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Quand les pays deviennent des marques

12/01/2017

Le marke­ting pays est un levier d’in­fluence et de recon­nais­sance inter­na­tio­nale. Un pays, comme une marque, doit être connu, aimé et choisi. Entrer dans cette logique, c’est être prêt à s’ex­po­ser et à défendre son imagi­naire comme un véri­table capi­tal.

par Denis Gancel,
Président-fondateur de l’agence W

L’agence W a été une des premières entre­prises à s’ins­tal­ler dans le nouveau quar­tier de Boulogne-Billan­court, à deux pas de l’île Seguin où vient d’être inau­gu­rée la Seine Musi­cale, une magni­fique salle de concert sphé­rique dédiée à toutes les musiques du monde. L’île Seguin était au temps de la splen­deur de Versailles une halte stra­té­gique. C’est là que les membres de la cour traver­saient la Seine à gué, en profi­tant pour se chan­ger, faire quelques emplettes, et être fin prêts pour le lever du roi au point du jour, dont une rue de Boulogne a conservé le nom. Colbert avait su faire de la France une marque de répu­ta­tion mondiale. Dans un même lieu, Versailles, il avait concen­tré tout ce que la France comp­tait de savoir-faire inno­vants et pres­ti­gieux. Saint-Gobain, célé­brant récem­ment son 350e anni­ver­saire, n’a pas manqué de faire réfé­rence au tour de force fonda­teur de la gale­rie des Glaces. Versailles était au XVIIIe siècle une véri­table vitrine de la marque France. Espace parfai­te­ment sécu­risé dans lequel les visi­teurs pouvaient vivre une expé­rience baroque : subtil équi­libre entre rites et liberté, entre tradi­tions et trans­gres­sion. Il faut revoir Si Versailles m’était conté, de Sacha Guitry, et la visite diplo­ma­tique de la délé­ga­tion améri­caine conduite par Benja­min Frank­lin et Thomas Jeffer­son, venue cher­cher la recon­nais­sance, par la France, de leur nation nais­sante, les États-Unis. Nul doute que cela aura été une source d’ins­pi­ra­tion forte pour eux qui, plus d’un siècle plus tard, vont inven­ter le Nation Bran­ding.

Nation Bran­ding

C’est en 1917, au coeur de la Première Guerre mondiale, que s’est cris­tal­li­sée l’idée d’ap­pli­quer une stra­té­gie d’image aux nations. George Creel est jour­na­liste d’in­ves­ti­ga­tion et homme poli­tique, il fait partie des personnes choi­sies à des fins propa­gan­distes par le président améri­cain Woodrow Wilson pour justi­fier l’en­trée en guerre des États- Unis. Il forme un groupe de volon­taires, les Four Minute Men, pour faire la promo­tion des valeurs de l’Amé­rique et lever des fonds desti­nés à l’ef­fort de guerre (en profi­tant, par exemple, des quelques minutes de répit induites par les chan­ge­ments de bobines au cinéma). « Il faut promou­voir auprès des étran­gers les produits qui amélio­re­ront leur confort, les rendront plus heureux et les conver­ti­ront aux valeurs de l’Amé­rique », déclare le président en 1916. George Creel devien­dra le premier direc­teur de l’Of­fice de rela­tions publiques des États-Unis, et éditera How we adver­ti­sed America, premier traité de marke­ting d’un pays ! Depuis, d’autres théo­ri­ciens contem­po­rains, tels que Joseph Nye et Simon Anholt ont déve­loppé les concepts de Soft Power et de Nation Bran­ding, qui, comme le dit Hillary Clin­ton, « visent à mettre en mouve­ment des milliers d’ac­tions distinctes, mais toutes stra­té­gi­que­ment liées entre elles ». Il n’y a jamais eu autant de pays dans le monde : 197 États réfé­ren­cés à l’ONU. Une véri­table guerre d’at­trac­ti­vité fait rage pour séduire les inves­tis­seurs et le milliard de voya­geurs en quête de desti­na­tions. Là où, il y a encore quelques années, seule une poignée de pays avaient les moyens d’investir sur leur image et d’assumer le coût de campagnes de publicité, chacun peut désormais, grâce au digital, avoir accès à faible coût à une large audience.

