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PME, en avant Marque !

07/10/2016

Pour une PME, faire cohabiter marque de distributeur coeur de gamme et marque propre n’est plus un gisement de profit, mais une source de risques qui peut hypothéquer son avenir.

par Philippe Breton
PHB Consultants

Objets de toutes les sollicitudes, les PME sont actuellement à l’honneur dans les médias, y compris dans les catalogues et autres supports publicitaires de la grande distribution. Pas une enseigne qui ne vante leurs mérites et ne mettent en avant les vertus d’une collaboration réussie. Mais qu’en est-il dans la vraie vie ? Les PME profitent-elles réellement de ces belles déclarations d’amour ? Certes, de nombreuses études confirment leur récent regain d’attractivité, essentiellement consécutif à une baisse d’attractivité des marques de distributeur (MDD) ces dernières années. Encore faut-il disposer de marques fortes pour espérer profiter de cette embellie, ce qui est hélas loin d’être toujours le cas. En France, les PME ont pu se développer des années 1960 à 1990 en s’appuyant à la fois sur des marques régionales fortes et sur la production de MDD à fort volume, alors boudées par les leaders. Il faut cependant souligner que la performance des PME demeure intimement liée au mode d’organisation des enseignes et à la décentralisation qui y prévaut. Système U fût ainsi l’une des pionnières en la matière, avec la vision prémonitoire de Jean-Claude Jaunait, illustrée par le slogan toujours pertinent Vos emplettes sont nos emplois, adroitement relayée ensuite par Serge Papin ; Carrefour le fût également, à l’époque de la « pyramide inversée » de ses fondateurs, lorsque les magasins disposaient d’un pouvoir de négociation important. Si les PME pouvaient alors entretenir de bonnes relations commerciales avec des acheteurs régionaux proches du terrain et des clients, celles-ci sont devenues plus complexes avec les générations d’acheteurs professionnels, davantage formés à négocier avec des sociétés multinationales qu’à participer au développement régional de leurs fournisseurs. Les produits libres de Carrefour en 1976, puis les produits Carrefour en 1985 ont souvent permis à des PME inconnues du grand public d’exposer tout à la fois leur savoir-faire industriel, leur compétitivité et leur capacité d’innovation. Faute de fonds propres, les PME sont, en effet, contraintes de rentabiliser leurs investissements : elles ne peuvent se permettre une erreur de stratégie qui compromettrait la pérennité d’une entreprise bien souvent familiale. O tempora, o mores ! les PME sont confrontées à un choix cornélien : faut-il privilégier la production de MDD pour des centrales d’achat en voie de concentration (nationale et internationale) ou celle de sa marque propre ? Comment grandir avec les enseignes dans des conditions rentables ?

La fin du jeu gagnant-gagnant

Analysons les forces et les faiblesses de ces deux approches, sachant que la position du « stuck-in-the-middle » demeure toujours aussi périlleuse. La fabrication des MDD est-elle encore pour la PME une stratégie gagnant-gagnant, comme ce fût le cas aux origines ? La réponse est malheureusement négative. Pour preuve la décision de nombreuses entreprises disposant de marques connues – comme Lamy Lutti – d’abandonner cet univers. Plusieurs raisons conduisent, en effet, à s’interroger sur l’intérêt de fabriquer des MDD en 2016 . Du fait de la concentration des enseignes, les volumes des MDD dites coeur de gamme deviennent parfois disproportionnés par rapport à la taille de l’entreprise fabricante, sachant que le poids d’une enseigne dans le chiffre d’affaires de celle-ci ne devrait pas dépasser la barre des 25 % définie par la Commission européenne, ceci afin d’éviter les risques d’abus de dépendance économique – d’autant qu’en cas de non reconduction de contrat, l’avenir de l’entreprise serait alors fortement compromis. Certes, les enseignes, depuis l’étude historique menée avec le regretté Christophe Chain 1 en 1999, font prévaloir que plus de 75 % de leurs MDD sont produites par des PME, mais dans quelles conditions et à quel tarif ? 2. Les exigences des enseignes sur la sécurité des produits et des sites industriels, la qualité, la logistique, la compétitivité sont totalement légitimes dès lors que la réputation, l’image du magasin et de l’enseigne sont engagées. En revanche, l’explosion de la marge commerciale des MDD pose problème. Les enseignes ont, depuis les années 1995, oublié que le prix de cession des MDD était, à l’origine, en triple net. Les demandes de coopération commerciale, de merchandising, ne sont plus rares et les investissements des industriels pas toujours rémunérés à leur juste valeur, alors que ce devrait pourtant être la règle, dans le souci d’une relation équitable.

