Entretiens

Territoires industriels à l’offensive

08/01/2021

Sur fond de crise sanitaire, la baisse historique des emplois industriels semble arrêtée, grâce à l’action conjointe des acteurs dans les territoires. Le développement de sites clés en main participe de ce renouveau, dont la pérennité dépend aussi du développement des compétences. Mais l’impact de la crise actuelle sera durable. Entretien avec Guillaume Basset, délégué aux Territoires d’industrie.

A-t-on assisté ces dernières années à d’importants mouvements (concentration urbaine ou diversification territoriale, est-ouest, nord-sud…) dans la répartition géographique et territoriale de l’emploi industriel ?

Guillaume Basset : Oui comme l’atteste une étude de l’Observatoire des territoires en 2018 qui concluait à une recomposition profonde du paysage industriel français, avec des conséquences importantes en termes de cohésion sociale et territoriale. En quarante ans, nous avons assisté à une baisse spectaculaire des emplois industriels, en particulier dans les régions du Nord-Est, qui ont connu une division par deux de la part des emplois industriels, et une diffusion plus homogène sur le reste du territoire, notamment vers l’ouest de la France. Les Pays-de-la-Loire sont et la région Bourgogne-Franche-Comté sont les deux régions où le taux d’emploi industriel est le plus élevé en France.

Certains territoires industriels résistent bien et sont à l’offensive : même si c’est minoritaire, 25 zones d’emplois sur 322 ont t connu entre 1975 et 2014 une progression de la part des emplois industriels. Les territoires les plus affectés conservent eux une identité industrielle importante, dans la stratégie de reconquête que le gouvernement mène aux côtés de différents partenaires, pour attirer de nouveaux investissements. Nous devons veiller à mesurer l’impact de la crise actuelle sur l’industrie, qui sera durable, et éviter une réduction sous la barre des 10 % du PIB, mais aussi suivre de près l’évolution de certains territoires mono-filières. Je pense à certains bassins d’emplois d’Occitanie fortement liés à l’aéronautique, mais pas seulement.

Hors aéronautique et automobile, quels « territoires d’industrie » ont été les plus affectés par les retombées de la crise sanitaire ? Et les plus résistants ?

G. B. : La question est complexe, car nous ne sommes pas sortis de la crise sanitaire et économique. Je suis convaincu que le capital social des territoires, c’est-à-dire la coopération entre industriels, la capacité de mener des projets en commun, la capacité des acteurs publics et privés à se parler, sera déterminant pour sortir la tête de l’eau. Certains territoires mènent un travail de repositionnement, d’examen de l’impact de la crise, par des tests de conjoncture, d’identification des leviers de rebond, comme le Sud-Alsace ou le territoire d’industrie de Lacq-Pau-Tarbes, et nous les y encourageons. Notre dernière assemblée générale des territoires d’industrie, qui s’est tenue le 15 décembre, souligne qu’un tiers des territoires d’industrie avaient engagé ce travail. Pour les autres, c’est en cours de réflexion. Il faut aller plus vite et plus loin, avec pour devise agir plutôt que subir. On peut citer des territoires comme le Nord-Franche-Comté ou le Haut-Doubs horloger, qui mènent des stratégies d’investissement et de rebond offensives particulièrement intéressantes.

Le foncier, sujet clé

Y a-t-il aujourd’hui des branches industrielles qui trouvent grâce à la crise ou malgré elle des opportunités de croissance ?

G. B. : Nous constatons de manière globale que l’investissement industriel a étonnement bien résisté en 2020, ce qui traduit une volonté de nombre de nos entreprises industrielles de se projeter et de préparer l’avenir. C’est un signal très positif pour notre industrie, y compris dans des filières jusque-là très affectées (textile, jouets…). Le volet industrie de France Relance a été engagé plus rapidement que prévu, y compris dans ces secteurs. Certaines branches s’en sortent mieux que d’autres, comme l’a révélé la dernière note de l’Insee en décembre [1] : l’eau, l’énergie, les déchets, l’agro-alimentaire, ou les biens d’équipement.

Lors d’une récente conférence organisée par la Fabrique de l’industrie [2], vous insistiez sur l’importance du foncier industriel : où trouver des terrains accessibles sans aggraver l’artificialisation des sols, alors que l’industrie tend à préférer aux métropoles le péri-urbain des villes moyennes ?

G. B. : C’est le sujet clé. Nous devons mieux accueillir les projets d’investissement, avec une vraie stratégie en la matière entre les acteurs. Dans le contexte de lutte contre l’artificialisation des sols qui est une avancée dans la protection de la biodiversité, le foncier industriel devient une denrée plus rare et doit être géré comme tel. Cela suppose la mise en place à l’échelle des territoires d’industrie et des collectivités locales de véritables stratégies foncières, pour bien identifier le foncier disponible, connaissance dont on est loin aujourd’hui, et organiser un accompagnement sur mesure des industriels. C’est la logique des sites clés en main que nous avons lancée en novembre 2019. Elle a conduit à identifier 78 sites industriels clés en main : nous donnons aux industriels les autorisations administratives en moins de dix mois, car les autorisations ont été anticipées. Le foncier engage trois types d’autorisations, avec trois administrations différentes et des délais différents : les communautés de communes, la Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) et la Drac (direction régionale des affaires culturelles) sont réunies par nos soins et nous nous engageons à délivrer aux entreprises toutes les autorisations. Nous venons de lancer un nouvel appel de sites clé en main.

