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La RSE, un levier pour singulariser la marque

12/04/2017

La RSE n’est pas un leurre. Différenciante, elle est pour la marque le point de passage obligé pour redéfinir sa raison d’être et son utilité.

entretien avec Nicolas Crabot,
Fondateur de l’agence Mindded.
propos recueillis par Jean Watin-Augouard

L’utilité sociétale est-elle un impératif catégorique pour les marques ? Hors d’elle, point de salut ?

Nicolas Crabot : Effectivement, les marques doivent s’adapter à de nouvelles exigences. Celles-ci portent aussi bien sur la pression de la règlementation que sur la médiatisation de l’écologie, les projets de réinvention sociétale – comme les plateformes d’échange et de signature de pétitions qui demandent aux citoyens de s’engager sur les projets environnementaux et sociétaux (avaaz, change.org) –, sans omettre certains programmes présidentiels ! Ajoutons les tendances lourdes comme l’ubérisation, la désintermédiation et les expériences clients désormais vécues en temps réel. Avec le numérique, la digitalisation – et son mobile ! –, le consommateur a le pouvoir au bout du pouce. Ainsi, les marques doivent évoluer pour répondre à toutes ces nouvelles attentes du consommateur, dont la face citoyenne apparaît au grand jour. La bonne nouvelle est que la RSE est un levier pour aider les marques et les entreprises à se réinventer et à provoquer un nouveau regard du consommateur sur leur utilité. Celle-ci concerne les dimensions environnementales, économiques et sociétales. Pour se réinventer, la marque doit redéfinir sa raison d’être, revisiter sa plateforme de marque et rendre la RSE opérable, différenciante.L’utilité, c’est le futur des marques. Une promesse renforcée sur l’utilité peut ainsi recréer un lien de confiance avec ses publics et les faire adhérer à un projet.

Quels sont, selon vous, les secteurs pionniers et ceux qui tardent à muter ?

N. C. : Au-delà des marques qui se sont construites avec une forte dimension sociétale, des liens forts de solidarité, des engagements environnementaux, on peut souligner que les pionniers dans le domaine sociétal sont souvent les plus attaqués médiatiquement, comme l’attestent de nombreux reportages à la télévision ou dans la presse. L’alimentaire est ainsi une cible de choix pour les lanceurs d’alerte, car le lien émotionnel reliant marques et consommateurs y est particulièrement sensible, le besoin de confiance étant d’autant plus important pour un produit que l’on ingère. Ce secteur a donc opéré une forte remise en question quant à l’amont agricole, aux problématiques de nutrition-santé, aux impacts environnementaux et sociaux. Ajoutons que l’automobile est aujourd’hui confrontée à la nécessité d’évoluer, compte tenu des interdictions récurrentes dans les grandes agglomérations, dont celle de Paris, et des mesures règlementaires qui pèsent sur les constructeurs. Les acteurs se mobilisent aussi car ils sont mis au défi sur leur propre marché, aussi les marques doivent-elles privilégier l’offensive à la défensive. La grande distribution fait également partie des secteurs dynamiques : avec une croissance inférieure à 1 % depuis quelques années, elle regarde avec intérêt le développement des réseaux bio, dont la croissance dépasse les deux chiffres. Les relais de croissance sont aussi dans l’engagement et l’utilité sociétale. La cosmétique, le luxe, le BTP peuvent être également cités. Il semble que tous les secteurs d’activité ont compris l’intérêt de la démarche : la banque, l’assurance, la technologie, le tourisme évoluent sur ces sujets. Concernant le transport aérien, le chemin paraît plus compliqué !

Jusqu’où le curseur de l’utilité sociétale peut-il se déplacer ? Quelles sont les limites que la marque ne doit pas franchir ?

N. C. : La recherche de l’utilité pour une marque revient à développer dans son positionnement des éléments de réassurance sur les critères environnementaux et sociétaux. Au-delà du contrat de base, la marque doit proposer plus, ou plutôt mieux : mieux pour moi, mieux pour ma communauté, mieux pour l’environnement. Elle doit passer du statut de marque prédatrice à celui de marque contributrice. Cela ne se décrète pas et doit se construire en mettant en place un travail de fond, d’introspection, pour révéler ses atouts et construire son socle d’utilité pour demain. La limite est que la marque doit rester à sa place, ne pas faire de surpromesses et prouver par des faits et non par les seules paroles ses engagements.

Quand le concept de marque fut créé, au début du XIXe siècle, ne portait-il pas en lui, déjà, la notion de responsabilité du fabricant vis-à-vis du client ? Marquer le produit, c’était désigner le fabricant et garantir la qualité, la traçabilité, etc. Que recouvre aujourd’hui la responsabilité ?

N. C. : La marque reste un lien de confiance, un contrat passé entre le consommateur et un fabricant, mais la responsabilité a évolué, et l’avenir est désormais aux marques qui fabriquent, maîtrisant l’ensemble de la chaîne de création de valeur, y compris l’amont. Elles peuvent agir à tous les niveaux et s’engager pleinement auprès des consommateurs, renforçant le contrat de confiance et assumant leur responsabilité. Au fil des décennies, ce contrat évolue en fonction des attentes de la société, obligeant la marque à redéfinir en permanence ses standards de qualité. Le consommateur n’est pas dupe, il met un prix à cet engagement et acte son achat pour moins de futilité et plus d’utilité !

