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Comment Bonduelle construit sa valeur

15/07/2018

L’entreprise familiale du Nord de la France devient un groupe mondial, mais toujours familial. Entre les défis de son internationalisation et l’adaptation aux évolutions de la consommation alimentaire, sa politique de marque est centrale, mais veille à préserver un certain pragmatisme.

par Benoît Jullien, ICAAL

Avec le récent rachat de Ready Pac
Foods aux États- Unis, Bonduelle a
concrétisé une nouvelle étape de son
développement

Que vaut Bonduelle ? Grégory Sanson, directeur financier, fait le calcul : « entre une capitalisation boursière dépassant le milliard d’euros et des capitaux propres de 600 millions, nous pouvons déduire une survaleur de 400 millions d’euros qui n’apparaît pas au bilan comptable. En y ajoutant les 200 millions d’euros d’actifs intangibles y figurant, nous arrivons à une valeur d’actifs immatériels de 600 millions. Ceux-ci sont non seulement constitués par nos marques, mais également par le savoir-faire agronomique et industriel construit au fil des années, la qualité de nos relations d’affaires et, plus généralement, l’image de l’entreprise ». Selon lui, cette dernière composante voit son importance s’amplifier : « le consommateur se veut de plus en plus citoyen dans son acte de consommation ; par son acte d’achat, il valide les pratiques de l’entreprise telles qu’elle peut les mettre en oeuvre dans son programme RSE. Ces engagements sont à mettre au bénéfice de la marque-entreprise ».
Comparé aux marques des grandes multinationales, la valorisation accordée aux groupes familiaux de taille intermédiaire peut parfois sembler un peu sévère. « Pas forcément au fait des opérations quotidiennes, la Bourse a parfois tendance à minorer, reconnaît Grégory Sanson, mais sur le long terme, elle sait anticiper les perspectives. Ainsi, notre récente acquisition de Ready Pac Foods aux États-Unis a été bien accueillie et le consensus du monde financier sur le titre, autour des 35 euros, est supérieur au cours actuel, de 33 euros environ. La démonstration de notre capacité à intégrer des cibles importantes devrait renforcer notre potentiel de valorisation. »

Du « pure player » au végétal

Des légumes en conserve proposés
comme de véritables ingrédients culinaires

De fait, le groupe Bonduelle montre de plus en plus sa capacité à satisfaire ses ambitions de développement. En termes de produits, il a choisi d’élargir sa mission de « pure player » du légume à l’ensemble de l’alimentation végétale. Bien lui en a pris, puisque l’actualité toute récente est venue confirmer qu’il y avait bien là une tendance qui s’impose. En France, des marques « carnées » comme Herta, Fleury Michon ou Le Gaulois viennent de développer des gammes pour séduire les fameux « flexitariens ». Sur le plan géographique, le groupe est déjà présent en Europe de l’Est, en Russie, en Amérique du Nord… Il lui reste donc par exemple l’Asie ou l’Afrique à conquérir. De plus, ses différentes catégories – conserves, surgelés, frais – ne sont pas toutes également implantées à l’international.
En outre, ces potentialités de marché constituent non seulement des expansions à venir, mais aussi une diversification de ses risques. « Comme société familiale, nous observons une gestion “en bon père de famille”, qui veille à préserver l’équilibre entre des dynamiques produits ou géographiques qui peuvent varier suivant les périodes et diversifier les risques, explique Grégory Sanson. L’enjeu est d’autant plus grand que notre marque principale est aussi le nom de l’entreprise et celui d’une famille. » Ce qui explique une veille permanente pour lutter contre la contrefaçon : « nous n’avons à mener que quelques actions par an, mais elles ont valeur d’exemple ».
Reste la politique d’acquisition. Si la cible dispose d’une marque forte, celle-ci peut être conservée, comme cela avait été le cas pour Globus en Russie ou Arctic Gardens au Canada. L’exemple de Cassegrain, acquise en 1989, constituait d’ailleurs un précédent : installée sur le segment haut de gamme de la conserve en France seulement, la marque dispose de la première place en termes de part de marché en valeur, alors que sa part de marché en volume est deux fois inférieure, signe de sa forte valorisation. Inversement, Royal Champignon, rachetée en France en 2010, a été rapidement remplacée par Bonduelle pour une raison simple : Bonduelle disposait d’une notoriété supérieure en champignons… alors qu’elle n’en vendait même pas !

