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Le pop-up store, un territoire d’expression pour les marques

16/07/2016

L’éclosion du pop-up store a donné une seconde vie à des formes urbaines traditionnelles. Il s’inscrit dans la filiation du happening, des arts urbains et d’une certaine contre-culture militante. Il répond, enfin, aux besoins actuels d’incarnation des marques et de fluidité des villes à l’ère post-numérique.

Par Delphine Beer-Gabel, Directeur Brand Development Klepierre
et Daniel Bô, P-DG QualiQuant

La ville est historiquement le lieu de l’éphémère et de la mobilité. Ainsi, les pop-up stores sont les héritiers de formes primitives de manifestations urbaines, qu’elles soient commerciales, culturelles ou festives. Autant de sources d’inspiration pour ces espaces temporaires. Les marchés : autrefois constitués de carrioles, qui se déplaçaient de rue en rue, ils étaient très mobiles et non standardisés. Les marchands ambulants : puces, brocantes, kiosques, triporteurs, guinguettes et autres paillotes sont des formes ancestrales de commerce mobile. Les fêtes royales : pour ces occasions, la ville se parait d’ornements éphémères, tels que des arcs, des portes monumentales… Le théâtre ambulant : au XVIIe siècle, dans leur majorité, les comédiens se produisaient de ville en ville, emportant avec eux leurs décors. Les foires, salons et expositions universelles : tout à la fois lieux de démonstration et de divertissement. Jusqu’à aujourd’hui, des stands de boisson et de nourriture sont toujours venus se greffer à ces manifestations éphémères. Les block parties : ces fêtes de quartier, nées aux États-Unis dans les années 1970, réunissaient le voisinage autour de musiciens, de jeux, de barbecues et autres animations. Elles tirent leur nom du fait qu’on interdisait à la circulation les pâtés de maison (en anglais : city blocks) concernés.

Une culture du happening

Le propre du pop-up store, c’est l’irruption momentanée et transitoire d’un phénomène, d’un événement dans la ville. Il s’inscrit dans une tradition de la performance, en lien avec l’histoire de l’art. Avec la vogue du happening, à la fin des années 1950, l’univers des arts plastiques rencontre celui de la performance. D’un objet fixe, immuable et éternel, l’oeuvre devient une intervention artistique, d’où la référence au verbe anglais to happen, signifiant « arriver », « se produire ». Celle-ci se déroule donc en temps réel, même s’il peut en rester des traces (documents filmés…). Puis, dans les années 1980, les rapports entre le happening et l’univers urbain se développent : c’est l’émergence de la street culture. Celle-ci pénètre l’ensemble du champ artistique et se démocratise, jusqu’à toucher la sphère commerciale. Enfin, dans les années 1990, une contre-culture urbaine apparaît, quand les avant-gardes militantes s’emparent des nouvelles pratiques liées à la mobilité. Grâce à l’instantanéité permise par les nouvelles technologies et les réseaux sociaux, de nouveaux modes d’action sauvages et spontanés (opérations coup de poing, flashmobs, squats…) voient le jour. Derrière cette primauté du temporaire, il y a une volonté de briser l’ordinaire, d’intensifier la vie grâce à des expériences extrêmes, de développer une dimension créative et artistique. Cette culture pirate, de guérilla, a été théorisée à travers le concept de ZAT 1 (zone d’autonomie temporaire) par Hakim Bey, pape du urban hacking. Ces références à une culture nomade et anarchiste pourraient sembler décalées par rapport à l’univers de la consommation. Mais le temporaire, par essence même, c’est ce qui est vivant, à l’opposé du figé, du rigide, du planifié, de l’institutionnel. Si elles s’approprient le terrain de l’éphémère, les marques ne peuvent donc se permettre d’être trop sages : elles doivent surprendre, casser les codes et s’inspirer de la culture underground.

