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Incidence du non-usage d’une marque sur l’existence de la contrefaçon

12/01/2017

La cour d’ap­pel de Paris vient de rendre un arrêt 1 dont les termes inédits pour­raient avoir des consé­quences redou­tables pour les titu­laires de marques.

par Guénola Cousin
Docteur en droit, département nouvelles technologies et propriété intellectuelle, cabinet Simon Associés.

L’af­faire présen­tait, a priori, l’ap­pa­rence de la simpli­cité : M. X, titu­laire d’une marque desti­née à dési­gner notam­ment des vins, spiri­tueux et bois­sons alcoo­liques, a assi­gné en contre­fa­çon devant le tribu­nal de grande instance (TGI) de Paris une société commer­cia­li­sant une liqueur sous une déno­mi­na­tion quasi iden­tique, ainsi que le fabri­cant et le sous-trai­tant de celle-ci. Dans le cadre d’une autre instance, oppo­sant le titu­laire de la marque à une autre société, le TGI de Nanterre a prononcé la déchéance des droits sur la marque à comp­ter du 13 mai 2011 pour « les bois­sons alcoo­liques, cidres, diges­tifs, vins spiri­tueux, extraits ou essences alcoo­liques », en raison du défaut d’usage. Ce défaut d’usage va très large­ment porter à consé­quence dans le cadre de l’ins­tance en contre­fa­çon. En effet, le TGI puis la cour d’ap­pel de Paris vont reje­ter l’ac­tion en contre­fa­çon qui visait les actes commis sur la période du 8 juin 2009 au 13 mai 2011, soit une période anté­rieure au prononcé de la déchéance pour les faits non pres­crits. Les juges de la cour d’ap­pel vont ainsi consi­dé­rer que le titu­laire de la marque « ne peut arguer utile­ment d’une atteinte à la fonc­tion de garan­tie d’ori­gine de cette marque qui, ainsi que le tribu­nal de première instance l’a rappelé, vise essen­tiel­le­ment à garan­tir aux consom­ma­teurs la prove­nance du produit ou service fourni en le distin­guant de ceux propo­sés par la concur­rence, ce qui suppose que la marque ait été en contact avec ces consom­ma­teurs. Que pour la même raison, M. X ne peut se préva­loir d’une atteinte portée au mono­pole d’ex­ploi­ta­tion conféré par sa marque […], consi­dé­rant qu’il y a lieu, par consé­quent, d’ap­prou­ver le tribu­nal qui a jugé qu’au­cune atteinte n’a pu viser la marque Saint Germain, laquelle n’a jamais exercé sur le public une quel­conque fonc­tion, et de confir­mer le juge­ment déféré en ce qu’il a débouté M. X de l’en­semble de ses demandes ». L’ac­tion en contre­fa­çon est donc tenue en échec en raison de l’ab­sence d’at­teinte à la fonc­tion de la marque résul­tant du défaut d’usage de celle-ci.

Comment comprendre une telle déci­sion ?

La réfé­rence faite à l’at­teinte à la fonc­tion de la marque ne surprend pas en soi. En effet, sous l’im­pul­sion de la juris­pru­dence commu­nau­taire, les juges fran­çais recherchent si les actes préten­du­ment contre­fai­sants sont de nature à porter atteinte à la fonc­tion essen­tielle de la marque, qui est de garan­tir l’iden­tité d’ori­gine des produits marqués. Cette notion irrigue désor­mais le droit des marques ; tout d’abord au niveau des condi­tions d’ac­qui­si­tion du droit, puisque la condi­tion de distinc­ti­vité, deve­nue une condi­tion auto­nome, consiste à véri­fier que le signe est apte à remplir sa fonc­tion de garan­tie de l’iden­tité d’ori­gine des produits revê­tus de la marque ; puis quand il est ques­tion de véri­fier l’usage sérieux permet­tant d’évi­ter la déchéance – il ne sera établi que pour autant qu’il soit conforme à la fonc­tion essen­tielle de la marque – ; enfin pour appré­cier l’exis­tence d’actes de contre­fa­çon. Dans cette affaire, les actes dont il était fait grief avaient eu lieu pendant la période de non usage de la marque qui a conduit au prononcé de la déchéance. Le titu­laire de la marque, dans l’ins­tance en contre­fa­çon, indi­quait que l’usage de celle-ci n’avait pas été jugé suffi­sant pour échap­per à la déchéance. Il justi­fiait néan­moins de prépa­ra­tifs d’ex­ploi­ta­tion durant la période en cause. Or la cour est restée insen­sible à l’ar­gu­ment, esti­mant que lesdits éléments ne permet­taient pas de démon­trer que la marque avait été mise en contact avec le public et avait ainsi exercé sa fonc­tion… fonc­tion à laquelle il ne pouvait donc avoir été porté atteinte. Logique. Cela revient à consi­dé­rer qu’il ne peut être porté atteinte à une marque non exploi­tée. Mais comment arti­cu­ler cette règle avec l’ar­ticle L714-3 du code de la propriété intel­lec­tuelle, qui préserve la marque non exploi­tée pendant une période infé­rieure à cinq ans (la déchéance n’est en effet encou­rue qu’en cas de défaut d’usage pendant une période inin­ter­rom­pue de cinq ans) ? Or, si la solution de cet arrêt devait se confirmer, rien ne sert d’avoir une marque non utilisée, puisque son usage par un tiers n’encourt pas de sanction. Sous couvert d’une approche fina­liste de la contre­fa­çon, cette déci­sion rajoute une condi­tion à la carac­té­ri­sa­tion de la contre­fa­çon, celle de l’ex­ploi­ta­tion publique de la marque. La cour aurait pu prendre une autre voie et tenir compte du défaut d’usage de la marque ou de sa faible inten­sité pour appré­cier le montant de l’in­dem­ni­sa­tion du fait de la contre­fa­çon. Un certain oppor­tu­nisme semble avoir guidé les juges : il est vrai qu’il aurait été curieux de rete­nir l’at­teinte à une marque qui va être déchue à comp­ter d’une date donnée en raison de l’ab­sence d’ex­ploi­ta­tion sur la période anté­rieure. Ceci étant, sur le plan des prin­cipes, la déci­sion crispe pour le moins et nous paraît prendre quelques largesses avec l’ap­proche fina­liste : en effet, sont répré­hen­sibles les actes qui portent atteinte ou sont suscep­tibles de porter atteinte à la fonc­tion de garan­tie d’ori­gine. Tel est le cas lorsque l’at­teinte se situe à un moment d’in­ex­ploi­ta­tion. Une ques­tion en parti­cu­lier surgit : qu’en sera-t-il si les actes liti­gieux se situent pendant une période d’in­ex­ploi­ta­tion de la marque sans que celle-ci conduise à la déchéance des droits ? Voici donc une déci­sion qui, si elle devait être confir­mée par la cour de cassa­tion, entraî­nera des consé­quences majeures, tant sur le plan pratique que sur le plan des prin­cipes.

 

Notes
(1) CA Paris, 13 septembre 2016, RG n° 15/04749.

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