Le critère d’ori­gine

Le XXe siècle aura été marqué par la capture de l’ima­gi­naire des pays colo­ni­sés. Impos­sible pour eux de valo­ri­ser une marque locale, un terri­toire d’ori­gine ou une appel­la­tion. Il est réjouis­sant d’ob­ser­ver que les pays émer­gents sont ceux qui sont à la pointe du marke­ting des nations. La mondia­li­sa­tion n’est pas celle qu’avaient prédite les Améri­cains. Si la stan­dar­di­sa­tion y est présente, on assiste à une forte recherche de sens et de repères de la part du consom­ma­teur. Ainsi, jamais le critère d’ori­gine n’a-t-il eu autant de valeur dans la percep­tion des marques. C’est une aubaine pour des pays qui entendent reven­di­quer leur savoir-faire, leur culture et leurs valeurs. On voit ainsi se multi­plier des systèmes de commu­ni­ca­tion sophis­ti­qués, qui mettent en valeur l’en­semble des aspects d’un pays : écono­mique, géogra­phique, touris­tique, cultu­rel, diplo­ma­tique… Citons la Colom­bie, qui ne se contente plus de la seule promo­tion du café ; l’Inde qui, à travers le concept Incre­dible India, met en lumière toutes les acti­vi­tés du pays ; la Corée du Sud, qui déploie une stra­té­gie digi­tale auda­cieuse et ludique, asso­ciant l’en­semble des forces vives du pays, publiques et privées – notam­ment avec les conglo­mé­rats tels que Samsung, Daewoo, LG ou Hyun­dai. Les diaspo­ras jouent un rôle clé d’ac­cé­lé­ra­trices de noto­riété pour les marques-pays qui savent s’ap­puyer sur elles. Le retour des jeunes formés dans les univer­si­tés occi­den­tales est un enjeu stra­té­gique. En reve­nant, ils apportent à leur pays des tech­niques visant à valo­ri­ser le capi­tal imma­té­riel de leurs terres d’ori­gine.

Les clas­se­ments de pays et les ensei­gne­ments du Nation Good­will Obser­ver

Le phéno­mène de clas­se­ments de pays a pris de l’im­por­tance avec l’en­det­te­ment géné­ral des écono­mies. « Qui paie commande, qui commande paie » a laissé la place à « qui paie s’in­forme, qui s’in­forme paie ». Chaque publi­ca­tion de clas­se­ment est une rampe d’ac­cès pour les nouvelles nations, leur permet­tant de se situer et de mesu­rer les efforts qu’elles ont à mener. C’est aussi une rampe d’ap­pui pour les vieilles nations en panne de crois­sance, qui y voient une raison objec­tive de remettre en cause leur modèle. Les clas­se­ments ont une vertu irrem­pla­çable : ils simpli­fient la mondia­li­sa­tion en four­nis­sant à tous – diri­geants, analystes, jour­na­listes, obser­va­teurs… – des points de repère clairs et lisibles. Le Nation Good­will Obser­ver, étude de l’agence W réali­sée avec HEC Paris, Cap et EY, distingue l’image instan­ta­née de l’image proje­tée. Ce qui est frap­pant, c’est la diffé­rence entre les deux clas­se­ments : si l’Al­le­magne et trois autres pays euro­péens – Suède, Suisse, Royaume-Uni – sont en tête de l’image instan­ta­née (la France se clas­sant septième), la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Aus­tra­lie et la Corée du Sud dominent l’image proje­tée, l’Al­le­magne passant en sixième posi­tion, seul pays euro­péen à rester dans le top 6. La compa­rai­son entre l’image instan­ta­née et l’image proje­tée est riche d’en­sei­gne­ments. Certains pays ont visi­ble­ment tout à gagner de la mondia­li­sa­tion, et d’autres beau­coup à perdre… Des pays comme la Chine, l’Inde ou la Russie gagnent 32 points ! La France perd, elle, 19 points ! Les grands perdants étant en parti­cu­lier les trois pays qui figurent en tête du clas­se­ment de la créa­ti­vité dans l’image instan­ta­née : la France, l’Es­pagne et l’Ita­lie. Une des expli­ca­tions tenant au fait que « la perfor­mance écono­mique et la capa­cité d’in­no­va­tion » appa­raissent comme les prin­ci­paux critères d’at­trac­ti­vité d’un pays.

