Articles

Le contenu prime le discours

12/04/2017

L’authenticité des marques et de leur communication n’est plus une option. Elle est devenue pour le consommateur français une nouvelle exigence.

par Edouard Rencker,
Président de Makheia.

Plus de 50 % des Français n’ont plus confiance dans le discours des entreprises ! Et sur 10 ans, date de création du baromètre Makheia- Occurrence, qui précisément cherchait à vérifier la réalité du « désamour » entre les Français et les entreprises1, la tendance est à la baisse. Ils ne sont, en effet, plus qu’un gros tiers (37 % ) à croire celles-ci lorsqu’elles communiquent. Mensongères, opaques, abusives, manipulatrices ! La communication ne passe plus entre consommateurs, salariés, citoyens et entreprises, et les mots sont forts. Une « douche froide » pour les communicants et les dirigeants, tant pendant des années l’ensemble des études montraient, au contraire, que l’entreprise était une des rares enclaves préservée du doute et de la méfiance, à l’inverse des autres espaces publics, qu’ils soient politiques ou confessionnels ! Certaines études sur la communication interne présentaient même l’entreprise comme un des derniers maillons forts d’un « contrat social » en voie de disparition. Lieu de sociabilisation, l’entreprise était également un lieu de rencontre, d’échange, de vie. Le bureau, l’usine ou l’atelier apparaissant chaque matin comme le lieu réel par excellence. Un lieu de partage, un espace humain dans une société de plus en plus virtuelle. Aujourd’hui, le marché de la méfiance touche tous les émetteurs.

Une défiance absolue alimentée par les politiques

Politique-entreprise, les Français voient des circuits de décision opaques pour des fins identiques : des parts de marché d’un côté, des parts de voix de l’autre.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Une certitude : les frontières sont devenues poreuses : citoyen-consommateur, marketing-communication, prises de parole publiques et privées, com’interne-com’externe, BtoB, BtoC, tout communique… Et l’explosion des médias sociaux, la « transversalisation » de nos relations, l’« hyperconnexion » de chacun ont aboli les compartiments de la communication. Avec une conséquence inattendue : la crise de confiance envers la et les politiques alimente, par capillarité, la méfiance vers toutes les institutions et surtout la com’. En effet, tout se passe comme si le discours des entreprises était contaminé par la communication des politiques, comme si le mensonge politique avait peu à peu gangrené la confiance dans l’entreprise. La similitude de certaines courbes d’analyse est troublante. Ainsi, en 1961, 53 % des Français déclaraient faire confiance aux hommes politiques. Ils n’étaient plus que 43 % en 1978, 33 % en 2003, pour tomber à près de 25 % en 2010 et aux alentours de 15 % aujourd’hui ! Il est vrai qu’entre-temps, les Français ont « découvert » les diamants de Bokassa, les avions renifleurs, l’affaire Boulin, la fille cachée de Mitterrand, le sang contaminé et la subtile nuance de « responsable mais pas coupable », les emplois fictifs de la Mairie de Paris, les « frais de bouche » des Chirac, les comptes suisses de Cahuzac, les factures douteuses de Bygmalion… pour ne parler que des affaires touchant des présidents de la République ou des membres du gouvernement. Et les plus emblématiques… Avec un peu d’inertie, la courbe de confiance envers le discours des entreprises suit la même pente. Et surtout, les Français leur attribuent désormais exactement les mêmes maux (et mots) : opacité (88 % ), insincérité (83 % ), manipulation (75 % ), et finalement non-crédibilité (67 % ). Une symétrie troublante. Dans l’esprit de nos concitoyens, la communication est ainsi devenue celle qui manipule, qui cache, qui abuse. Ils imaginent, dans les deux cas, des officines parallèles, des « gourous » de la com’ surpuissants et manipulateurs, des services de presse rompus à tous les mensonges, entraînés à répéter les mêmes « éléments de langage », sorte de forme moderne de propaganda. Politique-entreprise, les Français voient des circuits de décision opaques pour des fins identiques : des parts de marché d’un côté, des parts de voix de l’autre. Une toute-puissance de la marque d’un côté, une notoriété politique digne du star-system de l’autre. De là à faire un transfert vers un « tous pourris » global, il n’y a qu’un pas qui semble avoir été franchi.

« Tous pourris »… sauf les enseignes de la nouvelle économie ?

La dernière édition du baromètre de l’authenticité (publiée début 2016), révèle néanmoins, outre une certitude confirmée, quelques nouvelles tendances plus positives. Certitude : la confiance dans les politiques et leur communication poursuit sa lente descente aux enfers avec une perte de trois points cette année ! 86 % des Français déclarent ainsi ne plus faire confiance aux discours politiques, dont 46 % « pas du tout » et 40 % « plutôt pas ».

