Articles

Marques de PGC et patrimoine culturel

16/07/2016

La pérennité des marques dépend de leur aptitude à s’adapter aux évolutions culturelles et à compter plusieurs générations au nombre de leurs consommateurs.

Par Jacques Dupré Directeur Insights et Communication IRI
et Juliette Favre, Insights manager IRI

Culture (dictionnaire Hachette) : « ensemble des activités soumises à des normes socialement et historiquement différenciées et des modèles de comportement transmissibles par l’éducation, propre à un groupe social déterminé ».
Au vu de cette définition, il est clair que les marques que nous consommons font partie intégrante de notre patrimoine national et de notre culture. De la même façon, les marques appartiennent de manière différenciée – selon leur puissance, leur ancienneté, leur communication/ positionnement – à notre histoire collective. Loin de nous pourtant l’ambition, en tant qu’institut d’études des ventes des PGC à partir des sorties de caisses, de réaliser une étude sociologique poussée sur le thème « marque et culture ». Nous n’aurions aucune légitimité en la matière, notamment en apportant une vision globale et non monographique des milliers de marques qui composent le paysage de notre consommation. Toutefois, à partir de différents travaux effectués récemment, nous pouvons apporter quelques éclairages généraux.

 

Les grandes marques nationales dans notre consommation aujourd’hui.

L’âge des 271 marques de PGC de plus de 50 M€ (CA) au sein des PGC

Il y a quelques mois, nous avions réalisé un dossier pour le compte de l’ILEC, visant à examiner le poids des grandes marques et leur évolution à moyen terme. Nous avons complété ces informations en intégrant des données sur leur âge. Nos investigations couvrent l’ensemble des marques réalisant plus de cinquante millions d’euros en 2015. L’étude porte sur 271 marques, qui représentent globalement près de 50 % de nos achats PGC et près des deux tiers de nos achats de marques (hors MDD).

L’ancienneté de ces marques. Les marques de notre panier actuel, nous les consommons depuis toujours ou presque : leur âge moyen est de soixante-dix-neuf ans (et même de près de quatre-vingt-dix ans si nous pondérons par leur chiffre d’affaires ! ) ; quatre-vingts (36 % ) d’entre elles sont plus que centenaires.
Pour les plus jeunes, un tiers des marques sur le marché sont transgénérationnelles, elles ont accompagné durant toute leur vie leurs parents, grands-parents et même arrièregrands- parents. Les marques qui ont entre quatre-vingt-dix et cent ans, que nous pourrions dénommer les marques « génération Aznavour ou Elisabeth II » sont des marques que tous les Français connaissent et ont consommé, et qui font donc partie de notre patrimoine commun : Fleury Michon, Ricard, Bonduelle, Lactel, Petit Navire, Haribo, Amora, Gemey, Materne, Label 5, Joker, Mixa, Bordeau Chesnel, Gerblé, Brossard, Orangina, Babybel, Lesieur, La vache qui rit, Spontex, Mentos, Lutti, Heudebert, Mercurochrome, BN, Danone. Rassurons-nous, les marchés des PGC ne sont pas figés pour autant : soixante-neuf marques ont (comme la fameuse ménagère cible) moins de cinquante ans et quatorze d’entre elles sont apparues au xxie siècle.

Leur dynamique à court terme. Les grandes marques de fabricants sont dynamiques. Leurs ventes ont progressé de près de 14 % en cinq ans, cinq points de plus que l’ensemble des marchés PGC (+ 10 % ) ! Les marques de moins de cinquante ans progressent certes plus vite (+ 23 % ), mais les centenaires progressent à la même vitesse que leurs marchés.

