Articles

Art et création de valeur

15/07/2018

Faire vivre des expériences sensibles et artistiques en entreprise pour libérer les salariés, favoriser créativité et performance.

par Laurent Austin,
Dirigeant chez Youmanlink, agence de communication expérientielle.

Il est bien révolu le temps où les entreprises dépensaient sans compter pour des séminaires dans des destinations de rêve au bout du monde, souvent à des prix pharaoniques ! Il est bien révolu le temps où les salariés faisaient carrière dans une même entreprise. Tant pour des raisons économiques (de rentabilité) qu’éthiques (de respect pour ses salariés), l’entreprise se veut, aujourd’hui, plus rationnelle, raisonnable dans ses choix, et attend un retour sur investissement concernant les dépenses engagées. Préserver et développer le chiffre d’affaires ou la rentabilité restant une priorité, il est clair que les dépenses pour conquérir de nouveaux clients ou fidéliser les clients existants sont toujours mobilisées. Mais qu’en est-il des actions menées auprès des salariés ? Comment créer et maintenir l’engagement nécessaire à la motivation, la performance et la fidélité ?

L’émotion par la culture

Aujourd’hui, l’entreprise a aussi pour rôle de transmettre ses valeurs aux salariés, non seulement lors de leur embauche, mais aussi tout au long de leur vie professionnelle dans la société. Pour bien faire, il s’agit de toucher l’humain et non le travailleur, de lui faire vivre des expériences sensibles, émotionnelles ou culturelles, qui le toucheront personnellement et le projetteront dans la culture d’entreprise. Ce terme est d’ailleurs édifiant : la « culture » d’une entreprise ne peutelle pas être mieux transmise que par une dimension culturelle ou artistique ? L’art a cette vertu de nous emporter, nous transporter on ne sait où, on ne sait comment. Quand nous sommes touchés, nous nous laissons mener avec plaisir : nous sommes dynamisés, motivés. La rencontre avec l’art est comme une rencontre amoureuse, cela ne s’analyse pas ni ne s’explique, cela se vit ! Les valeurs d’entreprise transmises avec émotion en permettent une meilleure appropriation... pour mieux les vivre personnellement.

Voyages initiatiques

Danaë, Dsan (Denis Santelli) 2017

Un, voire plusieurs rendez-vous, peuvent être proposés au cours de l’année, lors desquels sont expérimentés les messages de l’entreprise. Il s’agit de dispositifs mono ou (de préférence) pluridisciplinaires, ponctuels ou récurrents. Lors de rendez-vous réguliers, peuvent être proposées diverses interventions, comme par exemple une conférence mensuelle (art, philo, histoire...), qui enchantera et fera s’évader les salariés d’une business unit ou de différents services de la société. Ceux-ci se retrouvent pendant une heure autour de la pause déjeuner et découvrent un thème culturel différent à chaque rencontre, le thème pouvant être lié à une des valeurs de l’entreprise. Un artiste peut également proposer des ateliers aux salariés (peinture, poterie…), mobilisant leurs sens et leur créativité.
D’autres initiatives peuvent être mises en place plus ponctuellement, lors d’événements plus formalisés, tels que la création d’une oeuvre collective autour des valeurs de l’entreprise (peinture, graffiti...) : les salariés sont alors accompagnés par un artiste – ainsi qu’un coach dans certains cas. L’oeuvre, aboutissement de ce moment fédérateur, de ce travail d’équipe, est ensuite exposée dans l’entreprise. Des animations expérientielles et ludiques peuvent venir agrémenter une soirée ou un séminaire : concert participatif lors duquel les salariés sont mis à contribution, ou plus classique, proposant un voyage émotionnel et sensible... Toujours de manière ponctuelle, une prise de parole de conférenciers singuliers (historien, poète, neuroscientifique, acteur...) viendra éveiller les consciences, cultiver l’auditoire, révéler des valeurs, une histoire… Enfin, l’entreprise peut organiser des vernissages dans ses locaux, avec prise de parole d’un artiste ou d’un conférencier, que ce soit lors d’une acquisition d’oeuvre par la direction, d’une location longue durée ou pour une simple exposition ponctuelle.

