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Communication RSE : l’ère du corporate est révolue

12/04/2017

Une révolution change les règles et les frontières du marketing. Le Social Data Intelligence impacte de manière singulière la RSE et sa communication.

entretien avec Guilhem Fouetillou,
Cofondateur de Linkfluence
propos recueillis par Jean Watin-Augouard

Qu’est-ce que le Social Data Intelligence ? en quoi peut-il aider les entreprises à affiner leur stratégie marketing et de communication quand les clients parlent aujourd’hui massivement aussi bien sur Twitter, Instagram, YouTube que sur des blogs, forum, etc. ?

Guilhem Fouetillou : Le Social Data Intelligence est une industrie qui existe depuis une dizaine d’année et qui s’est, dans un premier temps, structurée autour de la capacité à aider les marques à prendre connaissance des contenus publiés à leur sujet sur le Web, à l’époque 2.0, constitué de blogs, forums et médias en ligne. Cette industrie a depuis beaucoup évolué, car les usages et les plateformes se sont démultipliés, les contenus accessibles devenus beaucoup plus nombreux. Les entreprises et les marques ont constaté que s’écouter soi-même ne suffisait plus, qu’il fallait écouter largement ses consommateurs, son industrie, ses concurrents, leurs produits, ses collaborateurs et plus globalement l’ensemble de ses parties prenantes. Le Social Data Intelligence s’appuie sur des technologies de big data, qui permettent d’analyser des millions de contenus quotidiennement. Pour notre part, nous analysons chaque jour 150 millions de verbatim, d’images sur Instagram, de tweets, de statuts publics sur Facebook, de messages de forums, de billets de blogs, d’articles de médias ou de pages de sites Web.

Comment transformer ces milliards de données en valeur et monitorer les canaux face à la multiplicité des supports ?

G. F. : Les technologies big data traitent en temps réel les données textuelles et images, et cela en plusieurs étapes. Il faut d’abord capter la donnée, identifier instantanément les contenus émis à travers le monde entier dont le sujet nous intéresse, grâce à un robot. Une fois le contenu identifié, il doit être capté, nettoyé, enrichi, indexé et mis à disposition au sein d’un tableau de bord. Ces immenses masses de données n’ont pas de valeur en tant que telles ; seul leur traitement et leur manipulation leur en donne. C’est ce que nous faisons au travers de plus de 150 indicateurs calculés pour chaque contenu, indiquant son sujet, ses mots clés, ses concepts, sa tonalité… qui parle – un homme, une femme, un journaliste, un média ? son âge, sa localisation – et enfin comment cela se diffuse, si le contenu est viral, s’il provoque de l’engagement, s’il a touché un grand nombre de personnes. Nous ne posons aucune question, les données recueillies sont déclaratives, nous analysons les traces que les gens laissent sur le Web, les contenus qu’ils ont voulu communiquer. Ce sont donc des « individus média », ceux qui prennent la parole sur le Web, et non des « individus privés ». Toutes ces données sont ensuite mises à disposil’ère tion au travers de tableaux de bord, qui permettent d’y accéder en temps réel et de les analyser selon les critères de son choix. L’utilisateur peut alors faire émerger des tendances, des mouvements de fond, des signaux faibles, il peut identifier des insights consommateurs, de nouvelles cibles, des ambassadeurs potentiels, des zones de risque à surveiller.

Cette industrie sonne-t-elle le glas des cabinets d’étude traditionnels ?

G. F. : Cette industrie ouvre aux entreprises une nouvelle fenêtre d’accès sur la société, qui a des propriétés uniques : elle est en temps réel, immédiate, globale, internationale, totalement exhaustive, spontanée – on ne pose aucune question –, et in vivo, non artificielle. Cela révolutionne les sources d’insight, de compréhension et de connaissances pour les entreprises et donne accès à la société en train de se faire. Les cabinets d’étude qui ne voient pas cette évolution et ne l’accompagnent pas ont des soucis à se faire. Par ailleurs, ces nouvelles méthodes ne se contentent pas de changer le marketing, mais révolutionnent les sciences sociales.

Crée-t-elle de nouvelles fonctions au sein de l’entreprise, existe-t-il des personnes dédiées à l’analyse des données ?

G. F. : Oui et non, car l’écoute du Web social se ventile auprès d’une multitude de fonctions dans l’entreprise. Comme pour le chief digital officer, dont la finalité est de disparaître une fois la transformation digitale opérée, le listening doit se diffuser partout. Ainsi les community managers ou social media managers, en charge d’animer les communautés des marques, sont friands d’outils d’écoute. C’est également le cas des market researchers, qui peuvent écouter et comprendre les consommateurs d’une manière renouvelée. Il existe également une multitude d’autres interlocuteurs dans l’entreprise amenés, de façon ponctuelle, à utiliser les résultats de notre écoute, des niveaux les plus opérationnels aux plus stratégiques.

Les médias sociaux amènent-ils les entreprises à modifier leur gouvernance ?

G. F. : Oui, totalement, car cette révolution, comme celles du numérique et du digital, est transversale : elle détruit les silos. Les nouvelles compétences doivent accompagner la transformation pour permettre à ces données de venir enrichir, nourrir tous les niveaux d’organisation, tous les départements. Mais selon les niveaux, ce n’est pas la même donnée qui sera valorisée. Il faut donc faire du sur-mesure en fonction des attentes diverses, celle d’un responsable de la relation client, d’un social media manager, d’un directeur marketing. Il faut trouver la forme idéale, donnée mise en forme ou rapport d’étude, à chaque fonction et à chaque niveau dans l’entreprise.

