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Le brevet, un outil pour la valorisation de l’innovation des PME

07/10/2016

Innovantes, les PME semblent rétives au dépôt de brevet. Les raisons ne manquent pas. Et pourtant, leur développement économique, et donc leur avenir, en dépend.

par Koumba Koné,
Responsable adjointe du bureau de la propriété intellectuelle à l’université Pierre et Marie Curie et dirigeante du cabinet de conseil en droit des nouvelles technologies Koné & Associés.

Le brevet est un titre de propriété qui octroie à son propriétaire un ensemble de droits et d’obligations. La première de ces obligations est de l’exploiter ou de le faire exploiter et ce durant 20 ans. En regard, ce titre de propriété industrielle permet à son titulaire de mener des actions en contrefaçon contre quiconque l’exploiterait sans autorisation. De récentes études mettent en avant le caractère innovant des PME françaises 1. Pour autant, elles ne représentent qu’un faible pourcentage du nombre de dépôts effectués chaque année, loin derrière les grandes entreprises et grands groupes français, mais également loin derrière les autres PME européennes. Selon l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI), les demandes de brevets enregistrées et publiées par des personnes morales françaises en 2014 émanaient à 22,6 % des PME contre 57 % pour les grandes entreprises 2. Cet écart peut s’expliquer par les freins que représentent la complexité de la procédure de dépôt de brevet d’une part, et son coût d’autre part. Et pourtant, le brevet s’avère être pour les PME un outil indispensable en matière de développement économique, qui peut leur permettre d’acquérir les fonds nécessaires à leur croissance et de nouer des partenariats avec de grandes entreprises.

Les contraintes liées au dépôt d’une demande de brevet

À l’issue d’une période de recherche, une invention se développe… se pose alors la question de sa protection. Certaines entreprises font le choix de la protection par le secret. Il s’agit d’un choix économique : moins onéreux et moins complexe techniquement. Il s’agit également d’un choix stratégique : la technologie n’étant jamais divulguée, elle n’offre aucune piste de développement aux éventuels concurrents. A contrario, lorsqu’une PME opte pour le dépôt de brevet, elle découvre un parcours long et coûteux.

Le coût du dépôt d’une demande de brevet

Le dépôt d’une demande de brevet nécessite une organisation tant financière qu’administrative et juridique telle que les entreprises doivent s’offrir les services d’un cabinet en droit de la propriété industrielle qui puisse gérer l’ensemble de la procédure et les informer des frais engendrés – de la préparation au dépôt jusqu’à l’extension et au maintien du (des) brevet(s). Il faut compter en moyenne 5 000 à 6 000 euros pour le dépôt d’une demande de brevet en France, honoraires du cabinet de propriété industrielle compris. Une demande nationale directement dans un pays étranger – par exemple aux États-Unis, en Chine ou au Japon – s’élève à 10 000 euros minimum. 30 mois après le dépôt en France, l’entrée en phase nationale par voie PCT (Patent Cooperation Treaty ou Traité de coopération sur les brevets) s’élève en moyenne à 5 000 euros pour les États-Unis, à 6 000 euros pour la Chine ou le Japon. À cela s’ajoutent les annuités,qui augmentent régulièrement : à savoir 38 euros en France les cinq premières années, jusqu’à 220 à 790 euros par an les 10 dernières années 3, hors frais de cabinet. S’agissant des taxes de dépôt, des frais de traduction – en fonction des pays demandés –, des taxes de recherche, des frais de désignation des pays et enfin des taxes de délivrance du titre, il faut compter environ 5 300 euros de la demande de brevet européen à sa délivrance. Les honoraires des conseils en propriété industrielle s’élèvent le plus généralement de 220 à 350 euros de l’heure, soit de 30 000 à 60 000 euros pour maintenir un brevet dans deux ou trois pays (dans les meilleurs des cas, hors procédure d’opposition ou d’appel). On peut comprendre qu’une PME y réfléchisse à deux fois avant de s’orienter vers une stratégie de valorisation de l’innovation par les brevets. Ces procédures sont coûteuses, la délivrance du brevet conserve un caractère incertain, et il n’est pas évident que l’invention pour laquelle est effectuée la demande de brevet aboutisse à un produit commercialisable.

