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RSE, moment de vérité pour la réputation des marques

12/04/2017

Ce qui est dit doit être non seulement juste, mais vrai et prouvé. Un triptyque sans lequel toute politique RSE n’est que poudre aux yeux.

par Jean-Marc Lehu,
Enseignant-chercheur - Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

D’aucuns voient Sir Richard Branson comme un hurluberlu fantasque, d’autres comme un entrepreneur visionnaire. Auquel des deux rattacher alors cette citation : « All you have in business is your reputation - so it’s very important that you keep your word » 1 ? Dans les faits et pas simplement dans les mots, la manifestation la plus concrète de la responsabilité sociale (ou sociétale) des entreprises (RSE) est la réputation corollaire, positive ou négative, de l’entreprise. Or, sans vouloir être gratuitement brutal et consciemment simpliste, il semble qu’il y ait deux grandes approches de la RSE. La première relève d’Utopia de Thomas Moore, qui serait lu avec gourmandise par les Bisounours. Elle consiste à penser que toutes les marques sont conscientes de leur responsabilité envers la société humaine qui les accueille, et oeuvrent au quotidien pour la préserver et l’améliorer.

Richard Branson, entrepreneur visionnaire

La seconde s’inspire davantage de Capitalisme et Liberté de Milton Friedman, qui serait défendu par un contrôleur de gestion adepte féroce du cost controlling. Elle consiste à réduire au strict minimum l’impact de ce mouvement sociétal en faveur de la protection de l’environnement et plus globalement de la société, afin de préserver la profitabilité de l’entreprise. Cette vision booléenne est naturellement très réductrice. Mais force est de constater que nombre de marques ont eu tendance ces dernières années à confondre la RSE avec un paravent pour une communication acceptable. Rien d’étonnant alors si cette responsabilité, qui porte sur l’environnement, mais aussi sur le social ou encore l’éthique des affaires, ait été associée aux termes lapidaires de greenwashing, ethicswashing ou encore socialwashing, qualifiant ainsi les actions de communication de marques pensant sans doute pouvoir flouer leurs différentes parties prenantes. Mais l’heure du moment de vérité pour la réputation des marques semble venue.

 

La marque lave (parfois) plus blanc

Faut-il que les consommateurs soient perçus comme étant diaboliquement naïfs et monstrueusement crédules pour que des marques les considèrent à ce point comme tels ? ! Dès 1986, l’activiste écologiste américain Jay Westervelt pointait du doigt la manoeuvre grossière de plusieurs marques hôtelières tentant de culpabiliser leurs clients en leur expliquant le geste abominable pour l’environnement qui était le leur lorsqu’ils demandaient à ce que leurs serviettes de toilette soient changées tous les jours. Et ces marques d’expliquer alors à ces mêmes consommateurs coupables qu’il était possible de faire un geste conséquent pour l’environnement en ne demandant plus ce changement quotidien. Sur le fond, la proposition est logique et même cohérente avec le comportement du consommateur dans sa propre salle de bain. Mais en faisant preuve d’un manque de pédagogie objective et de transparence sur l’intérêt financier corollaire parallèle, les marques prosélytes ont manqué de crédibilité et prêté naturellement le flanc à la critique consumériste. En 2009, l’enseigne de fast-food américaine McDonald’s fut elle aussi amplement critiquée en Europe pour son argumentation sous-jacente à la modification de son logo, qui depuis a abandonné le rouge vif pour un vert profond, plus évocateur de l’environnement. Le géant américain mit en avant le fait que cela lui permettait d’exprimer plus clairement son engagement responsable en faveur de la préservation des ressources naturelles. McDonald’s est sans conteste une marque très investie en RSE, et ce depuis longtemps. Mais le côté ostentatoire de la démarche – faute d’explications et d’une démonstration de ses actions – fut parfois raillé, pénalisant son image et sa crédibilité. La communication publicitaire n’a jamais eu pour objet de minimiser ou de dissimuler les atouts caractéristiques d’un produit, au contraire. Mais si cette communication redevient banale réclame pour vanter des mérites qui sont objectivement contestables, la marque bénéficiaire peut clairement s’attendre à ce que la critique soit prompte à laminer les effets de son slogan. Lorsque pour la communication de l’Airbus A380, le groupe aéronautique apposa sur l’aileron arrière de l’appareil la mention « A better environment inside and out » 2, ce n’était technologiquement pas faux, car la motorisation des avions ne cesse de s’améliorer en matière de consommation et de rejets dans l’atmosphère. Il n’en demeure pas moins que l’A380 est un très gros porteur et que le transport aérien, en général, est encore perçu à juste titre comme un pollueur conséquent. BlaBlaCar met en avant une activité de covoiturage plus respectueuse de l’environnement, car limitant les émissions de CO2.