Nouvelle tendance, et en revanche bonne nouvelle : on souligne un capital d’authenticité plus important dans les secteurs de consommation associée au plaisir. Tel est le cas des marques de grande consommation, comme Leclerc, et des technologiques, comme Orange ou Free. À l’inverse, le secteur énergétique ou encore les banques pâtissent d’une mauvaise image dont ils peinent à se détacher et restent, malgré une certaine amélioration, en queue de peloton depuis cinq ans. Les plus fortes progressions sont PSA, AXA, SG, MAIF, BNP, Allianz, Sanofi, et ENGIE. Seules six entreprises progressent pour la deuxième année consécutive, à savoir PSA, Renault, ENGIE, BP, MAIF et Orange. Second constat : les Français octroient toujours une prime à leur propre entreprise, avec près de 10 points d’écart. 60 % d’entre eux jugent effectivement leur entreprise plutôt crédible. Troisième constat : les 20-30 ans accordent toujours davantage de crédit aux entreprises que leurs aînés… avec plus de 40 points d’écart ! Aussi bien de manière générale que sur des entreprises particulières, cette classe d’âge se montre, d’une manière transversale et durable, plus bienveillante. L’écart avec les quinquas ne cesse, en revanche, de s’accroître, soulignant une rupture de plus en plus marquée entre la confiance accordée par les jeunes salariés et une méfiance (irréversible ? ) des salariés plus âgés. Quatrième constat : alors que les médias classiques demeurent chahutés, le média entreprise est solidement ancré dans le paysage des sources d’information. Les Français lui témoignent désormais un niveau de confiance équivalent à celui de la télévision ou des médias sociaux pour s’informer sur les entreprises. Radio, presse et Internet restent les sources les plus crédibles.

Vive la nouvelle économie… à part Uber !

Le plus remarquable de cette édition reste le spectaculaire score des entreprises de la nouvelle économie et du digital, qui font une entrée fracassante dans le baromètre et accaparent 9 des 10 premières places du classement. Seule La Poste s’intercale à la septième place des entreprises les plus crédibles. Le Bon Coin se classe premier avec un indice d’authenticité remarquable de + 34, alors que la moyenne est de - 7 toutes entreprises confondues et que, par exemple, Total, dernier de la liste, est à - 35 ! Suivent BlaBlaCar, venteprivee. com, Google, Amazon et Deezer.

Cette confiance massive n’est pas synonyme d’un blancseing naïf de la part des Français. En effet, derrière la victoire de ce que certains appellent les « nouveaux barbares », se cache une réalité plus contrastée, et notamment, déjà, des « brebis galeuses », à savoir Twitter, Uber et Facebook, qui se classent dans le dernier tiers du classement avec des indices d’authenticité négatifs (- 14, -14, - 18)… loin derrière Air France, Renault ou encore EDF. Plus spécifiquement, le mauvais classement du F de GAFA (Facebook) prouve qu’appartenir à la nouvelle économie n’incite pas forcément à une confiance aveugle et automatique. Si les Français se déclarent particulièrement enthousiastes, ils ne sont néanmoins pas naïfs !

Derrière la victoire de ce que certains appellent les « nouveaux barbares », se cache une réalité plus contrastée, et notamment, déjà, des « brebis galeuses ».

Cette méfiance envers ce qu’on pourrait nommer l’« Establishment » et que l’on retrouve également dans les expressions politiques est un signal qui appelle à une refonte des processus de réflexion stratégique déployés en communication. Il semble vital d’intégrer la notion d’authenticité ou d’acceptabilité (qui ne se proclame pas, mais se mesure) dans les processus d’analyse des marques, de simplifier les dispositifs de prise de parole des entreprises (par exemple en séparant les registres du réel – les faits et les chiffres – et de l’imaginaire – les territoires symboliques) – et enfin de redonner la primauté au(x) contenu(s) sur les discours. Le retour de la confiance entre marques et consommateurs, entreprises et citoyens est vital. Parce que la confiance est un gisement de valeur essentiel dans nos économies virtualisées. Parce que la communication est indispensable pour son rôle de « médiatrice », parce qu’on ne peut plus ne pas communiquer. Enfin, parce qu’on ne peut pas vivre indéfiniment dans le doute et la méfiance !

S’y ajoute, dans ce nouveau monde de transparence digitale, que la dissonance entre l’engagement des marques et leur réalité est désormais immédiatement sanctionnée. Les incohérences perçues entre les discours et les réalités peuvent être dramatiques.

Il semble donc nécessaire de retrouver une parole sincère, pérenne, honnête, qui permette de restaurer le lien de confiance rompu entre les entreprises, la communication et les citoyens. Une authenticité fondée autant sur les signes émis que sur leur acceptation. L’authenticité doit être co-construite. Être un point d’équilibre entre l’émetteur et les récepteurs, entre l’entreprise et les différentes parties prenantes. L’authenticité est une notion « élastique », qui demande à être travaillée et surtout confrontée. C’est également une idée forte, qui passe autant par la sincérité, la crédibilité, une certaine transparence… et par le fait de reconnaître ses erreurs. 76 % des consommateurs interrogés souhaitent en effet que les marques et les entreprises reconnaissent lorsqu’elles se sont trompées. Et autant estiment qu’il est normal qu’une entreprise puisse échouer ou rater un lancement produit. Ils estiment également qu’il serait vertueux qu’elles sachent le reconnaître. Comme en politique ?

Notes
(1)
 Baromètre de l’authenticité Occurrence-Makheia, réalisé auprès de 1 250 personnes.

Pour accéder à l'article complet, cliquez sur Article au format PDF

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.