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JC Decaux, une marque au service des publics

12/01/2017

Numéro un mondial de la commu­ni­ca­tion exté­rieure, la marque JCDe­caux déploie son savoir-faire dans 75 pays et parti­cipe au rayon­ne­ment de la marque France depuis plus de 50 ans.

par Jean Watin-Augouard
Entretien avec Albert Asséraf

Comment devient-on le numéro un mondial de la commu­ni­ca­tion exté­rieure (mobi­lier urbain, trans­port, affi­chage), et demain de la mobi­lité ?

Albert Asséraf : En 1964, Jean-Claude Decaux, le fonda­teur de l’en­tre­prise, eut une idée très inno­vante : finan­cer un service très utile au public, un abri voya­geur, par de la publi­cité. Si le premier fut installé à Lyon, le modèle a depuis fait le tour du monde pour être aujour­d’hui déployé à travers 75 pays et 4 500 villes. JCDe­caux est devenu en 2010 le numéro un mondial de la commu­ni­ca­tion exté­rieure, avec un action­na­riat toujours majo­ri­tai­re­ment fami­lial et un mana­ge­ment assuré par les fils du fonda­teur. La stra­té­gie de l’en­tre­prise : être la meilleure de son secteur et concen­trer ses efforts (savoir-faire, compé­tences et inves­tis­se­ment) sur une seule acti­vité, en en élar­gis­sant la portée. De nombreux types de mobi­liers urbains composent l’offre JCDe­caux : kiosques à jour­naux, colonnes Morris, vélos en libre-service, écrans digi­taux, sani­taires, mobi­liers d’in­for­ma­tion… implan­tés dans les univers des villes, gares, aéro­ports, métros, centres commer­ciaux en parti­cu­lier. Atout majeur : la famille dirige le groupe depuis plus d’un demi-siècle, avec aujour­d’hui le trio formé par Jean- Fran­çois, Jean-Charles et Jean-Sébas­tien. Leur stra­té­gie est celle du long terme et dès lors qu’un concept est créé, il doit pouvoir se trans­po­ser dans le monde entier, car les besoins auxquels nous répon­dons sont univer­sels.

Comment évolue chacune de ces trois acti­vi­tés, sur le plan mondial et au sein de JCDe­caux ? Combien de personnes touchez-vous dans le monde ?

A. A. : Sur les trois segments, deux sont très dyna­miques, le mobi­lier urbain et l’af­fi­chage dans les trans­ports, tandis que l’af­fi­chage grand format ne repré­sente plus que 15 % de notre acti­vité. Les villes attendent toujours plus de services, ce qui oriente natu­rel­le­ment notre offre vers des mobi­liers urbains. Sur l’en­semble de nos supports, nous touchons chaque jour plus de 400 millions de personnes diffé­rentes dans le monde, avec un niveau de répé­ti­tion qui varie selon les segments et les géogra­phies. Nous sommes, avec le Web, le seul média plané­taire avec une marque éponyme mondiale.

Le média commu­ni­ca­tion exté­rieure attire-t-il de nouveaux concur­rents ?

A. A. : Le marché est aujour­d’hui concen­tré, et nous sommes deve­nus numéro un mondial, par crois­sance orga­nique, en déve­lop­pant nos services et, par crois­sance externe, en rache­tant des acteurs locaux ou régio­naux. C’est ainsi que nous sommes présents à New York avec les abris voya­geurs rache­tés à la société CEMUSA, tandis qu’à Londres nous avons gagné le marché face à Clear Chan­nel, notre seul concur­rent mondial (bien que majo­ri­tai­re­ment implanté aux États-Unis). Les autres opéra­teurs ne travaillent en géné­ral qu’à l’éche­lon local. Nous sommes aujour­d’hui la seule entre­prise établie dans 75 pays. Les nouveaux entrants sont actifs en se déployant à partir d’un seul pays.

Quels services le mobi­lier urbain peut-il appor­ter aux consom­ma­teurs- citoyens ? Consi­dé­rez-vous JCDe­caux comme une marque au service du public ?