Mais en 2015, une étude de l’ADEME indiquait que 69 % des utilisateurs auraient, sinon, pris le train… En matière de communication, le développement des réseaux sociaux numériques devrait bien entendu inciter à une vigilance plus grande encore, tant la contraction spatio-temporelle qu’il permet, associée à une diffusion potentiellement planétaire, devrait faire réfléchir la plus téméraire des marques. L’américain Walmart communique sur le fait de s’être engagé, depuis 2005, sur l’axe des « 3R » (reduce, reuse and recycle) 3. Et le premier distributeur mondial de communiquer abondamment sur son attachement à un indice de soutenabilité devenu facteur essentiel de ses choix stratégiques. Son rapport annuel sur la responsabilité globale fait régulièrement état d’avancées significatives. En 2015, 26 % en moyenne de l’électricité utilisée par Walmart provenait déjà d’énergies renouvelables… mais des activistes écologistes critiquèrent rapidement ces chiffres sur les réseaux sociaux, indiquant qu’ils correspondaient à des objectifs peu ambitieux comparé, par exemple, à un bien plus petit groupe comme Google, qui à l’époque revendiquait 37 % d’énergie renouvelable pour sa consommation électrique. Alors que Starbucks avait atteint en 2015 son objectif d’acheter l’équivalent de 100 % de la consommation énergétique de ses magasins gérés en propre. D’autres pointèrent du doigt le fait que, parallèlement, Walmart continuait de soutenir financièrement des politiciens notoirement connus pour être contre la défense de l’environnement, et qu’il ne s’engageait pas, à l’inverse de centaines d’entreprises (Amazon, Nestlé, VR Corp., EDF, Unilever, Apple, General Mills, Staples, Calvert, Mars, Google, Microsoft…) pour soutenir les grandes initiatives nationales telles que le Clean Power Plan de l’administration Obama. D’autres encore critiquèrent les résultats de Walmart en matière d’émissions toxiques, parce que ses chiffres ne s’appliquaient à aucun étalon scientifique reconnu.
Penser que la RSE est une fonction comme les autres, qu’il s’agit d’une mission confiée à la seule communication, revient à ouvrir un piège sournois et latent, qui ne manquera pas de se refermer violemment un jour sur la marque. La RSE doit, par nature, être un choix volontaire d’attitude et de comportement de la marque au quotidien, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Elle doit savoir si toute action nouvelle pourra potentiellement contribuer, à la marge, à la bonne réputation de la marque, par capitalisation. Le moindre manquement, un simple faux-pas, l’ignorance d’un détail de son activité… fera promptement surgir le doute sur la validité et la crédibilité de l’ensemble de la démarche dans l’esprit des parties prenantes. En 2015, le rapport Flawed Fabrics de l’ONG Somo vint saper les efforts de Carrefour Espagne, Zara ou encore El Corte Ingles en révélant que leurs fournisseurs indiens et bangladais recouraient à une main-d’oeuvre mineure… Avec la loi sur le devoir de vigilance des entreprises donneuses d’ordre, la France fait figure de précurseur en matière de responsabilité des marques sur l’ensemble de la chaîne de valeur. La même année, aux États-Unis, la chaîne de restauration Chipotle fut critiquée et mise en défaut par différents lobbies industriels pour sa communication agressive sous le slogan L’alimentation avec intégrité. A fortiori lorsque, répliquant aux attaques, Chipotle expliqua ne pas publier de rapport RSE parce qu’il préférait allouer ses ressources aux pratiques améliorant la soutenabilité… La marque doit bien entendre que la RSE, au-delà de son éthique revendiquée, est potentiellement auréolée de morale. Ce qui est dit ne doit pas simplement être juste. Ce doit être vrai et prouvé.