Une notoriété au sommet

Une gamme 100 % végétale
témoignant du nouveau
positionnement du groupe

Car, quand on parle de marque, on pense immédiatement notoriété. En France, Bonduelle atteint un score de 53 % en top of mind, de 76 % en notoriété spontanée et de 99 % en notoriété globale. C’est donc une marque plus qu’installée dans l’Hexagone. Mais pas seulement. Sa notoriété spontanée atteint 64 % en Italie, 41 % aux Pays-Bas ou 53 % en Pologne. Et en Russie, ses scores atteignent 66 % en top of mind, 90 % en spontané et 96 % en assisté. Présente depuis une vingtaine d’années dans le pays, elle dépasse même les performances de Coca-Cola. « Bonduelle a une histoire ancienne avec l’Est », raconte Christophe Château, directeur communication, développement durable & marketing corporate. « En Allemagne, premier pays d’export du groupe, elle est perçue comme allemande. Elle était connue dans les pays de l’Est, où elle avait commencé à se développer avant même la chute du mur. Avec l’effondrement du bloc soviétique, nous avons rapidement investi en télévision, car le coût de la publicité y était très bas et nous permettait de surcroît de couvrir toute la CEI (Communauté des États Indépendants). Ce serait beaucoup plus onéreux aujourd’hui ».
En dehors de la France, la marque jouit d’une image plus jeune et moderne, en partie parce qu’elle s’est construite sur le maïs. Dans l’Hexagone où elle est plus ancienne, elle dispose de piliers forts : « c’est une marque solide, qui inspire la confiance ». Selon une étude d’Opinion Way réalisée fin 2016, elle ressort même comme la première du monde alimentaire, avec un taux de 73 % sur cet item quand la moyenne de l’univers se situe à 58 % . « Mais son image assez traditionnelle la prive un peu de désirabilité ou d’émotion, reconnaît Christophe Château. Elle est encore très liée à l’univers de la conserve, même si son taux de pénétration atteint les 75 % sur toutes les catégories où elle est présente. » Avec six achats par an et par Français, elle figure aux premières places de l’alimentaire en termes d’actes d’achat.
« Nous venons d’entamer un travail pour faire évoluer cette perception », explique Christophe Château. L’agence Rosapark a été choisie pour mettre au point un nouveau concept publicitaire valorisant la proximité de la marque avec la nature et avec les gens. D’autant que la présence de la marque sur différents univers n’est pas encore totalement installée. « Il reste des progrès à accomplir sur le frais, même si ça progresse, avoue Christophe Château : avec l’acquisition de Ready Pac aux États-Unis, le frais devient notre première technologie. [Et] c’est une force de la marque d’être présente dans quatre linéaires différents ». En effet, beaucoup – et non des moindres – se sont cassé les dents à tenter ce type de déclinaisons dans plusieurs univers alimentaires.

