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Le portable au placard

12/04/2017

Entré en vigueur le 1er janvier 2017 dans le cadre de la loi Travail, le droit à la déconnexion vise à assurer le respect des temps de repos et de congés ainsi que l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

par Maria-Salomé Oré-Diaz,
Avocate au barreau de Paris

L’apparition des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans la vie de l’entreprise a permis de faciliter le travail en dehors de toute présence physique des salariés au bureau. Cette numérisation du travail a eu pour effet pervers d’introduire les voies de communication numérique, et de fait le travail lui-même, dans le foyer des salariés. Connectés en permanence, tant pendant les heures de présence obligatoire qu’en dehors, ces derniers sont alors sujets aux dépassements de la durée légale ou conventionnelle du travail et sont susceptibles, à terme, de développer les syndromes du burn-out. Partant de ce constat, les partenaires sociaux ont, dans un premier temps, encadré le télétravail par la signature de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juillet 20051. Puis, dans un second temps, ils ont inclus dans l’ANI du 19 juin 20132, relatif à la qualité de vie au travail, un article 17 intitulé « Promouvoir une gestion intelligente des technologies de l’information au service de la compétitivité des entreprises respectueuse de la vie privée des salariés ». La loi du 8 août 20163, enfin, a proclamé un « droit à la déconnexion » en deux phases successives : tout d’abord elle prévoit d’inclure dans l’accord collectif instaurant le forfait annuel en jours les modalités selon lesquelles le salarié concerné peut exercer son droit à la déconnexion4, cette obligation étant en vigueur depuis le 10 août 2016 ; ensuite elle modifie l’article L. 2242-8 du code du travail, lequel instaure un droit à la déconnexion pour l’ensemble des salariés (hors cadres dirigeants5), ce dernier est entré en vigueur le 1er janvier 2017. Cette nouvelle disposition impose à l’entreprise de négocier les modalités de mise en place du droit à la déconnexion des salariés. Ce n’est que si cette négociation n’a pas abouti que l’employeur pourra rédiger lui-même les règles relatives aux modalités d’exercice de ce droit, dans le cadre d’une charte. L’absence de négociation est sanctionnée par une peine d’un an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende6, mais aucune sanction légale n’est prévue si les négociations n’aboutissent pas et qu’aucune charte n’est rédigée.

Pour être précis, la mise en place du droit à la déconnexion de l’article L. 2242-8 est prévue pour les entreprises de plus de 50 salariés, puisqu’elle s’inscrit dans le cadre de la négociation annuelle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail. Pour les autres, il ne s’agit que d’une option, mais qui peut s’avérer fort utile. En effet, même en l’absence d’obligation ou de sanction, la conclusion d’un accord ou la mise en place d’une charte est une option intéressante s’agissant du respect de l’obligation générale de sécurité qui pèse sur l’employeur. En effet, le code du travail impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Après avoir longtemps été qualifiée d’obligation de résultat, cette obligation légale7 représente désormais une obligation de moyens renforcée8, qui permet à l’employeur, en cas de litige, d’écarter sa responsabilité en démontrant qu’il avait pris les mesures nécessaires pour garantir la sécurité des salariés. Dès lors, l’accord ou la charte prévoyant le droit à la déconnexion représentera, de fait, un élément de preuve du respect de l’obligation de sécurité. À l’inverse, l’omission d’un tel document témoignera du non-respect de cette obligation et emportera présomption de responsabilité de l’employeur.

Bien évidemment, l’accord ou la charte seront inefficaces s’ils ne prévoient pas de moyens concrets pour la mise en place et le respect du droit à la déconnexion : il va falloir imposer ce droit et les obligations qui en découlent à tous les salariés. Or, si la loi a pour objet de préserver leur santé, elle a aussi pour conséquence de réduire la flexibilité que pouvait offrir le travail en dehors des heures de présence obligatoire. Ainsi, le travail remis à plus tard pour être effectué au domicile après un départ anticipé du bureau ne sera plus possible.

Effectivité du droit

Comment faire pour rendre le droit à la déconnexion effectif ? Il est possible de trouver quelques indications à ce sujet dans l’ANI du 19 juin 2013, qui fournit des lignes directrices pour la négociation collective, telles qu’établir un bilan diagnostic préalable, définir des indicateurs spécifiques à l’entreprise, accompagner les équipes de direction et de management, promouvoir une gestion intelligente des technologies de l’information et de la communication au service de la compétitivité des entreprises respectueuse de la vie privée des salariés. Concrètement, cela peut se traduire par la mise en place d’un système spécifique à chaque catégorie de salariés en fonction des besoins de l’entreprise (notamment les cadres au forfait annuel en jours ou encore les travailleurs à domicile), par l’établissement de formations visant à sensibiliser sur l’utilisation raisonnable et responsable des TIC, par la mise en place d’interdictions de se connecter ou de répondre en dehors des plages horaires fixées, par la mise en veille des serveurs ou la coupure des connexions ou des lignes téléphoniques, la redirection des e-mails reçus en dehors des plages horaires fixée sur une boîte mail spécifique, la désignation d’un interlocuteur en cas de difficulté. Et, en cas d’urgence, la possibilité de solliciter la connexion en dehors des plages horaires fixées, car la vie de l’entreprise n’est pas un long fleuve tranquille et qu’il est parfois nécessaire d’offrir cette flexibilité aux salariés (déplacements à l’étranger, missions ponctuelles, etc.).

Les mêmes lignes directrices devraient guider la rédaction unilatérale de la charte. Dans ce cas, il serait de plus utile de l’annexer au règlement intérieur de l’entreprise, afin de lui donner une valeur normative. L’employeur pourra alors se prévaloir de celle-ci en cas de litige, et notamment en cas de violation par un salarié des interdictions qui seraient énumérées. Le second avantage de cette annexion est de soumettre la charte à l’examen du comité d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail, du comité d’entreprise, puis de l’inspection du travail, lui conférant ainsi une autorité peu contestable.

Ainsi, le droit à la déconnexion n’est pas uniquement un devoir pour l’employeur, mais également une obligation pour le salarié, qui devra, lui aussi, faire face aux éventuels débordements auxquels il a été habitué. Dans un monde où le travail s’apprécie davantage au rendement, il semble que la mise en place du droit à la déconnexion nous réoriente vers des journées de travail selon un horaire collectif non seulement « présentiel », mais également virtuel. En espérant que cette nouvelle organisation du travail aura l’effet espéré : préserver la santé des salariés et réduire le nombre des contentieux qui ont fleuri ces dernières années à ce sujet.

Notes
(1)
  Accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 relatif au télétravail, NOR : ASET0551387M.
(2)  Accord national interprofessionnel du 19 juin 2013 relatif à la qualité de vie au travail, NOR : ASET1351058M.
(3)  Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation du parcours professionnel
(4)  Article L. 3121-64 du code du travail
(5)  Article L. 3111-2 du code du travail
(6)  Article L. 2242-8 du code du travail
(7)  Articles L. 4121-1 et suivants du code du travail
(8)  Cass, soc. 25 novembre 2015, n° 14-24444

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