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L’Uberconsommateur en attente de citoyenneté

12/04/2017

Confrontée à une forme de désenchantement, les marques doivent relever le défi que leur lancent des consommateurs aujourd’hui très vigilants sur le plan de la responsabilité sociale et environnementale.

par Nicolas Riou,
Président de la Consumer Agency Brain Value, et auteur de Consommateur digital, éditions Eyrolles, 2016.

Une étude récente1 montre que 75 % des marques ne manqueraient pas si elles venaient à disparaître. Un chiffre choc qui traduit la nécessaire remise en question des méthodes du marketing traditionnel, qui ne créent souvent plus que de l’indifférence. Pour faire partie du club des marques engageantes, celles qui génèrent un véritable attachement, les marques doivent de plus en plus se situer en affinité avec les valeurs et la culture de leurs consommateurs. À l’ère de la digitalisation, celles-ci ont changé, notamment pour la génération Y, particulièrement vigilante sur les notions de citoyenneté, de responsabilité sociale et environnementale.

Un consommateur acteur et plus réactif

Le marketing classique s’est construit sur un consommateur passif. En 2017, il est actif, et même devenu un véritable manager de sa consommation. Le monde digital lui offre de nouvelles possibilités, qui convergent dans le sens d’une exigence accrue vis-à-vis de la citoyenneté des marques. Sorties du champ de la consommation, ses marques préférées font partie intégrante de sa vie. À ce titre, il aime participer à leur marketing : les plateformes d’innovation partagées, les discussions sur les réseaux sociaux, le contenu généré par les utilisateurs (User Generated Content ou UGC) ou la présence d’« instagrammeurs » dans la communication des marques le prouvent. De même qu’il n’hésite plus à aider les autres consommateurs en donnant son avis en ligne, voire en prodiguant des conseils sur les forums. Il a pris l’habitude de noter les marques ou leurs produits, de les évaluer, de s’exprimer. Pour s’orienter, il a intégré le réflexe de vérifier les avis, de comparer les offres, voire d’interroger les forums. Dans ce contexte, il est normal qu’il soit plus enclin à demander des comptes aux entreprises sur les forums ou à exprimer son mécontentement. Le consommateur digital est mieux informé et fait preuve d’une plus grande maturité marketing. Il a une conscience plus aiguë des effets négatifs sur l’environnement de certains de ses choix. Impact de la consommation sur la santé publique, image de la femme ou des minorités, impact environnemental des modes de production, crises sanitaires ou socioéconomiques… autant de thèmes qui ont alerté l’opinion et ne laissent plus indifférent. Les sources d’information sont devenues nombreuses et peuvent se transformer en actions s’il le juge nécessaire. Le consommateur est à l’origine de la découverte de nombreux scandales impliquant marques ou entreprises, et les effets amplificateurs des réseaux sociaux lui offrent une arme redoutable. Une simple pétition en ligne, une critique sur Facebook, un article dans un journal en ligne ouvert aux contributeurs libres, un discours diffusé sur une plateforme live… les moyens d’expression offerts sont nombreux. Les consommateurs ont pris conscience des moyens dont ils disposent, et n’hésitent plus à les utiliser comme autant d’outils de contrepouvoir pour le cas où les marques seraient prises en défaut de citoyenneté. Ils attendent une grande réactivité de la part de ces dernières, qui en cas de crise ne peuvent plus faire le dos rond et rester silencieuses en « attendant que ça passe ».

Un consommateur en quête de sens et d’authenticité

La ruche qui dit Oui ! répond à une demande de rapport direct entre producteurs et consommateurs

L’engagement du consommateur s’exprime aussi dans son envie de donner du sens à sa consommation. Les valeurs de l’économie collaborative et celles du développement durable convergent vers une envie de consommer différemment et mieux. Plus tout à fait satisfait du modèle classique proposé par la société de consommation, fort d’une conscience plus aiguë de l’impact sur l’environnement de certains choix, il est sensible aux thèmes de l’économie circulaire. Recycler, consommer utile, prolonger la durée de vie d’un objet en lui offrant une seconde vie, sont autant de nouvelles pratiques qui échappent aux réflexes d’hyperconsommation du modèle précédent. De petits gestes quotidiens qui donnent à chacun le sentiment de faire sa part dans les changements, d’être ce « consommateur colibri2 » qui souhaite changer les choses en infusant des comportements nouveaux. Le monde digital a engendré l’économie collaborative. Il permet aussi de « désintermédier » et de proposer un rapport direct aux producteurs, comme le proposent les AMAP, et à moindre mesure les réseaux de type La Ruche qui dit Oui ! . Ces tendances s’inscrivent dans une nouvelle culture de consommation et influencent le rapport aux marques : plus grande attente d’authenticité, menace de désintermédiation si elles ne respectent pas ces nouvelles règles…