Trois marques particulières de la génération Elizabeth II

Évolution des grandes marques entre 2010 et 2015

Bonduelle, Fleury Michon et Mixa, trois grandes marques d’un âge moyen équivalent à celui de l’ensemble des grandes marques, progressent chacune de près de 30 % en cinq ans. Fortes de leurs racines, les grandes marques se développent grâce au lancement de nouvelles références sur leurs marchés historiques, ou de nouveaux produits sur des catégories périphériques, en phase avec les tendances culturelles actuelles. Bonduelle, quatre-vingt-dix ans et toujours spécialiste du légume, réalise en 2015 deux tiers de ses ventes avec ses références de quatrième gamme, salades ou légumes surgelés. Les références de snacking, produits « sans » et bio sont parmi les premières ventes de Fleury Michon. Mixa ne s’adresse plus seulement aux mamans pour le soin de leur bébé, 70 % des ventes de la marque se font dans d’autres catégories d’hygiène beauté. Le mode de distribution des grandes marques évolue, en phase avec notre culture d’achat. Presque toutes les grandes marques, hors produits frais naturellement, sont disponibles sur Amazon ; certaines d’entre elles proposent également de la vente directe depuis leur site Web ou des boutiques éphémères, ne laissant pas aux seules jeunes marques de prêt à porter ou de déco ce canal de distribution très tendance. De même, via Twitter ou Facebook par exemple, elles entretiennent avec leurs acheteurs une grande proximité : la relation directe avec le consommateur n’est pas l’exclusivité des marques très récentes ou des circuits courts. Fleury Michon répond très rapidement et régulièrement aux questions concernant la provenance des produits ou les modes de production, Mixa est épaulée par les « youtubeuses » pour conseiller ses consommatrices, Bonduelle est la marque de grande consommation qui inspire le plus confiance, selon un sondage Opinion Way.
De toute évidence, les grandes marques qui ne vivent pas sur leurs acquis et qui s’adaptent aux changements de la société et aux mouvements des générations perdurent et continuent de s’intégrer dans notre patrimoine. Bien sûr, d’autres, aussi puissantes que les précédentes à un moment donné mais moins réactives, s’éteignent lentement, mais sûrement. Les marques qui ne sont pas arrivées à passer d’une génération à l’autre deviennent au mieux des madeleines de Proust (mais « brandées » ! ), des marques « vintage » pour une génération particulière. D’autres peuvent être immolées sur le temple de la rationalisation ou de la mondialisation. Les exemples personnels de l’un des auteurs sont les fameux Mistral Gagnant et Coco Boer (évoqués par Renaud) ou Chambourcy « oh oui ! », son lieu d’habitation.

Les autres marques patrimoniales.

Poids local et régional

Bien sûr, l’ancrage dans notre consommation ne se limite pas aux seules grandes marques institutionnelles et incontournables à dimension nationale. La France est constituée de territoires caractérisés par leur histoire et leur géographie, en d’autres termes par leur culture propre. Par ailleurs, tout au long du xxe siècle, notre pays a été une terre d’immigration, et aujourd’hui une part importante de sa population a des racines étrangères.

Les marques locales et régionales. Toutes les études menées au cours des cinq dernières années auprès des acheteurs montraient leur attachement renforcé à leur environnement géographique et aux marques locales. Ces marques locales répondaient à plusieurs aspirations complémentaires du consommateur du début du xxie siècle.
• Un souci d’identification culturelle dans une société perçue comme de plus en plus mondialisée, et de ce fait impersonnelle.
• Un désir de soutenir l’économie locale ou régionale en difficulté et, au premier chef, les agriculteurs et les industries alimentaires de la région.
• Une conscience écologique, avec en toile de fond la volonté de limiter les émissions de CO2.
• Une recherche de plus en plus marquée pour des produits sains et de qualité, et de manière sous-jacente avec l’idée qu’un producteur local ne pouvait (se permettre de) tromper son environnement géographique immédiat.
Afin de pouvoir porter une appréciation quantitative de cette tendance de consommation, qui ne pouvait être qu’une nième déclaration d’intention (peu suivie de réalité), IRI a mené à plusieurs reprises depuis 2013 de premières investigations sur ces marques locales. Nos plus récents travaux ont été présentés lors des dernières journées annuelles de l’IFM. Malgré une définition restrictive, nous avons pu identifier un peu plus de 1 800 fabricants locaux au travers de nos bases de données. Bien sûr, leur chiffre d’affaire consolidé reste très faible : il s’établit en effet à 1,3 milliard d’euros en 2015. Sans commune mesure avec les grandes marques étudiées précédemment. Toutefois, ce marché progresse de manière assez forte : + 20 % de croissance entre 2010 et 2015, soit plus rapidement que les PGC, et même plus rapidement que les grandes marques – qui semblaient les championnes de la croissance. La cartographie par département de leur implantation est sans doute plus spectaculaire. Elle est en effet sans équivoque : la puissance des marques locales correspond à des identités régionales fortes comme la Bretagne, la Vendée, le Pays basque, le Nord-Pas-de-Calais, l’Alsace ou la Savoie. Cette géographie des marques locales correspond également au maintien de langues et dialectes, signe évident de la volonté de sauvegarder une culture spécifi que, quelquefois contre le pouvoir central ou centralisateur. Il s’agit enfi n de régions qui sont en périphérie et souvent disposent de frontières avec d’autres pays et d’autres cultures. À l’inverse, les marques et fabricants locaux sont marginaux au sein d’un bassin parisien élargi qui couvre plus de 50 % du territoire.