A. A. : Nous avons toujours innové sur les services appor­tés au public. C’est à JCDe­caux que l’on doit les flèches direc­tion­nelles dans les villes, les panneaux « Histoire de la cité » qui dispensent les notices histo­riques de lieux et monu­ments remar­quables, les 400 sani­taires gratuits pari­siens, les kiosques à jour­naux, les 130 000 loca­tions quoti­diennes de Vélib’ à Paris… Nos services ont pour objec­tif de rendre la ville plus confor­table, plus accueillante, en conser­vant toujours une dimen­sion esthé­tique. JCDe­caux est ainsi au service du public pour amélio­rer la vie quoti­dienne. Tous nos mobi­liers sans excep­tion sont utiles sur un espace public rare où chaque objet doit trou­ver sa juste place. Nous déve­lop­pons de plus un modèle vertueux, puisque la publi­cité finance entiè­re­ment ces services, qui rapportent de surcroît parfois de l’ar­gent aux villes (rede­vance pour l’oc­cu­pa­tion de l’es­pace public). Pour autant, il a fallu dans certains pays comme le Japon de longues années pour que la loi auto­rise notre modèle, la publi­cité sur l’es­pace public.

En termes de mobi­lité ?

A. A. : Nous menons de nombreuses études quantitatives et qualitatives pour connaître les attentes du public, études auxquelles nous associons sociologues, urbanistes, designers… et bien entendu nos propres équipes. En France, le vélo en libre- service est né en 2005 à Lyon de la convic­tion de Jean-Claude Decaux et d’un travail d’ana­lyse, de concep­tion, d’exé­cu­tion… à même de répondre à une véri­table attente en termes de mobi­lité : pouvoir se dépla­cer 24 h/​24 et 7 J/​7 avec un moyen de trans­port bon marché – 29 euros par an pour un nombre illi­mité de trajets dans le cas de Vélib’ – et simple d’ac­cès grâce au paie­ment par carte bancaire. À Paris, 110 méca­ni­ciens du groupe sont char­gés de la main­te­nance des Velib’. Nous sommes aujour­d’hui présents avec les vélos en libre-service dans 13 pays. Le modèle écono­mique repose sur les recettes publi­ci­taires du mobi­lier urbain.

Quelles offres nouvelles fondées sur les tech­no­lo­gies numé­riques appor­tez-vous aux villes qui expriment de nouveaux besoins dans le cadre de la ville intel­li­gente et connec­tée ?

A. A. : À Paris, où nous avons renou­velé pour 15 ans le contrat des abris voya­geurs, nous propo­sons de nouveaux services sur un mobi­lier dessiné par le desi­gner Marc Aurel : 2 000 ports USB pour rechar­ger son mobile, des infor­ma­tions voya­geurs plus visibles, un bouton destiné aux malvoyants qui permet de s’en­tendre déli­vrer orale­ment les infor­ma­tions de temps d’at­tente, des toits végé­ta­li­sés ou photo­vol­taïques, des accès faci­li­tés par l’ar­rière de l’abri, une consom­ma­tion élec­trique divi­sée par deux… Pour les annon­ceurs, nous asso­cions à leurs campagnes des opéra­tions événe­men­tielles comme ces « vitrines urbaines » qui présentent un produit réel durant 7 à 14 jours. Plus géné­ra­le­ment dans le monde, nous sommes en posses­sion d’1,2 million d’ob­jets dont 50 000 écrans digi­taux qui repré­sentent envi­ron 10 % de nos reve­nus. Ces écrans ont l’avan­tage de propo­ser de la commu­ni­ca­tion en temps réel, de présen­ter des conte­nus diffé­rents selon les jours, les moments de la jour­née, les lieux… Les barrières d’es­pace et de temps tombent progres­si­ve­ment. Nous trans­for­mons actuel­le­ment à Londres 1 000 abri­bus en abri­bus digi­taux. Grâce aux données que nous collec­tons chez diffé­rents parte­naires et insti­tuts d’études, nous pouvons quali­fier des compor­te­ments, des quar­tiers, les personnes qui y résident ou y travaillent, et mieux en connaître les profils. Nous consti­tuons ensuite des offres affi­ni­taires. Une marque de luxe n’aura pas la même campagne qu’une marque de PGC. Ici, on est en one to few : nous propo­sons une commu­ni­ca­tion affi­ni­taire. Les marques peuvent adres­ser le bon message au bon endroit au bon moment et pour la bonne audience. Mais nous gardons bien entendu intacte notre excep­tion­nelle capa­cité à déli­vrer des campagnes puis­santes et effi­caces. Pour en reve­nir à l’af­fi­ni­taire, nous avons 400 écrans digi­taux dans les diffé­rents termi­naux de Paris Aéro­ports, tous connec­tés à l’info-vol, ce qui permet de connaître en temps réel les arri­vées et départs de vols. Pour un avion en prove­nance de Pékin, l’in­for­ma­tion sera déli­vrée à Roissy en chinois et en fran­çais. Avec le digi­tal, on entre dans une commu­ni­ca­tion contex­tua­li­sée.