La MDD, pour quoi faire ?

Penchons-nous à présent sur les modalités des appels d’offres qui constituent le socle de la relation commerciale en MDD. Il est, à ce stade de notre analyse, utile de rappeler qu’à l’origine l’appel d’offres en MDD représentait un niveau plancher pour départager une liste restreinte de fournisseurs potentiels. Rien n’empêchait alors un industriel de faire une proposition plus qualitative, fondée sur son expérience du marché et sur sa profonde motivation à vouloir travailler avec l’enseigne. Toute la problématique actuelle des MDD, particulièrement en France, est dans la définition de leur vocation et de leurs missions. Estelle la traduction d’un positionnement stratégique différenciant de l’enseigne, se référant à ses valeurs spécifiques – sous réserve qu’elles existent – ou plus prosaïquement un vecteur de marge ? La massification en cours, depuis plusieurs décennies, présente de nombreux inconvénients pour les PME. Massifier les MDD permet certes d’augmenter les volumes potentiels, mais avec des spécificités de produits plus banales et plus basiques, qui risquent de les rapprocher de produits d’entrée de gamme. Faire reposer la différenciation des MDD uniquement sur les segments premiums, terroirs, bio, commerce équitable, sans gluten, vegan… devient illusoire, dans la mesure où toutes les enseignes se copient. Communiquer uniquement sur ces gammes premiums (5 % seulement de part de marché) pour se donner une bonne conscience revient à banaliser le coeur de gamme (25 % de part de marché) que les leaders revendiquent à présent fortement par le biais de promotions fort attractives. Outil de conquête de nouveaux territoires à l’origine et socle d’un partenariat fondé sur la confiance, l’appel d’offres est devenu un outil coercitif destiné à faire baisser les coûts d’achat de la MDD. Ainsi, il est désormais courant pour l’industriel qui demande une hausse légitime du prix de cession de la MDD, suite à une augmentation réelle de la matière première, de se voir menacer d’un nouvel appel d’offres, avec le risque de voir arriver un nouvel entrant européen, voire mondial, qui ne serait pas tenu par les mêmes contraintes salariales, réglementaires ou encore environnementales. L’appel d’offres ne s’effectue plus « toutes choses égales par ailleurs », ce qui dénature fondamentalement la philosophie de la relation de confiance réciproque indispensable en MDD. Une épée de Damoclès est donc en permanence brandie au dessus de la tête des PME. Par ailleurs, il faut bien reconnaître que les structures humaines des PME sont rarement suffisantes pour répondre aux exigences des multiples interlocuteurs des enseignes : ingénieurs qualité, ingénieurs environnement, acheteurs, responsables marketing et packaging… sans oublier les juristes. Ceci nécessite de fréquents déplacements, coûteux en temps comme en argent, avec en prime des demandes des enseignes qui ne sont pas toujours cohérentes. Faire de la MDD dans ces conditions devient aléatoire et requiert une spécialisation et une organisation entièrement tournées vers l’enseigne. S’il est encore possible de faire cohabiter MDD premium et marques régionales, comme dans le cas de Reflets de France, cela devient plus périlleux lorsqu’il s’agit de faire cohabiter à la fois MDD coeur de gamme et marques propres de l’industriel. Une des solutions pourrait consister à ce que les enseignes s’engagent durablement selon une logique de subsidiarité dans la régionalisation des achats d’une partie de l’assortiment, comme c’était le cas aux origines de la grande distribution. Les obligations de la RSE, trop souvent cantonnées aux rapports aux actionnaires pour servir d’alibi et améliorer l’image du secteur, ne pénètrent pas assez souvent au sein des box de négociation. Pour des raisons à la fois politiques et culturelles, la grande distribution éprouve en France les plus grandes difficultés à tenir un autre discours que celui du prix. Les MDD offraient pourtant une autre voie et d’autres opportunités que peu d’enseignes, à l’image de Décathlon ou de Sephora, ont su explorer et exploiter avec efficacité. Comme dans la fable du scorpion et de la grenouille 2, il est dans la nature des enseignes de se battre pour des prix toujours plus bas via la négociation… mais jusqu’à quand ?