Une procédure juridique complexe

Une fois déposée la demande de brevet, les offices des brevets vont procéder à l’étude de ses revendications avant d’en accorder la délivrance. L’invention doit répondre à un certain nombre de conditions de fond et de forme.

Les conditions de fond.

L’invention doit remplir les conditions de brevetabilité édictées par la loi, c’est-à-dire qu’elle doit être nouvelle, impliquer une activité inventive et être susceptible d’application industrielle. Elle ne doit pas figurer sur la liste des inventions exclues de la brevetabilité par le code de la propriété intellectuelle 4. La catégorie de l’invention sera également contrôlée afin de vérifier sa conformité aux dispositions règlementaires encadrant les procédures de dépôt d’une demande de brevet 5, qui subordonneront l’étendue de sa protection : à savoir l’invention de produit, de procédé, d’application ou de combinaison. À cela, on peut préciser que, pour être brevetée, une invention doit répondre à la définition soulevée par l’Office européen des brevets dans sa jurisprudence 6, à savoir présenter « un caractère technique, […] apporter une solution technique à un problème technique, être applicable au plan industriel et pouvoir être reproduite sans effort excessif ».

Les conditions de forme.

La demande est transmise pour examen au ministère de la Défense, afin de vérifier que l’invention ne présente pas un intérêt pour la nation qui justifierait que sa divulgation soit empêchée ou retardée.Le ministère dispose alors d’un délai de cinq mois pour prendre sa décision de mise, ou non, au secret du brevet. Ensuite, l’INPI procède à un examen administratif – au cours duquel il va contrôler la régularité de la demande et s’assurer du paiement des taxes – et à un examen technique – au cours duquel les examinateurs vont contrôler la conformité des revendications avec les descriptions et interroger le principe d’unité de l’invention. En fonction des offices, les conditions de nouveauté et d’activité inventive seront examinées. Si le principe d’unité de l’invention n’est pas rempli, la PME devra faire une demande divisionnaire. Cette demande consiste à diviser le brevet en autant de concepts inventifs présentés dans la demande de brevet initiale.Un rapport de recherche sera adressé au déposant entre sept et neuf mois après le dépôt, faisant état de la technique et des antériorités existantes sur l’invention brevetée. Durant cette période, le déposant sera invité à répondre au rapport de recherche. Le brevet fera l’objet d’une publication dans un délai de 18 mois à compter de la date de dépôt. Puisque cette procédure est « accusatoire », les tiers vont également pouvoir, à compter de la date de publication, intervenir en émettant des observations et des oppositions 7.

Un rapport définitif sera adressé environ 25 mois après le dépôt, mentionnant les détails de brevetabilité de l’invention.

Le brevet peut faire l’objet d’un rejet pour irrégularité formelle de la demande, en cas d’absence de réponse par le déposant aux observations de l’INPI ou pour défaut de brevetabilité. Pour le territoire national, le brevet est délivré en moyenne 27 mois après la date de dépôt. Il faut compter entre trois et cinq ans pour une délivrance européenne. Cette procédure, particulière par rapport aux autres titres de propriété industrielle que sont les marques et les dessins et modèles, peut dissuader plus d’une entreprise de faire de multiples dépôts… Il est tout de même dans l’intérêt des PME de considérer le brevet comme un investissement qui fait suite à ceux déjà entrepris pendant la phase de R & D. Au terme de cette procédure, le titre de brevet acquis, la PME se doit de l’exploiter et de le considérer comme un outil économique : c’est lorsque l’innovation repose sur des perspectives commerciales que la stratégie de dépôt d’une demande de brevet prend tout son sens et son intérêt.

Le brevet, un outil indispensable pour la croissance des PME

L’exploitation d’un brevet – en interne ou de manière externe à l’activité de l’entreprise – peut en effet se révéler un investissement qui permettra à l’entreprise déposante de combler ses dépenses, et dans le meilleur des cas de faire des bénéfices.