Espace Havana Club

Paris, Café A, à proximité de la gare de l’Est, juin-août 2015 : après avoir monté quelques marches, le visiteur se trouve plongé au coeur du quartier cubain de Little Havana, un univers en rupture avec le 10e arrondissement de la capitale. Un espace réaménagé avec de nombreux dénivelés, des murs bruts, des palmiers, la reconstitution de maisons cubaines, une chapelle typique, de grandes tablées avec des bancs, des bars à mojitos… Le tout sur fond de musique « électropicale ». Une ambiance qui concourt à projeter les clients dans La Havane, la capitale cubaine. Un esprit d’authenticité souffle sur l’une des plus belles terrasses de Paris, ouverte à tous, où l’on peut concocter son propre mojito ou créer une oeuvre collective à l’espace Recyclage. Les dimensions humaine et collaborative sont au coeur du projet. Également au programme : des concerts d’artistes cubains, une initiation au street art, une exposition mettant en scène des affiches de cinéma cubaines, des rendez-vous gastronomiques…

Une réponse à de nouveaux besoins

Petite fleur folies. Une création de Gad Weil présentée par Yoplait

Mutations urbaines et envie de diversité. La ville est un organisme vivant, qui se modifie au fil du temps. Ces dernières années, un ensemble de transformations a affecté les zones urbaines. D’une part, la standardisation des centres-villes est un phénomène majeur et universel. D’abord valorisante pour les quartiers, la colonisation par les marques de mode et les franchises a fini par les uniformiser avec leurs façades homogènes. Cette situation engendre chez les consommateurs une attente de diversité. D’autre part, la désertification de certains quartiers s’accompagne de la disparition massive des petites boutiques. Les pop-up stores peuvent alors participer à la « gentrification » 2 (ou embourgeoisement) de ces zones, en occupant des espaces vacants. Mutations technologiques et retour aux lieux physiques. La révolution numérique a, elle aussi, des conséquences sur le dépeuplement des boutiques physiques et sur les évolutions du commerce en général. Avant la révolution numérique, une boutique était avant tout un lieu fixe, une adresse, alors que le consommateur était mobile : il se déplaçait de chez lui vers le magasin. C’est le phénomène du shopping, qui est l’occasion d’une balade, d’une flânerie, d’une observation des tendances et d’une sociabilité particulière. Puis, la révolution numérique a partiellement dévalorisé les lieux physiques. Avec leurs sites Internet et leurs e-boutiques, les marques reconstruisent sur l’écran un lieu virtuel, qui conserve les fonctions commerciales du magasin physique. Il offre même des bénéfices supplémentaires : plus pratique et plus rapide (puisque sans déplacement), il propose aussi davantage de choix que dans un espace physique nécessairement limité. La mobilité du consommateur lors du shopping cède la place à la sédentarité de l’achat numérique. Le digital cependant, ne suffit pas à remplir toutes les fonctionnalités d’un lieu physique : loisir, promenade et sociabilité disparaissent avec lui. Cette perte doit être compensée par le développement d’un nouveau type de commerce, dont l’objectif premier n’est pas l’achat, mais la flânerie, l’expérience et la découverte. C’est tout l’intérêt de la tendance des concept stores, qui font entrer le commerce dans une nouvelle phase : après sa dématérialisation à outrance, il se « rematérialise », se « respacialise ». Ainsi, il retrouve du volume et un territoire et autorise à nouveau la sensorialité, le concret, l’intuition. Pour autant, les nouveaux commerces physiques doivent prendre en compte les évolutions technologiques. Avec l’avènement du smartphone et l’ère du tout connecté, le consommateur acquiert de nouveaux réflexes et peut faire ses achats en ligne, quel que soit l’endroit où il se trouve, de manière imprévisible. Les marques doivent s’adapter à ses nouvelles exigences, en allant à sa rencontre. Résultat : les pop-up stores, lieux ouverts et mobiles, surgissent dans le paysage urbain et se mettent en travers de son chemin. Avec les concept stores, puis les pop-up stores, émerge l’ère postnumérique du commerce, qui intègre les acquis de la mobilité, en mêlant le physique et le digital. Progressivement, les fonctionnalités de la ville et de l’écran convergent, la première devenant, comme le second, fluide, « liquide », en perpétuel renouvellement. L’espace urbain n’est plus fixe et rigide : il s’autorise à faire apparaître et disparaître des lieux éphémères.