Marques/culture et immigration. Dans le cadre de la rédaction de cet article, nous avons procédé à des investigations (à vocation exploratoire) sur les marques « étrangères ». Nous nous sommes notamment intéressés à quelques marques portugaises assez emblématiques pour la communauté lusitanienne. Sans trop de surprise, nous retrouvons une très forte concentration dans les départements de la banlieue parisienne, mais également dans des régions qui ont accueilli de forts contingents portugais (Loiret et Loir-et-Cher notamment). La consommation de certaines marques est donc, même au sein de nouvelles générations, une manière de conserver un lien avec leur pays, leur histoire et leur culture. Les marques thématiques des distributeurs. Certains distributeurs ont créé de véritables marques, qui ont pour vocation de s’intégrer pleinement dans notre patrimoine en jouant notamment sur nos traditions gastronomiques locales, à l’instar de Refl ets de France et de Nos régions ont du talent.

Qu’il s’agisse de très grandes marques à vocation nationale, de marques à dimension géographique plus limitée ou de marques étrangères, celles qui s’inscrivent dans notre histoire sont celles qui arrivent à éviter l’écueil des changements naturels des générations en s’adaptant et en se renouvelant. Les marques appartenant à notre culture commune, à notre patrimoine historique bénéfi cient dès lors d’un supplément d’âme et d’image qui leur permet d’enregistrer des performances très positives. Les industriels en sont conscients, au point que certains relancent aujourd’hui des marques restées en sommeil et qui appartenaient à notre culture commune. Mais il convient sûrement d’identifi er celles qui ont encore ce potentiel, celles qui n’ont pas subi de ruptures trop fortes dans le temps et qui dépassent le simple cadre de la nostalgie passéiste (voire réactionnaire ou rétrograde).
 

Malo, une grande marque locale

La marque Malo a souvent été considérée comme l’emblème de la marque locale forte au sein des PGC. Notre ancien dirigeant, Olivier Géradon de Vera, la citait volontiers dans ses conférences en signalant par exemple que son absence dans un magasin de sa région pouvait être le symptôme d’une méconnaissance de sa zone de chalandise et relevait de la faute professionnelle grave. La Centrale laitière malouine est le fruit de l’histoire bretonne : elle est apparue juste après-guerre pour répondre à une directive du gouvernement de l’époque visant à approvisionner l’ensemble du territoire national en lait frais. Malgré sa taille et la structure concentrée de son activité, il s’avère que cette marque phare n’entre pas dans notre défi nition des marques locales de 2015 (ni même de 2010 d’ailleurs). Elle ne représente en effet « que » 46 % dans son fi ef historique constitué de quatre départements. Si nous observons ses résultats au cours des cinq dernières années, ils sont très illustratifs de la capacité des marques locales (que l’on pourrait qualifi er de traditionnelles) à se développer. Entre 2010 et 2015, son chiffre d’affaires a crû de près de 57 % au niveau national. Dans son fi ef historique (départements 35, 22, 56 et 29), elle a progressé, notamment via l’innovation et la diversifi cation, toujours sur son coeur de marché, de près de 30 % . Dans sa zone secondaire d’infl uence (Normandie et Pays de la Loire) et en Île-de-France (région dans laquelle elle était déjà bien implantée), ses ventes ont augmenté de près de 50 % . Enfi n, elle a doublé ses ventes dans le reste du territoire national, même si elle reste quasiment absente dans l’ensemble du grand Est et du Sud de la France. Sans enfermement dans une culture locale étouffante, Malo est l’exemple qu’une marque qui dispose de racines profondes peut se diffuser et rejoindre à terme, sans reniement de son ancrage géographique, la catégorie des grandes (comme l’ont fait en leur temps les marques observées dans notre première partie).

Pour accéder à l'article complet, cliquez sur Article au format PDF

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.