Création et démarche entrepreneuriale

Artificial Thoughts, Figure 01, Dsan 2016

La notion de création recouvre de nombreuses dimensions : on parle tout d’abord du Créateur avec un grand « C », ce Dieu qui aurait donné la vie sur Terre il y a plusieurs millions d’années. Il y a surtout des créateurs, plus nombreux, avec un petit « c », qui, comme leur nom l’indique, « créent » : il peut s’agir du styliste d’une maison de couture, du créateur d’entreprise qui lance une nouvelle activité… Le créateur crée quelque chose pour la première fois, quel que soit le domaine concerné (scientifique, artistique, culturel, industriel…), il innove ! Le fait de créer nécessite de lâcher prise, de tester et de prendre des risques. Quand on crée, il n’y a pas de certitude, car il n’y a pas toujours de référentiel. Et au contraire, si le produit ou le service existe déjà, il faudra faire mieux : répondre à une demande insatisfaite, être moins cher, plus performant… Mettre un salarié en situation de création, au-delà de générer du plaisir ou amener du sens, consiste à l’encourager à se mettre en danger en expérimentant des techniques qui lui étaient jusque-là inconnues. Il pourra ainsi dépasser ses limites, savourer la fierté du résultat insoupçonné, la reconnaissance de ses collègues et de son management. La confrontation à l’art est pour l’entreprise une manière de transmettre l’esprit entrepreneurial à ses salariés, de leur faire changer de posture en passant de l’exécution (ou l’obéissance est souvent de mise) à la création et donc au goût du défi. Acquérir l’esprit « intrapreneur » est une tendance d’avenir, source de valeur, de compétitivité et de performance pour l’entreprise de demain. De nombreuses grandes sociétés françaises ont déjà expérimenté des dispositifs de co-création ponctuels sur une ou plusieurs journées. On peut compter parmi elles : BNP Paribas, Orange, La Redoute et bien d’autres…

La symétrie des attentions

Par toutes ces initiatives, l’entreprise montre plus de considération pour ses salariés, les implique, les cultive. Mieux connectés à eux-mêmes, à leur intériorité (motivations, sensibilité, désirs…), ils sont plus engagés à l’égard de leur employeur et de l’entreprise, créant ainsi plus de valeur autour d’une marque employeur renforcée. La cohésion d’équipe, les liens interindividuels tissés lors de moments expérientiels, sont intensifiés, l’implication est plus importante... terreau favorable à mieux penser le service ou la relation au client final. On parle d’ailleurs de « symétrie des attentions », concept apparu il y a 10 ans dans l’ouvrage Du management au marketing des services, de Charles Ditandy et Benoît Meyronin. Par ce principe, l’entreprise s’engage d’une part dans un certain niveau d’attention à son client final ; d’autre part, elle doit soutenir ses salariés avec le même niveau d’effort pour garantir un cercle vertueux dans la création de valeur !

De l’expérience sensible à la relation à soi et aux autres

par Pierre-Alain Boyer,
Docteur en neurosciences, coach et conférencier, directeur de Calliopæ, société spécialisée dans l’accompagnement de dirigeants et de leurs équipes

La vie en entreprise peut être comparée à un tissu vivant d’individus en interaction. Créer des expériences, c’est les faire vivre ensemble, créer du lien, ce qui est essentiel. En effet, que sommes-nous sans nos interactions ? L’existence est une succession continuelle de relations. Nous sommes des individus réunis par des liens, que ce soit à l’échelle de la société, de l’entreprise, de la famille… mais aussi de nous-même. Dans la relation aux autres, il est un prérequis important : que chaque individu soit relié à lui-même, qu’il développe au quotidien une connaissance intime. Or, que connaissons-nous de nous ? Si la recherche fascine par la complexité grandissante que l’on découvre au fur et, à mesure de nos progrès technologiques et méthodologiques, nous ne retenons pas toujours grand chose ! Sauf peut-être l’émerveillement devant la complexité, la finesse, l’ingéniosité, le surprenant d’un vaste monde au-dedans de Soi. Tout notre corps est d’une merveilleuse complexité biologique, à chaque battement de coeur, à chaque inspiration. Vivre en conscience cet émerveillement est peutêtre un chemin parmi d’autres pour se relier un peu plus à ce que l’on est. En étant toujours plus présent à lui-même, l’individu renforce ses liens aux autres. En entreprise, la qualité de cette relation à l’autre a comme vertu de fluidifier l’efficacité opérationnelle commune. L’expérience peut ainsi faire résonner chaque lien, à soi, aux autres, et si cette expérience est sensible, l’émotion de l’individu et du collectif est au rendez-vous. Or l’émotion – que l’étymologie rapproche du verbe « mouvoir » – est un moteur qui parle de celui qui est ému par l’expérience. En entreprise comme dans la vie, l’émotion partagée crée des liens puissants, cohésifs, car c’est ce qui résonne avec ce que l’on est à cet instant qui est partagé. Ainsi, les masques de la représentation tombent, l’ego s’estompe, on est au coeur des êtres et de leurs relations.