Un consommateur en quête de plus transparence

En quelques clics, n’importe quel consommateur peut avoir accès à toutes les composantes de la marque : sites Internet et forums, avis de consommateurs, opérations publicitaires ou sociales… et même accéder aux informations sur l’entreprise qui se tient derrière elle, comme le rapport d’activité aux actionnaires. Aujourd’hui, les marques se doivent d’être irréprochables sur le plan de l’éthique, ne serait-ce que parce qu’elles n’ont plus les moyens de cacher leurs informations compromettantes ou simplement dérangeantes. L’honnêteté et la transparence deviennent des prérequis. Les effacements de « posts » sur Facebook par certaines marques ont laissé des traces durables sur leur image. Les marques ne doivent pas tenter de dissimuler, mais plutôt d’expliquer. Il faut mettre en cohérence tous les points de contact avec les publics, afin que tous les messages racontent la même histoire. Un décalage de discours entre l’entreprise corporate et les marques peut faire des dégâts, comme ce fut le cas pour Unilever il y a quelques années : d’une part, le groupe encourageait l’acceptation de « toutes les beautés » et l’estime de soi sur la marque Dove ; d’autre part, il promouvait un idéal féminin très normé et proche de la femme objet sur la marque Axe. Une contradiction qui n’a pas échappé aux internautes et a valu au groupe un puissant buzz négatif. La possibilité de s’adresser directement aux marques en temps réel et la mémoire longue du Web créent de nouvelles exigences. La personnalité de marque devient un point clé dans la construction d’une relation de confiance.

Un consommateur plus exigeant

La campagne globale de Ben & Jerry’s en parallèle de la COP 21, un engagement qui témoigne du brand social role

Enfin, entre le consommateur digital et ses marques préférées, c’est souvent une véritable histoire d’amour, une brand romance3. De la part des marques ayant accédé, dans son panthéon personnel, au statut de love brands, le client en attend plus. Elles doivent bien sûr toujours proposer un produit et son bénéfice fonctionnel, mais leur rôle se situe bien au-delà, proche de celui d’un marqueur identitaire : « cette marque, c’est moi ». L’individu se construit par les marques qu’il choisit tout autant que par son adhésion à une religion, une idéologie ou une appartenance sexuelle. Les marques doivent cesser de ne voir leurs clients que comme des consommateurs pour s’adresser à eux en tant qu’individus. Et pour des marques qui deviennent de véritables « partenaires de vie », le consommateur est plus exigeant. Il veut qu’elles fassent la preuve de leur transparence et qu’elles soient irréprochables. Dans le cas contraire, il n’est plus question d’un simple écart de conduite, mais d’un véritable sentiment de « trahison ». La culture de consommation, qui constitue l’écosystème dans lequel les marques évoluent, a changé. Avec les réseaux sociaux, le collaboratif, ou encore l’habitude de participer au marketing, l’uberconsommateur n’a plus les mêmes exigences vis-à-vis des marques en matière de citoyenneté. Longtemps elles ont structuré leur marketing autour de deux grands axes : le corporate et le marketing. Aux yeux des consommateurs digitaux, entreprises et marques sont intimement associées et les frontières entre ces deux univers n’existent pas. En conséquence, transparence et citoyenneté ne sont plus de simples discours défensifs dans une stratégie marketing. Elles doivent être pilotées activement, jusqu’à en devenir de nouvelles USP (Unic Selling Proposition). À l’image des stratégies de Starbucks ou de Ben & Jerry’s, qui ont mis ces valeurs au coeur de leur dispositif, les marques ne doivent plus hésiter à développer un discours volontariste sur ces valeurs, afin d’affirmer leur brand social role.

Notes
(1)
 Étude Havas « Meaningful Brands » (300 000 personnes interrogées sur 34 marchés).
(2) Voir La Part du colibri, de Pierre Rabhi, fondateur du mouvement Colibris.
(3) Concept central dans l’approche de la marque de Brain Value, fondée sur l’idée que les marques sont devenues relationnelles avant d’être transactionnelles.

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