Innovation tous azimuts

Le concept « vapeur »
a permis à la marque de
partir à la reconquête du
segment des mono-légumes
en surgelés

Car la force d’une marque réside avant tout dans les produits qu’elle propose et donc sur l’innovation. 15 % des produits du groupe ont été lancés il y a moins de trois ans. Parmi les lancements marquants des dernières années, le concept des légumes vapeur en conserve, ainsi que le développement des légumes secs, des mélanges à poêler ou cuisinés « façon »... Récemment, la marque a lancé Touche de, des petites boîtes de légumes en format 1/8 conçus comme des aides culinaires. En surgelés, le concept vapeur lui a permis également de signer le retour des marques sur le segment des mono-légumes accaparé par les MDD. Le frais, enfin, est particulièrement propice aux innovations, comme Graine de salade, qui concrétise le nouveau positionnement sur le végétal, avec des salades-repas « 100 % veggie » associant céréales, légumineuses et légumes. Enfin, notons Feuilles de mâche, en salade quatrième gamme, issue d’une variété exclusive et d’un procédé agronomique qui évitent les problèmes de racines et de sable qu’on rencontre habituellement avec la mâche. La publicité, enfin. Les investissements marketing sont en croissance régulière d’année en année, supérieure à celle du chiffre d’affaires. Ils représentent 6 % des ventes à marque et progressent en moyenne de 10 % par an. La communication repose sur une plateforme de marque mondiale, « pas trop contraignante pour être facilement adaptable », précise Christophe Château. Le groupe ne fonctionne pas avec une agence unique, mais fait appel, dans chaque pays, à un seul prestataire pour toutes ses technologies, afin de coordonner ses discours nationaux. Le signe d’un réel pragmatisme – comme la stabilité du logo légèrement modifié il y a 10 ans – pour un groupe qui veille à ce que sa croissance et son internationalisation ne lui fassent pas oublier les principes et méthodes qui ont fait sa réussite.

Un nouvel équilibre pays-produits

Avec, cette année, l’acquisition de Ready Pac Foods, Bonduelle aura franchi une étape importante de son développement, tant sur le plan géographique que dans son offre produits. Désormais, l’Amérique du Nord, introduite en 2007 avec le Canadien Aliments Carrière, pèse presque autant (44 % de son chiffre d’affaires pro forma (2,8 milliards d’euros en 2017- 2018)) que l’Union européenne (47 % ). Et les États-Unis deviennent le premier marché national du groupe (35 % ), devant la France (24 % ). De même, le frais – intégré en 1997 avec le rachat de Salade Minute sur la quatrième gamme et celui de Caugant en 2003 sur le traiteur – passe en première position (40 % ), devant la conserve (37 % ) et les surgelés (23 % ).

 

« Une marque appartient à ses consommateurs »

Entretien avec Christophe Bonduelle,
Président du groupe Bonduelle

La marque Bonduelle fête ses 70 ans cette année, mais quand le groupe est-il véritablement devenu une entreprise « de marque » ?

La marque Bonduelle fête ses 70 ans… mais l’entreprise familiale a 160 ans d’existence derrière elle. Elle n’a d’ailleurs pas démarré dans la conserve de légumes, mais dans la première transformation industrielle de matières premières agricoles et, au premier chef, dans la distillerie. Démarrée en 1926, l’activité conserves était annexe et n’est devenue notre activité principale qu’au milieu des années 1950. La marque Bonduelle a été déposée en 1947, la distillerie a été stoppée et l’entreprise s’est tournée vers la conserverie au sens large, la marque signant alors aussi des conserves de poissons, de fruits et de plats cuisinés. Elle était également présente dès le démarrage de notre internationalisation dans les années 1960, avec l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique ou l’Italie. La marque se trouve donc véritablement dans nos gènes. Notre entreprise a été fondée sur elle quasiment dès son origine, alors que les marques de distributeurs n’existaient même pas.

Comment concevez-vous ces marques de distributeurs dans votre stratégie ?