Déclinaisons entre villes moyennes et métropoles

71 % des investissements industriels étrangers, en 2019, ont concerné des communes de moins de 20 000 habitants : est-ce une tendance récente ?

G. B. : Non, nous vérifions cette donnée depuis longtemps. Cela s’explique par le coût plus faible du foncier et de la main-d’œuvre par rapport aux métropoles. Cela montre que l’industrie a un rôle majeur dans la cohésion territoriale et dans la vitalité de ces villes moyennes.

Certaines industries pourraient-elles conquérir le cœur des métropoles, ou leurs pourtours, à la place de bureaux vidés par le télétravail ?

G. B. : Certaines métropoles veulent de nouveau se doter de fonctions productives de plus petites séries. C’est une réponse beaucoup plus réactive à l’évolution de la demande, plus personnalisée, moins massive. On tend vers des unités de production plus petites avec une main-d’œuvre plus qualifiée, en particulier dans le domaine du digital. Les métropoles ont ici une carte à jouer, en complémentarité avec les autres territoires, avec une meilleure répartition de la chaîne de valeur et l’optimisation des espaces de travail.

« La dynamique du territoire, observe Louis Gallois [3], doit venir du territoire lui-même, les acteurs locaux doivent se prendre en main, sinon on va arroser le sable. » Faut-il une nouvelle génération de « pôles de compétitivité » qui ne seraient pas décrétés d’en haut ?

G. B. : Les pôles de compétitivité reposent sur une dimension sectorielle, par filières. Les résultats demeurent globalement positifs et cette politique a été réaffirmée par le Premier ministre et le ministre de l’Économie en 2019, avec un poids renforcé des conseils régionaux dans leur gouvernance et un nombre plus réduit de pôles, pour peser davantage à l’échelle européenne et internationale. Il est vrai que certains territoires n’ont pas toujours des spécialisations par filières, quand d’autres sont multisectoriels, et c’est notamment le rôle de Territoires d’industrie. La vraie différence est, comme le souligne Louis Gallois, la capacité à se prendre en main au niveau local, à travailler sur l’attractivité du territoire, à attirer les investissements et à les accompagner au mieux. Deux attitudes sont clés, la détermination des acteurs locaux et la confiance entre eux. Plusieurs territoires ont franchi ce cap : Lacq-Pau-Tarbes, Troyes, Les Herbiers, Sud-Alsace ou Roanne, qui sont de beaux exemples de reconquête industrielle.

Données ou maintenance, compétences trop rares

Dans quels secteurs l’offre de formation aux métiers de l’industrie, considérée sous l’aspect de son déploiement territorial décentralisé, est-elle le plus insuffisante ?

G. B. : On ne peut pas répondre seulement de manière nationale à cette question. Il faut une approche locale avec les analyses des Comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (Crefop), à travers une analyse fine par bassin d’emploi. Il y a des métiers porteurs qui concernent l’industrie du futur, notamment la gestion des données, la digitalisation des chaînes de production, la maintenance prédictive, et qui nécessitent des qualifications aujourd’hui malheureusement rares et donc concurrentielles. Il peut aussi s’agir de métiers plus ancrés mais qui sont en pénurie (technicien de maintenance). L’échelle du territoire d’industrie est pertinente pour mener ce travail, entre industriels et acteurs publics (État, Région, Pôle emploi, Apec, etc.)

En quoi le digital – associé au tournant du télétravail – peut-il contribuer à la relocalisation industrielle, alors qu’il semble tellement favoriser la délocalisation des services ?

G. B. : Il permet de regagner des marges de compétitivité, de réduire certains intrants, d’être économe en matières premières, de recruter des nouveaux profils. Une étude récente de Trendeo consacrée à la relocalisation montre que la digitalisation n’est pas, globalement, destructrice d’emplois. L’enjeu est de développer des solutions françaises en matière d’industrie du futur, à l’image de l’initiative Boost French Fab [4], que nous souhaitons voir encouragée, mais toutes les initiatives prises en la matière sont à stimuler. En période de crise, la solidarité est plus que jamais une exigence.

On entend beaucoup parler de réindustrialisation en lien avec la transition écologique, mais « l’écologie industrielle des territoires » semble avoir disparu des radars ; c’est seulement une affaire de mots ?

G. B. : Si l’industrie représente 17 % des émissions de C02, elle est aussi une grande partie de la solution en matière de transition écologique. Parmi les solutions, citons la recherche de matériaux bio-sourcés, la gestion des déchets, l’hydrogène, le véhicule propre ou l’avion décarboné, qui sont des priorités de la politique menée à travers France Relance. Nous croyons également beaucoup en la recherche de solutions locales, que sont la gestion de la ressource en eau, la performance énergétique, les énergies renouvelables, et pour lesquelles nous apportons un soutien en ingénierie.

[1] https://www.insee.fr/fr/statistiques/4997477?sommaire=4473296
[2] https://www.youtube.com/watch?v=mdbJksIwjR8&feature=youtu.be
[3] « Réindustrialiser plutôt que relocaliser ?  », La Fabrique de l’industrie, 5 novembre 2020, .
[4] http://www.boostfrenchfab.fr

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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