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Le local branding au service de la performance des marques

07/10/2016

Le « localisme » n’est plus un épiphénomène. C’est devenu une tendance de longue durée qui touche tous les consommateurs et renforce la réputation des marques.

par Arnaud Florentin,
Directeur associé, cabinet Utopies,
et Antoine Joint,
Consultant sénior, cabinet Utopies

Le local, nouvelle tendance lourde de la consommation

En 2016, près de 56 % des Français ont essayé d’acheter des produits locaux aussi souvent que possible. Selon l’indice Google trends, les recherches de « made in France » ont été multipliées par 10 depuis 2004, alors que les recherches associées à des achats (Google shopping) sur le thème du « local » ont été multipliées par 100 depuis 2008.

Privilégier le « made in local », les circuits courts et relocaliser l’économie afin de produire au plus près du consommateur et limiter les émissions de CO2… pour près de 75 % des consommateurs dans le monde, le pays d’origine d’une marque est aussi important, sinon plus, que les autres critères d’achat comme la qualité ou le prix du produit 1. Le « localisme », qu’il soit défini à la « maille » pays ou à celle de la région, n’est pas seulement l’affaire d’un petit segment de consommateurs (historiquement appelés « locavores ») auxquels une offre spécifique devrait être adressée. Il s’agit d’une tendance lourde concernant l’ensemble des segments de consommateurs et des marques de PGC.

Le « local », pour (re)donner de la valeur à la marque

Plus qu’une tendance, le local est aujourd’hui le premier vecteur de croissance des marques de grande consommation à travers le monde. Selon l’étude Brand Footprint de Kantar World panel 2, les marques « locales » (principalement destinées au marché régional ou national) défient leurs concurrentes mondiales. Les marques locales et régionales représentent 46 % des dépenses totales en PGC en 2015, et tirent plus de la moitié de la croissance du marché (58 % ). Elles se rapprochent de leurs concurrentes mondiales avec une croissance en valeur presque deux fois plus importante que celles-ci pour la troisième année consécutive. Dans l’Hexagone, neuf des dix marques les plus achetées sont aujourd’hui d’origine française.

Pourquoi un tel plébiscite pour les marques « locales » ?

Les années 2000 ont été le témoin du passage de la « marque produit » à celui de la « marque entreprise ». Dans un contexte marqué par la défiance et une recherche accrue d’informations, les consommateurs sont, depuis quelques années, de plus en plus nombreux à considérer, dans leur choix, non plus seulement la marque, mais aussi l’entreprise qu’il y a derrière. Ces consommateurs n’achètent plus seulement un produit fini, ils achètent également le « comment a été fabriqué le produit ».

Aujourd’hui, avec l’émergence de la « marque territoire », les consommateurs achètent l’écosystème « local » qu’il y a derrière la marque. Il est possible de distinguer quatre formes de marque « territoire » :

• La marque porteuse d’un patrimoine, d’une tradition locale, ou qui évoque le territoire dont elle est issue. La réputation de la marque repose ici sur la réputation de ce territoire dans un domaine reconnu (gastronomique, culturel…)

• L’Occitane, Paysan Breton, Burberry ou Armor Lux en sont quelques exemples.

• La marque porteuse d’une histoire locale (implantation historique de l’entreprise), à l’instar de Chrysler et de sa célèbre campagne marketing Imported from Detroit 3.

• La marque « label », qui regroupe des PME locales, à l’instar des marques de distributeurs « régions et terroir » (U de régions, Alliances locales de E. Leclerc…) ou autres marques locales (Produit en Bretagne, Sud de France…).

• Enfin, la marque « pollinisatrice » se donne pour mission de développer économiquement un territoire à travers une filière d’approvisionnement résolument locale : la CAMIF affirme vouloir « changer le monde de l’intérieur » à travers une démarche forte et transparente sur le made in France ; un choix de distribution militant : les produits de motoculture STIHL vendus aux États-Unis sont produits en majorité dans le pays et surtout distribués dans un réseau de 9 000 commerces locaux indépendants n’incluant de fait aucune chaîne nationale 4 ; ou le réinvestissement d’une partie des ventes dans le soutien aux entreprises locales, comme les fonds d’investissement local EDF, Total ou Michelin. Les essais de rapprochement de la production au plus près des marchés avec de petites « usines en kit » (comme le groupe Bel et La vache qui rit en Afrique) ou le système de micro-franchises solidaires (comme O2) vont également dans ce sens.

