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Salariés inventeurs, quelle rémunération ?

15/07/2018

Si la loi du 26 novembre 1990 a rendu obligatoire la rétribution du salarié à l’origine d’une invention, beaucoup d’entreprises ignorent encore cette obligation ou éprouvent des difficultés à la mettre en oeuvre.

par Céline Bey,
Avocate associée de Gowling WLG

Ces difficultés concernent aussi bien l’imprécision de la loi que la multiplicité des critères posés au fil du temps par la jurisprudence. C’est ainsi que depuis le début des années 2000, le contentieux dit « des inventions de salariés » ne cesse de se développer. En octobre 2016, l’Observatoire de la propriété intellectuelle auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) a publié une étude sur la rémunération des salariés inventeurs par les entreprises françaises 1. L’analyse met en exergue les différentes pratiques des entreprises interrogées s’agissant du versement de cette rétribution, des modalités de son calcul, du moment de son versement, des montants attribués et des principales difficultés rencontrées. Les données recueillies peuvent servir à guider les entreprises sur les modalités qu’il est possible de mettre en place pour rémunérer ses salariés inventeurs. L’adoption d’un système de rémunération clair et efficace est un outil stratégique non négligeable pour les entreprises dans le développement de l’innovation et la compétitivité. Cela permet en outre d’éviter au départ du salarié la survenance de contentieux dont les conséquences sont difficiles à maîtriser.

Réglementation

Les dispositions de l’article L.611-7 du code de la propriété intellectuelle déterminent qui, du salarié ou de l’employeur, est titulaire des droits sur l’invention et qui peut, en conséquence, déposer un brevet. Deux catégories – auxquelles s’applique un régime patrimonial différent – doivent être distinguées : les inventions de mission d’une part, et les inventions hors mission d’autre part, ces dernières pouvant être attribuables ou non attribuables. Les inventions de mission sont réalisées par le salarié dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail, qui comporte une mission inventive. Elles appartiennent à l’employeur et le salarié doit percevoir une « rémunération supplémentaire » en contrepartie de leur mise au point. Les inventions hors mission attribuables sont réalisées par le salarié dans le cadre de l’exécution de ses fonctions, dans le domaine d’activité de l’entreprise ou grâce à l’utilisation des moyens techniques de l’entreprise. Cette catégorie d’invention n’appartient pas à l’employeur ab initio, mais ce dernier peut s’en faire attribuer la propriété selon une procédure spécifique et en contrepartie du versement d’un « juste prix » au salarié. Les inventions hors mission non attribuables n’entrent ni dans le champ des inventions de mission ni dans celui des inventions hors mission attribuables. Elles appartiennent à l’employé et peuvent, le cas échéant, faire l’objet d’une cession au profit de l’employeur dans les conditions du droit commun.

Rémunération obligatoire de l’inventeur

Le droit à la rémunération supplémentaire ou au juste prix, selon le type d’invention concernée, naît, dans les deux cas, du seul fait de la mise au point de l’invention 2. Les conditions de mise en oeuvre et les modalités de calcul diffèrent en revanche selon que l’on est en présence d’une invention de mission ou d’une invention hors mission attribuable.
Invention de mission. Le premier alinéa de l’article L.611-7 1° du code de la propriété intellectuelle dispose que les « conditions dans lesquelles le salarié auteur d’une “invention appartenant à l’employeur” bénéficie d’une rémunération supplémentaire sont déterminées par les conventions collectives, les accords d’entreprise et les contrats individuels de travail ».

Or, il arrive souvent que la convention collective ou le contrat de travail soit muet sur la question, et les accords d’entreprise ne sont pas fréquents non plus. En cas de litige ou en l’absence de dispositions, c’est par une appréciation souveraine des éléments qui leur sont soumis que les juges apprécient le montant de la rémunération 3. Au cours des dernières années, les tribunaux ont pu évaluer ce montant en appliquant un certain nombre de critères, parmi lesquels :

  • la valeur de l’invention 4, qui est déterminée en fonction de son intérêt économique et/ou scientifique 5 ;
  • les difficultés pratiques de la mise au point de l’invention (fourniture d’un lieu destiné aux recherches, moyens humains et financiers) ;
  • le rôle personnel du salarié dans la découverte de l’invention 6 ;
  • les frais engagés par la société pour assurer la production et la promotion du produit 7 ;
  • la notoriété de l’employeur dans le domaine de l’invention 8.

Invention hors mission attribuable. Le deuxième alinéa de l’article L.611-7 2° du code de la propriété intellectuelle donne quant à lui quelques précisions sur les modalités de calcul du juste prix, puisqu’il précise qu’il convient de tenir compte des apports initiaux du salarié et de l’employeur et de l’utilité industrielle et commerciale de l’invention. Si l’évaluation doit se faire au jour où l’employeur exerce son droit d’attribution, des éléments postérieurs à cette date doivent donc être pris en compte. Il faut en effet anticiper les perspectives de développement de l’invention, ce qui peut, en pratique, s’avérer difficile dans certains cas.