Les contrats d’exploitation

Le contrat de licence d’exploitation. Le contrat de licence d’exploitation permet à la PME titulaire du brevet de concéder à un tiers licencié le droit d’exploiter celui-ci, en contrepartie d’une redevance forfaitaire ou d’un pourcentage sur les revenus tirés de l’exploitation – la PME conserve la propriété de son brevet, l’exploitation peut en être confiée à un ou plusieurs tiers. S’agissant du formalisme du contrat, ce dernier appliquera les règles propres aux contrats de louage conformément aux dispositions du code civil. Ainsi la PME devra-t-elle apporter une vigilance particulière à certaines clauses en respectant un certain formalisme sous peine de nullité du contrat. Elle devra en outre garantir un usage paisible du brevet au licencié et le garantir contre les vices cachés, et donc continuer à le maintenir en vigueur en en payant les annuités. Le savoir-faire et les perfectionnements liés au brevet pourront être communiqués, auquel cas une clause du contrat devra prévoir une licence sur ces derniers. Si la technologie le lui permet, la PME peut licencier le brevet à plusieurs entreprises en délimitant le domaine et le territoire d’exploitation de chacune. Le licencié aura pour obligation de payer les redevances et d’exploiter de façon effective le brevet pour lequel il aura obtenu une licence. Le contrat devra faire l’objet d’une inscription au registre national des brevets pour être opposable aux tiers.

Le contrat de cession.

La PME peut également opter pour une cession du brevet afin de lever des fonds beaucoup plus importants, de manière plus rapide. La cession se traduit par un transfert de l’ensemble des droits portant sur le brevet au tiers cessionnaire. Les règles portant sur le contrat de vente s’appliquent conformément aux dispositions prévues par le code civil. Un formalisme est également de rigueur sous peine de nullité du contrat de vente. Le contrat doit avoir un objet et donc porter sur le brevet délivré et en cours de validité ou sur une demande de brevet n’ayant pas fait l’objet d’un rejet. Le prix doit être déterminé ou déterminable, réel et sérieux. Le titre de propriété est transféré au cessionnaire qui en paie le prix. La PME doit assurer une jouissance paisible du brevet au cessionnaire, ainsi il doit la garantie contre l’éviction et les vices cachés. Le cessionnaire devient titulaire de l’action en contrefaçon à compter de la date effective de la cession. Enfin, le contrat devra faire l’objet d’une inscription au registre national des brevets pour être opposable aux tiers.

Le brevet permet également à la PME de développer des partenariats avec d’autres entreprises.

Les contrats de partenariat

Les PME, disposant de peu de moyens pour mener de multiples développements de leurs brevets et concevoir de nouveaux produits, sont sollicitées par de grandes entreprises qui leur confient une bonne partie de leur R & D. Les grands groupes – notamment dans le secteur pharmaceutique – agissent ainsi afin de renouveler ou améliorer leur portefeuille de brevets (de produit, de procédé ou d’application). Sans le recours au brevet, gage pour les grandes entreprises de sécurité industrielle, ces partenariats ne seraient pas possibles ou très difficiles. Le brevet permet par ailleurs aux PME de développer des partenariats de collaboration de recherche, que ce soit avec d’autres PME ou avec des organismes de recherche publics. Il leur permet également de constituer des co-entreprises et donc développer de nouveaux produits en accédant aux brevets des unes et des autres, tout en partageant R & D, circuits de distribution et réseaux de vente…

Enfin, les investisseurs de capital-risque ont plus de facilité à apporter des investissements à une entreprise détentrice d’un portefeuille de brevet. Si elles souhaitent collaborer durablement avec des partenaires industriels et être tout simplement compétitives, les PME doivent maîtriser le droit de la propriété industrielle et avoir une bonne gestion de leurs portefeuilles de brevets.

 

Notes
(1) www.journaldunet.com/economie/magazine/pme-innovantes/
(2) Emmanuelle Fortune, « Les PME et ETI déposantes de brevet en 2014 », analyses INPI, nov. 2015.
(3) Il faut noter que les entreprises de moins de 1 000 salariés bénéficient de 50 % de réduction sur les redevances brevet (source inpi.fr).
(4) Article L611-10 du code de la propriété intellectuelle.
(5) Article R612-18 et R612-19 du code de la propriété intellectuelle.
(6) OEB - Division d’opposition, le 8 décembre 1994 « Affaire Hoxard Florey Institute » JO OEB1995.
(7) Procédure d’opposition uniquement devant l’Office européen des brevets.

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