« Encore un moment Monsieur le bourreau »

Nombre d’enseignes de prêt-à-porter ont été mises en cause parce que leurs fournisseurs recourraient à une main-d’œuvre mineure

Nous sommes bien loin du 8 décembre 1793 et contrairement à la charmante tête de la comtesse Jeanne du Barry, les marques ne sont pas condamnées sine die à la guillotine de la RSE… pas encore ! Le temps présent n’est en rien comparable avec celui de la Terreur, mais toute marque consciente sait néanmoins ô combien la guillotine numérique des réseaux sociaux peut s’abattre sur elle à tout moment, au moindre écart. Si les marques n’ont pas encore à supplier le bourreau de l’opprobre du public de leur accorder « encore un moment », c’est d’abord et avant tout en raison de l’évaluation de la RSE elle-même, dans la majorité des cas. D’une part, il existe encore plus de 50 types différents d’évaluation crédibles ou jugées comme tels. Chacun d’eux empruntant des méthodologies pas toujours compatibles, des indicateurs propriétaires parfois complexes, des références spécifiques, des méthodes de calcul dédiées… C’est dire si la souplesse d’interprétation de ce qui est ou non un engagement sociétal est encore grande et sujette à critiques et contestations latentes. D’autre part, dans la très grande majorité des cas, la plupart de ces processus d’évaluation se concentrent seulement sur des indicateurs permettant de savoir si la marque, l’entreprise plus exactement dans ce cas, est en conformité avec les lois et autres contraintes légales en vigueur dans le ou les écosystèmes où elle intervient. Mais rien sur le fait de savoir si ce qu’elle fait a vraiment un impact positif. Pas de guillotine annoncée, mais il est plus que temps d’agir concrètement et en toute transparence.
Ne serait-ce que pour ne pas avoir à développer a posteriori une communication de justification sur le fait d’avoir tant tardé et d’avoir in fine simplement cédé à la pression politico-légale. Il ne faut jamais oublier que le but premier et légitime d’une entreprise est d’être profitable, pour assurer sa pérennité et son développement. Dans ce contexte, les marques liées à la production industrielle sont souvent en première ligne des « jugées coupables d’office », dès lors que leur business model est né à une époque où cette préoccupation sociétale n’existait pas, et qu’il peine à se transformer sans pénaliser la compétitivité. Il serait donc injuste de jeter la première pierre à ces marques au seul prétexte qu’elles n’agissent pas au-delà des obligations légales qui sont les leurs. Les processus de certification ISO 14000 sont une illustration parmi d’autres de ces investissements a minima pour passer dans les fourches caudines des processus d’évaluation. Il existe une logique ordinaire, puisque dans l’immense majorité des cas, l’investissement en RSE est perçu comme un coût contraint ; contraint par la loi ou contraint par la concurrence. Mais les temps changent… vite. Et pour reprendre l’observation de Niall Fitzgerald, alors qu’il était CEO d’Unilever, « Corporate social responsibility is a hard-edged business decision. Not because it is nice to do or because people are forcing us to do it […], but because it is good for our business » 4. Depuis des années, Starbucks a fait progresser la part de ses achats de café d’origine éthique. Dans son rapport RSE 2015, la marque de Seattle affichait 250 000 tonnes certifiées C.A.F.E. Practices sur les 252 000 tonnes de ses approvisionnements, soit 99 % .