Conci­lier le froid et le chaud

Le Nation Good­will Obser­ver établit une corré­la­tion entre le tangible et l’in­tan­gible, entre « données froides » et « données chaudes ». En clair, il est impos­sible pour un pays de progres­ser en percep­tion si les fonda­men­taux mesu­rés par les prin­ci­paux clas­se­ments ne sont pas trai­tés. Il est égale­ment impos­sible pour un pays d’être bien noté dans les clas­se­ments sans une bonne image perçue. Ainsi, ceux qui croient qu’« une image vaut mieux qu’un long viaduc » se trompent ! Mais ceux qui pensent que « peu importe l’image pourvu qu’on ait le viaduc » se trompent tout autant ! Dans un monde d’image, le « faire savoir » devient de plus en plus stra­té­gique pour les États. Le travail doit être mené avec subti­lité et progres­si­vité. Il ne s’agit plus simple­ment d’or­ga­ni­ser des campagnes de promo­tion touris­tique, mais d’en­trer dans une dyna­mique conti­nue d’ou­ver­ture, d’ex­pli­ca­tion et de valo­ri­sa­tion du « réel », pour espé­rer profi­ter du même capi­tal image que les pays qui se sont enga­gés dans ce type de stra­té­gie.

Les leviers du marke­ting pays

Le marke­ting pays s’ap­puie sur des stra­té­gies struc­tu­rées à moyen et long terme, mettant en cohé­rence l’en­semble des acteurs publics et privés. Le tourisme est un levier d’at­trac­ti­vité connu depuis long­temps. Un pays qui ne sait pas deve­nir une desti­na­tion aura toujours du mal à se faire connaître, aimer et choi­sir… La « media globa­li­sa­tion » offre deux leviers supplé­men­taires que seuls les États conti­nents – États-Unis, Chine et Union sovié­tique – avaient utili­sés jusqu’à présent : le sport et la culture. Les Jeux olym­piques, la Coupe du monde de foot­ball, la Coupe de l’Ame­rica et les multiples compé­ti­tions régio­nales et mondiales sont deve­nus pour les pays des supports de commu­ni­ca­tion plané­taires. Accueillir l’un de ces événe­ments, c’est amélio­rer son statut et gagner en respec­ta­bi­lité et en savoir-faire. Ainsi les pays, quelle que soit leur taille (par exemple le Qatar), s’af­fron­ten­tils pour accueillir ce type d’évé­ne­ments aux droits TV deve­nus exor­bi­tants. Il en va de même pour la culture. Bilbao a montré l’exemple avec le musée Guggen­heim, qui a redy­na­misé à lui seul une ville et une région en deve­nant l’em­blème. La tour Eiffel et l’Em­pire State Buil­ding avaient ouvert la voie. Chaque ville, chaque terri­toire doit avoir son totem archi­tec­tu­ral. Enfin, les marques commerciales sont, elles aussi, de puissants leviers marketing : on sait bien qu’en buvant du Coca-Cola, en mangeant un McDo, ou en regardant un bon blockbuster made in US, on s’imprègne de l’imaginaire américain. Dans un autre registre, l’Al­le­magne, jusqu’au scan­dale Volks­wa­gen, a beau­coup investi sur l’image de fiabi­lité atta­chée au pays, et tout le béné­fice qu’il y avait à ne pas traduire les signa­tures de ses grandes marques auto­mo­biles : Das Auto, Wir Leben Autos, Vors­prung durch Tech­nik.