Quelle est la fonc­tion de JCDe­caux Link ?

A. A. : C’est un dépar­te­ment au sein du groupe qui déve­loppe nos offres de connec­ti­vité, comme par exemple des services de Wi-Fi gratuits et illi­mi­tés. Ainsi, nous avons remporté la consul­ta­tion lancée par le comité des Champs-Élysées, et le Wi-Fi est désor­mais offert à tous en très haut débit sur l’in­té­gra­lité de l’ave­nue, du rond-point jusqu’à l’Étoile. Il y a chaque année 100 millions de visi­teurs et notre infra­struc­ture permet de connec­ter jusqu’à 35 000 personnes simul­ta­né­ment. JCDe­caux Link propose égale­ment le déploie­ment de petites antennes, des micro­re­lais, dans les mobi­liers urbains pour amélio­rer la connec­ti­vité du réseau. À Amster­dam, nous en avons installé avec Voda­fone dans 200 abri­bus.

Quels sont vos prin­ci­paux annon­ceurs ?

A. A. : Nos annon­ceurs sont issus d’une grande variété de secteurs d’ac­ti­vi­tés. Sur les 100 plus grandes marques mondiales, 96 travaillent avec nous. Nous avons égale­ment de nombreux annon­ceurs natio­naux et locaux. C’est la force du média JCDe­caux que de s’adres­ser à tous les annon­ceurs, au béné­fice de toutes les cibles. Depuis deux ans, nous obser­vons par exemple un très fort déve­lop­pe­ment des pure players du Web – Google, Uber, Le Bon Coin… –, qui n’ont pas de présence physique, mais qui construisent avec nous une commu­ni­ca­tion statu­taire. Parmi nos grands annon­ceurs en Grande-Bretagne figurent désor­mais Google et Face­book. JCDe­caux est en quelque sorte le relais de ces marques dans le monde réel.

Comment embel­lir le paysage urbain ?

A. A. : Dès les années 1980, Jean-Claude Decaux a souhaité faire appel à des desi­gners pour rendre les mobi­liers esthé­tiques et durables. Les contrats allant de 15 à 30 ans, l’en­jeu reste de conce­voir un mobi­lier qui s’in­tègre sur l’es­pace public tout en dépas­sant les esthé­tiques du moment. Nous travaillons ainsi avec 150 desi­gners dans le monde : à Paris, vont prochai­ne­ment voir le jour les nouveaux kiosques conçus par Matali Cras­set, Patrick Jouin a dessiné les stations Velib’ et les sani­taires à entre­tien auto­ma­tique (ex sani­settes). D’une ville à l’autre, le design n’est pas le même, il doit s’adap­ter à la culture locale.

Les besoins en termes de commu­ni­ca­tion exté­rieure varient- ils selon les pays ? Quels sont les pays qui recourent le plus à la commu­ni­ca­tion exté­rieure ?

A. A. : Aujour­d’hui, la demande est mondiale, toutes les villes ont compris qu’elles doivent commu­ni­quer auprès de leurs citoyens. Le mobi­lier urbain pour l’in­for­ma­tion (MUPI ou « sucette ») consacre la moitié du temps à la collec­ti­vité et l’autre moitié à la publi­cité. La ville peut donc faire passer des messages sur les événe­ments cultu­rels, la mobi­lité, les actions qu’elle mène…

En janvier 2015, Grenoble a rési­lié son contrat avec JCDe­caux au prétexte de deve­nir une ville sans publi­cité : un cas isolé ou un risque de propa­ga­tion ?

A. A. : C’est la première fois en France qu’un maire, Éric Piolle, prend la déci­sion de ne pas renou­ve­ler notre contrat sur le mobi­lier urbain d’in­for­ma­tion. Si les abri­bus et leurs vitrines publi­ci­taires sont toujours là, nos 330 mobi­liers urbains ont été reti­rés à la fin du contrat. Cela a deux consé­quences pour la ville : elle perd 600 000 euros de rede­vance annuelle, soit six millions sur 10 ans, et elle ne peut plus commu­ni­quer auprès de ses habi­tants qu’à travers des supports qu’elle a dû elle-même instal­ler à ses frais et qui ne présentent pas, selon nous, les mêmes stan­dards de qualité et d’en­tre­tien/ main­te­nance.