 

L’art peut changer le monde

par Denis Santelli,
Artiste et speaker, diplômé de l’ESA (École supérieure d’art) des Hauts-de-France. Il réalise des fresques en Europe (dernièrement à l’Innovation Fabrik de Berlin), mène des expériences de co-création et présente des conférences sur le thème de l’art et de la technologie. Ses fresques sont collectionnées par de grands groupes, notamment Microsoft, à Seattle.

L’art peut non seulement changer le monde, mais aussi nourrir l’image de l’entreprise. Il peut faire écho à la créativité de la marque et lui offrir une communication différenciante. Le monde bouge ! Les attentes des salariés aussi. Une proposition culturelle audacieuse participe à enrichir l’expérience en entreprise. Une exposition peut prendre une forme dynamique et très productive si on l’accompagne d’actions innovantes. Au-delà du plaisir, de l’émotion et de la découverte, de nombreuses initiatives peuvent être mises en place. Vernissage, rencontres avec des artistes, conférences d’histoire de l’art…
Aujourd’hui, dans un marché toujours plus concurrentiel, les entreprises doivent se renouveler et se distinguer en permanence. À travers des stratégies culturelles, elles peuvent mettre en scène leur histoire, construire un imaginaire. Demander à un artiste d’intervenir dans l’espace de travail constitue une invitation pour les équipes à vivre une expérience nouvelle, ces actions contribuent aussi largement aux enjeux de « premiumisation » et de bien-être sur le lieu de travail. Ces événements génèrent des opportunités additionnelles et offrent un temps fort supplémentaire de communication pour s’afficher comme entreprise connectée à son époque et proche de ses publics.

 

Réinvestir la relation au salarié

par Bruno Soubiès,
Partenaire fondateur du cabinet d’étude KPAM RH.

L’entreprise ne peut plus se limiter à « gérer les ressources humaines ». L’enjeu clé pour la DRH est de réinvestir la relation au salarié afin de proposer des outils et des services permettant d’agir concrètement sur l’engagement au quotidien. Pour accompagner cette évolution, la notion d’expérience collaborateur (à l’instar de l’expérience client) prend tout son sens. C’est en scannant toutes les étapes de l’expérience collaborateur que l’on peut comprendre les moments essentiels que vivent les salariés. Cela permet d’identifier très précisément les actions RH qui ont le plus d’impact pour une majorité de salariés, d’anticiper les mutations par le suivi des signaux émergents et de détecter les meilleures pratiques déjà initiées par des pionniers. Les plans d’action sont concrets, car ils sont le fruit de l’intelligence collective, du génie de Monsieur-Tout-le-Monde.
On peut dès lors décomposer l’expérience salarié et les ressources humaines, autour de cinq piliers :

  • l’empathie : l’entreprise met tout en oeuvre pour comprendre les attentes de chaque salarié ;
  • le réalisme : l’entreprise est perçue de l’extérieur comme elle est vécue de l’intérieur par les salariés ;
  • l’autonomie : le salarié est suivi de façon individualisée et bénéficie des meilleures conditions pour se réaliser ;
  • la fluidité : l’entreprise supprime les obstacles, les lenteurs, afin de faire gagner du temps et de l’efficacité aux salariés ;
  • la confiance : le sérieux de l’entreprise, la cohérence et la congruence des actions dans le temps.

L’expérience collaborateur n’est donc pas un énième « concept de marketing RH », c’est un véritable changement de posture et de priorités des acteurs de la fonction RH. Toutes les entreprises le font déjà depuis plus de 20 ans en travaillant à l’amélioration continue de leur relation et de leur service client… mais le salarié n’est-il pas le premier client de l’entreprise ? !

Pour accéder à l'article complet, cliquez sur Article au format PDF

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.