Quels sont les leviers prioritaires pour l’entreprise ?

N. C. : Nous invitons marques et entreprises à faire preuve d’introspection, comme si elles passaient un IRM destiné à scruter en profondeur leurs contours et ceux de leur offre produit. Il convient ensuite de matérialiser les responsabilités de la marque par rapport à ses parties prenantes et de définir des points d’action clés, en les mettant en concordance avec les attentes des nombreux publics : influenceurs, consommateurs, institutionnels… Le combat sociétal de la marque est primordial, car s’il faut progresser sur tous les aspects sociétaux pour révéler son utilité, il s’agit aussi de laisser une trace mémorielle spécifique à ses publics.

Faut-il une nouvelle gouvernance au sein de l’entreprise pour casser les silos et oeuvrer en mode horizontal ?

N. C. : Je le crois profondément, car la RSE est un levier managérial de transformation puissant. Cette démarche donne du sens, car personne n’est indifférent à ses enjeux, qui nous concernent au-delà de l’entreprise. Chacun souhaite prendre part à la réinvention positive, fusse-t-elle pour le compte d’une marque. La démarche sur l’utilité sociétale fédère et mobilise tous les acteurs en interne. Incarnée par le top management, elle permet en plus de faire tomber les silos. La difficulté est de guider l’ensemble des collaborateurs vers l’endroit où ils pourront s’impliquer et intervenir à bon escient. Cette petite musique qui consiste à s’activer pour faire mieux et répondre aux enjeux est d’une redoutable efficacité. Travailler sur l’« empowerment », l’« intrapreneuriat », le « coworking », la méthode agile, la prospective… autant de champs énergisants pour l’entreprise.

Comment associer les salariés à ce nouvel enjeu ?

N. C. : Nous avons créé un baromètre sur les salariés et la RSE, qui souligne que tous les collaborateurs ont déjà un avis sur la question, chacun recevant ses propres signaux en matière de développement durable. Tous souhaitent agir et la priorité est de leur apporter une lecture spécifique de la mission de l’entreprise : il faut simplifier le complexe, tant les enjeux le sont. Expliquer, former le management, faire entrer dans l’entreprise des sachants est une logique efficace. Il convient ensuite de proposer aux collaborateurs d’agir en fonction de leurs compétences et de mettre en perspective cette action d’utilité citoyenne dans leur action quotidienne.

L’entreprise doit-elle s’associer avec des ONG pour avoir une caution ?

N. C. : C’est une belle idée. Les ONG et les entreprises venues de l’économie sociale et solidaire ont une ingénierie de réinvention spécifique pour agir sur les questions d’utilité sociétale. Il est donc pertinent de s’en inspirer en exploitant la puissance des entreprises et de leurs marques. C’est pour elles un marqueur de crédibilité et de légitimité.

Quels sont les exemples de RSE qui méritent d’être présentés comme des cas d’école ?

N. C. : Je suis avec attention Patagonia pour son côté pionnier, Tom shoes pour son engagement solidaire, Biocoop pour l’émergence de nouveaux marchés… Plus près de moi, je suis fier d’avoir piloté Voisins à bord, en collaboration avec la SNCF et Voisins Solidaires, une opération destinée à créer du lien social à bord des trains. PwC et sa Mission Handicap, menée avec l’UPTIH (Union professionnelle des travailleurs indépendants handicapés), a également donné beaucoup de sens aux salariés. Heineken, Center Parcs, Lesieur, DPDgroup, Auchan sont autant de cas et d’expériences positives qui montrent que les entreprises et les marques progressent sur ces questions.

Que préconisez-vous sur le plan de la communication ? Faut-il attendre d’être parfait ou doit-on engager dès le départ la conversation avec ses consommateurs, même si la RSE est, de fait, complexe ?

N. C. : Non, les entreprises ne doivent pas attendre. Les marques, heureusement, portent en elles de nombreux critères positifs d’utilité, sans lesquels elles disparaissent ! Il convient donc de révéler l’existant et de montrer leurs capacités à progresser et à développer des projets de sens à fort impact sociétal. Au-delà du levier managérial, la RSE est un levier de communication à exploiter. Dans la vie, on pardonne toujours à quelqu’un qui se trompe, jamais à celui qui ne se mobilise pas pour progresser… les entreprises ne doivent donc pas, au prétexte qu’elles risqueraient la critique, s’abstenir de communiquer.

Le type de communication et le langage diffèrent-ils selon les interlocuteurs : parties prenantes, consommateurs ?

N. C. : Il faut effectivement s’adapter aux multiples publics, aux degrés d’exigence variables selon leurs attentes et interrogations : on ne parle pas aux influenceurs et aux journalistes comme au grand public, à l’interne comme à l’externe. S’il faut une cohérence d’ensemble, le discours doit s’adapter selon le niveau d’expertise et ne pas redouter de se vulgariser. Il faut des relais managériaux à tous les niveaux de l’entreprise pour porter la bonne parole.

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