Dispositions d’ordre public

Les dispositions de l’article L.611-7 du code de la propriété intellectuelle sont d’ordre public et tout accord entre le salarié et son employeur doit impérativement respecter les dispositions légales et les principes dégagés par les tribunaux en matière de rémunération. Ainsi, tout accord doit, sous peine de nullité, être constaté par écrit. De même, une convention qui restreindrait les droits que le salarié tient de la loi serait réputée non écrite et écartée. À titre d’exemple, les dispositions d’une convention collective qui soumettraient le principe de la rémunération à l’exploitation de l’invention ou à son intérêt exceptionnel seraient écartées 9. Enfin, il faut relever que les tribunaux ont pu prononcer des condamnations importantes en cas de manquement de l’employeur à l’obligation de rémunérer son salarié inventeur. Ainsi, il a pu être alloué les sommes suivantes : 500 000 euros et 556 920 euros pour deux inventions hors mission attribuable dans l’industrie pharmaceutique 10, ainsi que 203 157 euros pour huit inventions de mission dans l’industrie chimique 11.

Difficultés rencontrées par les entreprises

L’étude réalisée par l’Observatoire de la propriété intellectuelle révèle que malgré le souhait des entreprises de se conformer à loi et d’éviter tous litiges avec les salariés, 64,5 % d’entre elles rencontrent des difficultés dans la mise en place et le suivi du système de rémunération des salariés inventeurs et 25,8 % éprouvent des difficultés à interpréter la loi. Pourtant, l’importance de la rémunération des salariés inventeurs semble bien acquise par les entreprises répondantes, puisque 57,4 % d’entre elles affirment avoir mis en place un système de rémunération des inventeurs depuis plus de 10 ans, et seules 7,4 % d’entre elles ont répondu n’avoir mis en place aucun système.

Modalités de rémunération

Aucune règle n’est posée concernant les modalités de versement de la rémunération supplémentaire ou du juste prix. Elle peut prendre la forme d’un versement forfaitaire unique, d’un pourcentage du salaire ou encore de primes liées à l’exploitation du brevet (participation aux bénéfices, aux produits de la cession du brevet ou encore aux produits de la licence d’exploitation). L’enquête menée par l’Observatoire de la propriété intellectuelle révèle que dans 60,5 % des cas, les entreprises rémunèrent les salariés inventeurs par des primes forfaitaires. Pour fixer le montant de ces primes, les entreprises ayant répondu à l’enquête indiquent pour la plupart se référer à ce qui se pratique dans leur secteur d’activité, prendre en compte l’intérêt économique de l’invention, le cadre général de la recherche, les difficultés de mise au point de l’invention ou encore l’intensité de l’innovation. Le recours aux primes forfaitaires est une stratégie opportune pour les entreprises qui souhaitent inciter les salariés à l’invention tout en ayant des frais de gestion limités. Cependant comme le montre également l’enquête réalisée, ces primes, qui n’ont pas évolué entre 2008 (date de la précédente enquête menée par l’Observatoire) et 2016, oscillent entre 500 et 2 000 euros, ce qui peut paraître insuffisant pour stimuler l’innovation. Les entreprises recourent également, mais dans une moindre mesure, aux primes liées à l’exploitation de l’invention. Le plus souvent, les entreprises combinent primes forfaitaires et primes liées à l’exploitation (38,3 % ). Cette combinaison peut, dans certain cas, s’avérer avantageuse pour les salariés. D’après l’étude menée, le montant alloué oscillerait entre 400 et 15 000 euros. Enfin, 26 % des entreprises ayant répondu à l’étude indiquent avoir mis en place un accord d’entreprise.

Ce type d’accords, négociés en amont avec les salariés, permet aux entreprises de disposer de modalités de rémunération des inventeurs qui soient claires et connues de ces derniers, évitant ainsi les difficultés dans l’évaluation de cette rémunération ainsi que les litiges futurs. En effet, comme il a été souligné, l’application des textes en matière d’invention de salariés demeure délicate et les critères jurisprudentiels pas toujours faciles à appliquer.

L’étude de l’Observatoire de la propriété intellectuelle, même si elle a porté sur la pratique d’un nombre limité d’entreprises, a le mérite de nous renseigner sur les différentes solutions adoptées et de nous rappeler la nécessité de la mise en oeuvre de bonnes pratiques au sein de chaque entreprise, dont le respect ne pourra que favoriser l’innovation et donc être bénéfique pour l’entreprise.

Notes
(1) Source : Analyses INPI 2016-3 - 97 entreprises ont répondu à l’enquête de l’INPI.
(2) Cour de cassation (chambre commerciale), 20 Septembre 2011, Pierre Fabre, n° 10-20997 – rémunération supplémentaire ; Cour de cassation (chambre commerciale), 9 Juillet 2013, Arcelor c/ Audibert, n° 12-22157 – juste prix.
(3) Cour de cassation, 18 décembre 2007, Société Aube viticole services, n° 05-15768.
(4) Cour d’appel de Paris, 13 mai 2005, Rhodia c/ Ray, n°200105200.
(5) Tribunal de grande instance de Paris, 14 septembre 2005, Brinon c/ Vygon, n° 02/109023.
(6) Tribunal de grande instance de Paris, 9 mars 2004, Brinon c/ Vygon, n° 02/109023.
(7) Tribunal de grande instance de Paris, 27 avril 2004, Panol c/ Joly, n° 02/15007.
(8) Cour d’appel de Paris, 13 mai 2005, Rhodia c/ Ray, n° 200105200.
(9) Cour de cassation, 12 février 2013, Société Produits dentaires Pierre Roland, n° 12-12898.
(10) Cour d’appel de Paris, 25 octobre 2013, Société Pierre Fabre Dermocosmétique, n° 09/01240.
(11) Cour d’appel de Paris, 11 septembre 2013, Aventis Pharma, n°10/01761.

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