De la politique de circonstance à la stratégie volontariste

La fondation Ronald McDonald House construit et met des lieux d’accueil à disposition des familles d’enfants malades 

Nombre de marques sont encore aujourd’hui, malheureusement, « engagées » en RSE dans une optique minimaliste du politiquement correct, loin de l’ engagement stratégique, éthique et moral total que la RSE sous-entend. Certes, une politique de communication est en place et le site Web de l’entreprise ou de la marque comporte logiquement un onglet de présentation de ses principes et valeurs, en faveur de l’environnement et de la société en général. Mais l’investissement stratégique de fond, concret et argumenté, tarde encore. Il tarde parce qu’il est au départ souvent coûteux. En période de croissance forte, il peut aisément être absorbé. En période de croissance limitée, la perceptibilité réduite de son ROI ne joue pas en sa faveur. D’autant plus qu’il faudra ensuite financer la communication à propos de cet investissement, au risque de ne pas jouir du bénéfice de son attribution. En 2016, avec l’agence Cossette Chicago, McDonald’s a intensifié sa communication ambiante et virale sur les actions de l’ONG Ronald McDonald House Charities, créée en… 1974, et démonstratrice d’une volonté stratégique en faveur de la communauté, bien avant le mouvement observé aujourd’hui. Pourtant, tel est sans doute bien là l’enjeu pour la marque : percevoir sa RSE comme un enjeu stratégique transversal à l’ensemble de ses actions, impliquant l’ensemble de ses personnels et toutes les parties prenantes de sa chaîne de valeur. La RSE est aujourd’hui encore trop souvent perçue comme un simple pan (obligé) de la communication. Alors qu’elle devrait être caractéristique d’une attitude assumée et d’un comportement géré, expliqué et prouvé. Or, l’explication n’a d’intérêt que si la marque est en mesure non plus de revendiquer de bonnes intentions ou même le respect de certains standards légaux, mais d’affirmer la paternité d’actes, de conséquences et de résultats. Au final, le rôle du politique devrait être de s’assurer que le cadre de ces actions est le même pour tous en matière de communication des réalisations, tout en laissant aux marques la liberté d’investissement qui leur paraît la plus idoine.
La méfiance des consommateurs et la pression consumériste, dans son ensemble, sont incontestablement devenues de puissants facteurs incitateurs pour les marques d’agir concrètement, avec le maximum de transparence sur ce qui est fait et pas simplement sur ses ambitions. Le mot « transparence » fait souvent peur, parce qu’il s’accommode mal d’un environnement concurrentiel intense. Pourtant, cette transparence est l’une des clés indispensables pour ouvrir la porte de la confiance des hommes et des femmes, parties prenantes directes ou indirectes de l’entreprise. Et sans confiance, il ne peut y avoir d’engagement en faveur de la marque. La pensée d’Henry Ford, industriel s’il en est, n’a jamais autant été d’actualité si urgente : « You can’t build a reputation on what you are going to do […]. The two most important things in any company do not appear in its balance sheet: its reputation and its people » 5. Il est sans doute temps que tous deux apparaissent plus clairement au bilan de l’entreprise, pour le plus grand profit de la marque.

Notes
(1) 
« Tout ce que vous avez en affaires, c’est votre réputation - il est donc très important que vous teniez parole. »
(2) Un environnement meilleur à l’intérieur et à l’extérieur.
(3) Réduire, réutiliser et recycler.
(4) « La responsabilité sociale des entreprises est une décision d’entreprise très difficile. Non pas parce que c’est agréable à faire ou parce que les gens nous forcent à le faire, mais parce que c’est bon pour nos affaires ».
(5) « Vous ne pouvez pas bâtir une réputation sur ce que vous allez faire […]. Dans toute entreprise, les deux choses les plus importantes n’apparaissent pas dans son bilan : sa réputation et ses hommes. »

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