Vous arrive-t-il de refu­ser des publi­ci­tés au nom de règles éthiques ?

A. A. : Oui, car notre service juri­dique valide tous les visuels avant leur expo­si­tion. Il arrive que notre comité éthique refuse certains visuels qui ne respectent pas la repré­sen­ta­tion des femmes dans la société, certaines règles morales… Il nous arrive égale­ment de deman­der conseil à l’ARPP quand cela s’im­pose.

Quelles sont vos actions en termes de déve­lop­pe­ment durable ?

A. A. : Nous avons trois axes majeurs – l’en­vi­ron­ne­men­tal, le social et le socié­tal – et six prio­ri­tés : réduire nos consom­ma­tions éner­gé­tiques et nos impacts envi­ron­ne­men­taux, déployer une poli­tique santé-sécu­rité et une poli­tique sociale ambi­tieuses, renfor­cer le déve­lop­pe­ment durable dans notre poli­tique d’achats et enfin favo­ri­ser l’en­ga­ge­ment des colla­bo­ra­teurs en faveur du déve­lop­pe­ment durable. Quelques illus­tra­tions : sur le plan envi­ron­ne­men­tal, la consom­ma­tion élec­trique des nouveaux abri­bus pari­siens a quasi été réduite de moitié grâce aux nouvelles tech­no­lo­gies LED, dont l’in­ten­sité varie en fonc­tion de la lumi­no­sité ambiante : plus il fait nuit, plus l’in­ten­sité baisse. Toujours à Paris, les colonnes Morris sont équi­pées de récu­pé­ra­teurs d’eau pluviale, permet­tant une auto­suffi sance en matière de nettoyage. Nous avons en France plusieurs milliers de colla­bo­ra­teurs sur le terrain qui affi chent, nettoient, entre­tiennent. Être sur l’es­pace public nous donne des droits et nous impose des devoirs, tous nos agents ont ainsi été formés à une conduite adap­tée leur permet­tant d’éco­no­mi­ser de l’ordre de 10 à 15 % de carbu­rant. Sur le plan social, 96 % de nos colla­bo­ra­teurs sont en CDI, car nous souhai­tons avoir une vraie culture d’en­tre­prise. Des plans de forma­tion leur sont propo­sés pour renfor­cer leurs compé­tences et susci­ter leur fidé­lité. Enfin, sur le plan socié­tal, nous sommes parte­naires d’as­so­cia­tions – Aides, Emmaüs… – en France et dans le monde, auxquelles nous offrons des espaces pour qu’ils puissent s’adres­ser au plus grand nombre.

 

Hommage

Il y a quelques mois dispa­rais­sait Jean-Claude Decaux Ceux qui l’ont bien connu savent l’éner­gie et la téna­cité qu’il a eues pour créer et impo­ser un nouveau média dans le paysage urbain, et le combat qu’il a mené pour s’im­plan­ter sur un marché où, dès le début, les pres­crip­teurs tradi­tion­nels ne lui dérou­lèrent guère le tapis rouge.

Avec obsti­na­tion il a fait préva­loir le sens de l’es­thé­tisme et le souci de la qualité auxquels il était profon­dé­ment atta­ché.

Il a connu une réus­site d’en­tre­pre­neur excep­tion­nelle et fait de sa société, en quelques décen­nies, un des leaders mondiaux de la commu­ni­ca­tion exté­rieure.

Que ce soit dans la ville ou dans les aéro­ports, les mobi­liers propo­sés par sa société béné­fi­cient d’une main­te­nance irré­pro­chable et d’un souci perma­nent de la propreté. Ils apportent services et infor­ma­tions au public tout en mettant à la dispo­si­tion des annon­ceurs des espaces très valo­ri­sants pour les marques.

Inno­va­teur vision­naire, soucieux de design et d’en­vi­ron­ne­ment, mais toujours très exigeant dans la perfor­mance, son action a été recon­nue par la commu­nauté des annon­ceurs comme ayant profon­dé­ment rénové la profes­sion.

Souhai­tons à ses enfants, aujour­d’hui à la direc­tion du groupe, de péren­ni­ser son action en main­te­nant les valeurs qu’il leur a trans­mises.

La rédac­tion

 

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