre d’une nouvelle relation d’égal à égal. Recruter, former, animer, motiver ces ambassadeurs, leur faire partager les vertus de ces nouveaux enjeux… À l’heure d’Alexia, il est fort probable que l’investissement humain, le sens de l’accueil et le sourire restent la clé de voute du succès du luxe contemporain.

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