Quelles stratégie pour les marques ?

Les marques vont-elles devoir devenir toutes « locales » et communiquer sur leur « enracinement » ? Bien évidemment, une marque « globale » a pour vocation à gommer les imperfections éventuelles du local dans une logique de conquête des marchés internationaux. Historiquement, de nombreuses marques globales ont fait le choix de supprimer leurs attributs géographiques et de devenir des « marques apatrides », notamment dans le secteur des services Internet.

Néanmoins, la dimension géographique revêt une importance fondamentale dans la formation de la réputation. Elle inspire les médias sociaux et permet à certaines campagnes marketing de se répandre plus rapidement par un phénomène d’appropriation des valeurs fortes que portent les territoires eux-mêmes.

Si les marques régionales et nationales ont tout intérêt à valoriser leur ADN territorial, le local n’est pas le monopole des marques d’origine locale. Une récente étude de l’ILEC/ Utopies a permis d’évaluer que les 73 grandes entreprises adhérentes (dont une part importante de marques globales) représentaient près de 1 000 établissements (sites industriels, logistiques ou bureaux) répartis sur le territoire français et près de 113 000 emplois directs. De nombreuses marques dites globales ont, en dépit de cette catégorisation, des histoires locales à valoriser…

Mesurer et valoriser son empreinte économique locale

On constate, depuis plusieurs années, une croissance exponentielle des campagnes marketing axées sur le made in France ou le local. Qu’elles soient mises en scène (photos de salariés travaillant dans un site de production) ou reposant sur un sigle, pictogramme, logo ou label (petit drapeau ou carte de France, appellation d’origine contrôlée, indications « origine France garantie » ou « fabriqué en France »…), ces nombreuses communications portent à la connaissance des consommateurs des informations certes utiles, mais qui ne permettent pas vraiment de comparer les différentes marques en regard de leur degré d’enracinement local, de raconter le modèle économique local de l’entreprise et surtout de prendre conscience de l’impact économique réel de la décision d’achat.

Mesurer l’empreinte économique locale vise à quantifier le poids de l’écosystème local de la marque, à savoir les impacts « directs » (dans les murs de l’entreprise), mais aussi « indirects » (l’ensemble de la chaîne de fournisseurs amont) et « induits », comme tous les impacts liés aux dépenses de consommation des salariés et aux dépenses publiques financées par la fiscalité générée par l’activité économique de la marque. Une première façon de communiquer une empreinte économique vise à présenter de façon pédagogique l’« effet multiplicateur » (qui s’obtient en divisant les impacts totaux par l’impact direct) et offrir ainsi une vision normalisée de l’effet d’entraînement sur l’économie locale avec des comparaisons possibles entre marques. Exemple : l’empreinte économique de Fleury Michon en France, calculée avec le modèle Local Footprint 5 développé par le cabinet Utopies et présentée ci-dessous. Ce type de résultat peut être valorisé à travers le packaging (scan, QR-code qui redirige le consommateur vers un contenu Web plus dense), un teaser ou une micro-vidéo (réseaux sociaux, Web) 6, des brochures, mais également des temps forts en magasin.

Appliqué aux adhérents de l’ILEC, l’« effet multiplicateur » est, en France, de 3,65 : 1 emploi dans les établissements des entreprises adhérentes permet d’en soutenir chaque année 2,65 de plus dans le reste de l’économie française, soit près de 412 000 emplois soutenus au total chaque année par les adhérents ILEC en France, hors impacts en aval dans les points de vente distributeurs.