La marque France : moteur de crois­sance

L’ima­gi­naire pays porte toute une écono­mie. C’est tout l’en­jeu de la marque France, qui est plébis­ci­tée par près de 90 % des Fran­çais. Elle vise à faire prendre conscience aux entre­prises fran­çaises, notam­ment aux plus grandes, qu’elles ont une respon­sa­bi­lité dans la valo­ri­sa­tion de notre marque-pays. Alain Peyre­fitte dans Le Mal fran­çais, publié en 1976, tentait de guérir la France de son carté­sia­nisme exces­sif. « Nous voici devant le jeu des forces mentales, devant ce que je propose d’ap­pe­ler le tiers facteur imma­té­riel. Nous nous rebel­lons contre l’exis­tence de ce tiers facteur, nous ne voulons pas admettre que notre manière de penser ou de nous compor­ter collec­ti­ve­ment puisse avoir des effets maté­riels. Nous aimons mieux expli­quer la matière par la matière que par la manière. » L’Ob­ser­va­toire de la marque France montre, depuis cinq ans, la perte de confiance des Fran­çais dans leurs propres « forces mentales », 70 % d’entre eux décla­rant le pays en déclin et en dépres­sion collec­tive. La France a mal à la mondia­li­sa­tion, qu’elle perçoit à une large majo­rité comme une menace. Les marques-pays sont désor­mais liées avec les marques « du » pays, celles-ci jouant plus que jamais un rôle majeur comme vectrices de confiance, de crois­sance et d’at­trac­ti­vité, contri­buant ainsi à la créa­tion de valeur de la marque-pays. Par ailleurs, la puis­sance des réseaux sociaux fait aujour­d’hui de chacun l’am­bas­sa­deur de son pays. La Chine a compris depuis long­temps l’im­por­tance des ambas­sa­deurs d’image, qu’ils soient grands spor­tifs, grands musi­ciens ou stars de cinéma. Dans un contexte de compé­ti­tion mondiale, une erreur d’image peut être fatale. Début octobre, Kim Karda­shian se fait voler l’équi­valent de neuf millions d’eu­ros de bijoux en plein Paris. L’agres­sion d’une star surmé­dia­ti­sée porte alors un coup dur à l’image de la France et de Paris, entraî­nant une chute libre de la fréquen­ta­tion hôte­lière. L’Euro de foot­ball à l’or­ga­ni­sa­tion sans faille est déjà oublié, une image chasse l’autre… Dans un monde de pays « avan­cés », struc­tu­rel­le­ment sans crois­sance, la mobi­li­sa­tion de tous les acteurs privés et publics pour la valo­ri­sa­tion de son capi­tal image est un enjeu stra­té­gique. Il fut un temps loin­tain où la France avait le monde à ses pieds. Pas sûr que cette gran­deur d’an­tan nous rende service à l’heure où chacun des 197 pays du monde travaille sur ses atouts et apprend à les commu­ni­quer avec rigueur et profes­sion­na­lisme. À nous donc de valo­ri­ser l’ex­tra­or­di­naire gise­ment d’ac­tifs imma­té­riels de la marque France. Cette dernière doit nous permettre de déve­lop­per notre attrac­ti­vité auprès des inves­tis­seurs, des touristes et des jurés qui auront prochai­ne­ment à se pronon­cer sur la double candi­da­ture de Paris à l’or­ga­ni­sa­tion des Jeux olym­piques de 2024 et de l’Ex­po­si­tion univer­selle de 2025.

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