La transformation digitale remet au centre des entreprises leur client et change fondamentalement la relation à celui-ci. En quoi cette transformation concerne-t-elle les autres parties prenantes de l’entreprise ?

G. F. : Toutes les entreprises, aujourd’hui, veulent remettre le client au centre de leur organisation. Mais on oublie que le digital ne change pas que la relation au client, mais aussi avec l’ensemble des autres parties prenantes de l’entreprise, au premier rang desquels figurent les salariés. La transformation est aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur. Pour réussir sa transformation digitale avec ses clients, il faut d’abord l’avoir réussie en interne, et cela est impossible si l’on n’intègre pas les nouveaux modes d’implication, d’interaction et de collaboration entre salariés. Les questions portant sur la RSE, la gouvernance, les RH sont fondamentales, elles sont la condition première à la bonne transformation digitale des entreprises.

Alors que le numérique augmente l’impératif de transparence pour les entreprises, en quoi impacte-t-il leur RSE ?

G. F. : Nous sommes dans une ère de transparence généralisée, pour le meilleur et pour le pire. Les entreprises font face à une nouvelle donne : quand leur communication corporate porte sur leurs valeurs, leur finalité, leur image, celle-ci ne peut plus être univoque au regard de la pluralité de voix qui participent d’une symphonie, si tout se passe bien, ou d’une cacophonie, si tout se passe mal. L’enjeu pour les entreprises est d’accepter d’être plus communiquées qu’elles ne communiquent. Elles ne sont plus les seules à donner voix au chapitre. Leurs collaborateurs peuvent aussi participer au discours de l’entreprise, dont le discours RSE. Ils peuvent le contredire ou le prolonger, le compléter. Attention aux effets boomerang si l’entreprise reste sourde. Avant de communiquer sur la RSE, l’entreprise doit s’assurer que l’ensemble de la communication est alignée, que toutes les parties prenantes de l’interne susceptibles de devenir des relais, des ambassadeurs de cette RSE en ont bien connaissance et que les voix dissonantes ont bien été identifiées. D’une polyphonie potentiellement destructrice peut naître une symphonie qui va porter la voix de l’entreprise infiniment plus loin et lui faire gagner en sincérité et authenticité si ses messages en RSE sont soutenus par ses collaborateurs, devenus chacun centre de l’entreprise.

Quand, aujourd’hui, chaque collaborateur actuel ou passé peut engager la RSE de l’entreprise par sa prise de parole sur les réseaux sociaux, comment s’assurer de la bonne communication et cohérence de celle-ci ?

G. F. : Sur le plan opérationnel, il faut faire une inversion : ce que l’on voulait communiquer d’abord à l’extérieur doit l’être avant à l’intérieur auprès des salariés qui en sont comptables. Les social media policy sont des chartes éthiques d’utilisation des médias sociaux qui définissent ce que l’on peut dire au nom de l’entreprise, ce que l’entreprise ne veut pas endosser, les limites de la prise de parole, les moments où l’on parle en son nom propre et non au nom de l’entreprise. À cette phase défensive doit s’ajouter une phase offensive, avec un storytelling commun, partagé et formaté pour qu’il puisse être digéré et approprié par tous les salariés grâce à des outils.

À la condition de ne pas transformer les collaborateurs en petits soldats obéissants !

G. F. : Absolument, ils doivent avoir envie de porter le projet collectif de l’entreprise sans contrainte. Le contraire se voit et dessert l’entreprise, car les réseaux sociaux ne supportent pas la répétition et l’uniformité.

Les salariés peuvent-ils enrichir le social media policy ?

G. F. : On entre dans l’économie du « lâcher prise », l’un des grands sujets, aujourd’hui, des entreprises. Si les salariés s’approprient et prolongent le récit collectif, cela implique d’être à l’écoute pour pouvoir identifier les écarts, déviations et possibles dissonances.

Comment contrôler l’e-réputation de l’entreprise ?

G. F. : La polyphonie de toutes les parties prenantes devient la matière que les entreprises doivent non pas contrôler, mais observer, monitorer pour accompagner leur e-réputation, l’infléchir si besoin, voire l’alimenter.

En quoi le numérique change-t-il les modes de communication autour de la RSE tant sur les messages, leur ton que leurs véhicules ?

G. F. : Dans la mesure où l’entreprise est davantage « communiquée » qu’elle ne communique, elle n’est plus la voix unique qui porte les messages et qui maîtrise totalement ses canaux de communication, elle doit adapter ses messages et reconfigurer l’ensemble de ses prises de parole pour que les tiers puissent se les réapproprier et les diffuser. Le ton corporate de la communication RSE n’est plus vraiment efficace aujourd’hui. L’entre soi, avec ses propres règles, ses codes et ses tons n’est plus de mise. Il faut dorénavant composer avec un univers très hétérogène.

Une bonne politique RSE nécessite une veille environnementale, sociale, sociétale et juridique avancée. En quoi le numérique facilite-t-il celle-ci et ouvre-t-il de nouveaux horizons ?

G. F. : Pouvoir profiter d’une nouvelle fenêtre pour découvrir autrement la société en train de se construire est une opportunité pour les entreprises, qui peuvent penser différemment leurs projets, leurs stratégies et s’assurer de leur pertinence au regard des données réelles et des attentes des consommateurs. Le Web permet de sourcer et d’inscrire de manière plus appropriée et assurée la construction des messages et de faire ainsi en sorte que l’entreprise ne soit plus jamais en décalage, en déconnexion avec les préoccupations des consommateurs.

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