L’émergence d’un commerce post-numérique

Fruit des mutations urbaines et de la révolution numérique, le pop-up store cumule plusieurs fonctions du point de vue du consommateur, de la marque et de la ville. Une nouvelle expérience consommateur. Mobile et éphémère, le pop-up store propose une expérience intensifiée, du fait même de sa rareté. En rompant avec la trajectoire traditionnelle du magasin fixe, il crée la surprise et attise la curiosité. Un mode d’expression intensif de la marque. Avec la numérisation la question de la présence de la marque dans le monde physique devient cruciale. Les nouveaux lieux que sont les concept stores et les pop-up stores fournissent une réponse, puisqu’ils permettent de créer une souveraineté originale, à mille lieues de linéaires multimarques standardisés, centrés sur les packagings – la marque s’incarne dans un lieu qui lui est propre, bénéficiant d’une atmosphère singulière – ; de tisser un rapport différent avec le public, plus vivant et direct, en proposant de nouveaux modes d’approche de la marchandise ; de communiquer de façon événementielle, en générant un retentissement médiatique. L’animation des villes. Pour son environnement, le pop-up store embrasse une fonction d’animation, en recréant des espaces vivants dans les villes, avec l’investissement de lieux désaffectés ou vides, l’appropriation des anciennes attributions des arts de la rue, le développement d’une certaine diversité au coeur des villes.

Le sapin de Noël Ferrero Rocher

Paris, gare Saint-Lazare, 17-31 décembre 2013 : Ferrero crée un sapin de Noël géant de 12 mètres de haut, constitué de 3 000 boules dorées reprenant la forme de son célèbre rocher. De quoi surprendre et éveiller la gourmandise des visiteurs ! Au pied de celui-ci, les passants ont la possibilité d’acheter des coffrets de trois produits phares de la marque, accompagnés d’un ruban au message personnalisé. Ferrero reprend ici un certain nombre de fonctions du popup store, relevées de façon plus ou moins consciente par les consommateurs :
 l’éphémère, en lien avec une saisonnalité ;
 la rareté des séries limitées et la possibilité de personnaliser le produit, fort appréciées des acheteurs ;
 l’objet de communication analogique : les clients ont été émerveillés par l’esthétique et l’aspect grandiose du sapin Ferrero, qui rappelle la pyramide de ses films publicitaires. Les passants se prennent en selfie devant l’arbre, comme s’il s’agissait d’un monument.

 

Des possibilités créatives exceptionnelles pour les marques

Définir le pop-up store exclusivement comme une boutique à durée de vie limitée, ce que font certains médias, ne saurait rendre compte de la richesse du phénomène. D’autant que, de même que la technologie, il a rapproché de manière inédite la marque du commerce, en lui permettant de s’adresser directement au consommateur. Au-delà de sa rareté constitutive, le pop-up store pose la question du mode de présence des marques à l’ère du commerce post-numérique. À ce titre, c’est avant tout un espace d’intensification de l’expérience. Un impératif qui, de plus en plus, conduira à faire évoluer les magasins traditionnels eux-mêmes. Alors que ces derniers tendent tous à se ressembler – ils sont contraints d’adopter des codes, de respecter un cahier des charges et de se soumettre aux règles architecturales de leur environnement –, les pop-up stores peuvent se déployer de mille manières dans l’espace urbain. L’aspect provisoire et éphémère de leur structure leur confère une grande liberté. Ce qui frappe, en voyant défiler ce nouveau paysage, c’est sa diversité. Diversité des expériences, des formes et des fonctions : voilà qui vient chahuter et compléter avantageusement des boutiques standardisées. En effet, le pop-up store apporte de la couleur, du ludisme et de la joie de vivre dans le commerce classique. Plus encore : il crée la surprise, en appelle à la participation des consommateurs et peut transmettre une énergie positive. Cette créativité foisonnante est une des clés de l’avenir du commerce. Les possibilités sont infinies, car à l’éphémère rien n’est interdit ! Les arts plastiques et vivants, les décors de théâtre ou de cinéma, mais aussi l’humour et l’autodérision sont autant de ressources naturelles. Le pop-up store est un champ d’exploration immense pour les marques avec un potentiel d’invention quasi illimité.

(1) http://www.lyber-eclat.net/lyber/taz.html 
(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Gentrification

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