Leur émergence nous a conduits à accompagner le mouvement, au point qu’elles en sont venues à représenter jusqu’à 40 % de notre activité. Actuellement, nous assistons à une relution de nos propres marques, nous n’avons en effet aucune raison d’accepter des contrats à perte : la production pour les MDD doit avoir du sens, industriel et logistique, et ne saurait susciter des investissements déficitaires. En quatrième gamme, nous n’avons aucune raison d’en sortir, car la MDD contribue à notre optimisation logistique dans le domaine des produits frais. Inversement, en surgelés, notre taille insuffisante à l’échelle européenne nous avait fait passer des alliances avec Gelagri. En conserves enfin, nous avons dû fermer une usine l’an dernier pour nous placer en adéquation avec notre portefeuille MDD. La conserve et les surgelés sont des métiers de coûts fixes où une usine insuffisamment chargée coûte rapidement très cher. Mais aujourd’hui, nous sommes parvenus à une adéquation quasi-parfaite entre nos capacités industrielles, nos contrats MDD et nos prévisions de marques.

Le positionnement de Bonduelle a évolué, s’élargissant à l’ensemble du végétal, au-delà de celui de « pure player » du légume…

Il aurait été d’ailleurs plus exact de parler de « pure and complete player », tant les différentes technologies que nous couvrons, avec le traiteur notamment, s’étendent à des catégories diverses. Nous sommes effectivement en train d’élargir notre positionnement… mais c’est sous la poussée du consommateur. Il faut déjà préciser que le légume, personne ne sait bien le définir. La distinction entre fruits et légumes n’est même pas évidente au niveau agronomique. Pour le consommateur, seul l’usage compte. Le maïs – une céréale – en est un à ses yeux, de même que la pomme dans certains pays. Une marque appartient à ses consommateurs. Or ces derniers nous estiment parfaitement légitimes sur un taboulé. Notre ambition stratégique s’est logiquement tournée vers le végétal, sachant que nos potentialités varient d’un pays à l’autre. En Russie, nous vendons des cornichons ou des olives à notre marque, ce qu’un consommateur français ne saurait concevoir. De vastes univers s’ouvrent à nous, mais ils sont circonscrits au végétal, ce qui va déjà suffisamment loin. Nous sommes leader mondial du maïs doux, qui est une céréale, mais en revanche des céréales pour petit déjeuner n’entreront pas dans l’univers de Bonduelle. Le végétal doit s’inscrire dans des usages et des moments de consommation compatibles avec le positionnement de la marque.

La marque Bonduelle a-t-elle vocation à s’imposer face aux autres marques du groupe, notamment en cas d’acquisition ?

Nous avons plusieurs marques en effet : Cassegrain pour le haut de gamme en conserve en France, Globus en Russie, Artic Gardens en surgelés au Canada ou Ready Pac et Bistro que nous venons d’acquérir en frais aux États-Unis. Mais Bonduelle est clairement notre marque principale, internationale, multi-technologies et multi-circuits. Elle a la chance de s’adapter à de nombreuses langues où le préfixe bon a souvent une signification et ou la désinence elle jouit d’une consonance féminine. À la limite, elle aurait pu être inventée par un ordinateur ! La question du transfert ou non vers la marque Bonduelle en cas d’acquisition dépend des cas. Là encore, nous n’avons pas d’idéologie. Bonduelle a vocation à être la référente de notre ambition d’apporter « le bien vivre par l’alimentation végétale ». Mais ici où là, si une marque forte se présentait… L’hypothèse Géant Vert, qui s’est un temps présentée, en aurait été un bon exemple : si nous l’avions rachetée, nous ne l’aurions bien évidemment pas transférée sur Bonduelle.

À titre personnel, comment vivez-vous le fait qu’une marque porte votre propre nom ?

Quand on est né avec, on finit par ne plus y penser. Il y a une forme de dissociation consciente entre la marque et le nom de famille. Mais je reste toutefois persuadé qu’inconsciemment au moins, cela engendre un surplus de responsabilité. Il y a une promesse qui, au-delà de la marque, engage toute une famille, et même l’ensemble des collaborateurs du groupe. Elle impose une attention particulière à nos comportements au sein de la société civile, un devoir de ne pas s’exposer imprudemment. Cette responsabilité va bien plus loin que la seule qualité des produits.

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