Le dirigeant, acteur central de la PME

Au-delà des MDD, de plus en plus d’organisations professionnelles (Ania, Feef…) se posent des questions légitimes sur l’avenir des PME dans un environnement sociétal en profonde mutation. Force est de reconnaître que des efforts louables ont déjà été entrepris par les enseignes avec la multiplication des revues de marché, des salons de l’innovation avec référencements et publications dans les catalogues à la clé. Ces rencontres donnent ainsi l’occasion aux acteurs de mieux se connaître, d’appréhender leurs contraintes respectives et d’échanger autour des produits en dehors des box de négociation. Les PME deviennent tendance, sachons en profiter ! Auraient-elles un avenir hors des MDD ? après Ben & Jerry’s intégrée au sein d’Unilever ou Michel et Augustin rapprochée de Danone 3, la seule issue pour une PME performante ne seraitelle que le rachat par un groupe multinational ? Avec l’arrivée du digital, la recherche de pépites ou mieux encore des fameuses « licornes » parmi des start-up plus créatives et mieux branchées sur les générations actuelles devient un axe stratégique majeur pour les leaders comme Procter & Gamble, qui innove en montrant la voie depuis plus de 10 ans. Comment les marques des PME peuvent-elles développer leur attractivité pour les enseignes ? En France, à défaut de stratégies d’enseigne clairement explicites et pérennes, elles doivent savoir anticiper leurs attentes et leurs besoins. Au-delà de ses produits, la force d’une PME réside avant tout dans la vision et l’enthousiasme de son dirigeant ; la marque d’une PME serait ainsi avant tout patrimoniale. L’une de leurs difficultés, faute de moyens financiers mais aussi d’interlocuteurs réceptifs, est de réussir à mettre en scène leur propre histoire, apportant la preuve de la réelle création de valeur dans notre société qualifiée de « (mé)contemporaine » par Gérard Mermet. C’est tout l’intérêt de l’initiative de la Feef, cherchant à fédérer ses industriels au travers d’une démarche porteuse de sens et de valeurs avec son label Entrepreneurs Engagés +. Ce label, certifié par Ecocert, récompense une démarche de responsabilité sociétale qui engage l’entreprise et tous ses collaborateurs. Travailler avec ces entreprises apporte un réel crédit aux enseignes et conforte le rôle d’incubateur de la distribution. Dès lors, il serait dans l’intérêt de la grande distribution de les aider à se développer et à grandir pour leur permettre d’embaucher, de se diversifier dans divers circuits et pays et d’anticiper les marchés futurs. Il est commun de penser que travailler avec les grandes enseignes revient comme Faust à vendre son âme au diable, mais soyons optimiste : à la fin de l’oeuvre de Goethe, Faust est sauvé par l’amour de Marguerite. Qui sera le sauveur de nos chères PME ?

 

Notes
(1) Christophe Chain, décédé en 2001 alors qu’il occupait le poste directeur marketing national et international au sein de la société Panel International (filiale de ACNielsen), était renommé pour l’expertise de ses analyses au service de la grande distribution. 
(2) Une célèbre fable populaire narre l’histoire d’un scorpion demandant à une grenouille de l’aider à traverser une rivière. Après un premier refus, la grenouille, bien qu’effrayée par l’aiguillon venimeux du scorpion, finit par accepter, convaincue qu’une piqûre les conduirait tous deux à leur perte. Et pourtant, au milieu de la rivière le scorpion la pique mortellement. Avant de sombrer, la grenouille demande la raison de ce geste… son compagnon lui répond : « c’est dans ma nature » ! Le Scorpion et la Grenouille illustre parfaitement le caractère irrépressible de certains comportements, indépendamment des conséquences qu’ils impliquent. Une étude publiée en 2011 fait un lien entre cette fable attribuée au folklore d’Afrique de l’Ouest et la tradition indienne du Pañchatantra, épopée fondée sur un ensemble de fables animalières, qui prendraient source au IIIe siècle avant notre ère. 
(3) Cf. "Michel et Augustin, couple fécond"

 

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