Une seconde approche consiste à mettre en place un système de scoring « impact économique local », par exemple sur la base d’un effet multiplicateur moyen. Cette démarche, qui a déjà fait l’objet de plusieurs initiatives en Amérique du Nord, permet simplement de comparer sur le packaging (avec des étoiles par exemple) le niveau d’enracinement local de la marque à des échelons territoriaux divers (ville, région, pays…).

Une dernière façon de présenter l’effet multiplicateur consiste à lancer une campagne marketing comparative, à l’instar des commerces indépendants nord-américains qui, depuis quelques années, multiplient les messages pour défendre leur plus-value locale (local premium), chiffres à l’appui, contre les enseignes et chaînes « non locales ».

Que la posture soit modeste, axée sur l’engagement de la marque à mieux s’enraciner localement, ou au contraire plus revendicatrice (le local comme réel argument de vente), le local branding constitue une opportunité à saisir pour augmenter la réputation et l’attachement des consommateurs aux marques de grande consommation.

Notes
(1) Étude Nielsen, qui a interrogé plus de 30 000 consommateurs dans 61 pays (avril 2016).
(2) Brand Footprint de Kantar Worldpanel est basée sur un total d’un milliard de foyers à travers 44 pays. Le classement complet analyse 15 000 marques, hors MDD.
(3) www.youtube.com/watch?v=SKL254Y_jtc.
(4) Aux États-Unis, STIHL soutient activement le mouvement Independant we stand : www.independentwestand.org/powered-by-stihl/.
(5) Utilisé par près de 120 grandes entreprises, Local footprint ® est aujourd’hui l’outil leader en France dans l’évaluation de l’empreinte économique locale. Pour en savoir plus : www.utopies.com/pdf/empreinte_economique.pdf.
(6) L’importance des chiffres et d’un message clair et rapide prend tout son sens lorsqu’on sait que 85 % des 8 milliards de vidéos vues chaque jour sur Facebook sont regardées sans que le son ne soit activé.

 

Adhérents de l’Ilec 1 : impact positif sur le territoire

par Richard Panquiault,
Directeur général de l’Ilec

À la différence de celui des fabricants de produits locaux ou de marques régionales, l’impact socioéconomique, en France, des fabricants de grandes marques (ou marques nationales) semble assez peu connu. Si de nombreux groupes internationaux ont leur siège social dans leur pays d’origine, leur filiale française développe, sur le territoire, toute une activité de production, de recherche, d’achats, de distribution... L’étude menée avec Utopies, s’appuyant notamment sur des données INSEE, a permis de suivre « à la trace » chaque euro dépensé et de mesurer l’impact socioéconomique 2, en France, des entreprises adhérentes de l’Ilec, et la manière dont elles stimulent localement tout un tissu économique. Les emplois, par exemple, sont comptabilisés à près de 412 000 équivalents temps plein sur un an lorsqu’on intègre non seulement les emplois directs (dans les établissements de chaque entreprise), mais aussi tous ceux qui sont dédiés à 100 % à leurs activités dans la chaîne de leurs fournisseurs, dans les administrations… L’étude montre également que ces emplois sont répartis sur l’ensemble du territoire, et dans plus de 378 secteurs d’activités. Ainsi, entre les sites de production (409), les sièges sociaux, les sites commerciaux ou encore les centres de recherche (586), les 73 entreprises de l’Ilec activent tout un système économique dans les différentes régions du territoire qui impacte une multitude de secteurs évidents comme l’alimentation, la restauration, le commerce ou la chimie, mais également le transport, l’éducation, la santé, le BTP… En créant une valeur ajoutée 3 de 27 milliards d’euros, les entreprises de l’Ilec totalisent 1,23 % du PIB.

 

Notes
(1) L’Institut de liaisons et d’études des industries de consommation (ILEC) est une association qui regroupe 73 entreprises fabriquant des produits de marque de notoriété nationale et internationale, alimentaires ou non, et qui représentent plus de 55 % des ventes sous marques en grandes et moyennes surfaces à dominante alimentaire.
(2) Hors impact aval dans le commerce de détail.
(3) Différence entre production et consommations intermédiaires (achats de biens et services). C’est la contribution du secteur à la richesse créée.

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