Entretiens

Biodiversité

L’OFB, facilitateur d’engagements

09/12/2021

Établissement public sous la double tutelle de la Transition écologique et de l’Agriculture, l’Office français de la biodiversité (OFB) propose aux entreprises un accompagnement dans leur stratégie environnementale. Entretien avec Lôra Rouvière, cheffe de projet mobilisation des acteurs économiques à l’OFB.

Que vise le programme « Entreprises engagées pour la nature – Act4nature France » ?

Lôra Rouvière : C’est un programme du ministère de l’Écologie porté par l’Office français de la biodiversité, lancé fin 2019. Son ambition est d’inciter le plus grand nombre d’entreprises, de toute taille et de tout secteur à faire le premier pas pour prendre en compte les enjeux de la biodiversité. Nous fédérons cent quarante-deux entreprises, dont soixante-quatre ont déposé des engagements individuels. Nous accueillons quatre adhérents par semaine. Des entreprises adhérentes de l’Ilec en font partie : Bel, L’Oréal et Nestlé France. Bel s’engage sur les pratiques de pâturage durable (100 % du lait provenant de vaches en pâturage durable), sur des emballages 100 % recyclables ou biodégradables. Il est engagé sur la provenance de l’alimentation animale (soja), ainsi que sur la réduction de l’empreinte carbone et de la consommation d’eau. Hors de son cœur de métier, il mène des actions de mécénat, contribue à des programmes de recherche sur la biodiversité et à l’information des consommateurs. L’Oréal et Nestlé France, eux, sont en phase d’adhésion.

Quelles sont les conditions pour être reconnue « entreprise engagée pour la nature » ?

L. R. : Les entreprises intègrent le programme en signant la charte et ses dix principes :

« Intégrer la biodiversité dans notre stratégie d’entreprise,
« Dialoguer avec l’ensemble de nos parties prenantes,
« Évaluer les différentes composantes de la biodiversité qui nous concernent,
« Promouvoir l’intégration progressive de la biodiversité dans les décisions tout au long de nos chaînes de valeur,
« Éviter en premier lieu, réduire et – en dernier lieu – compenser nos impacts,
« Développer en priorité des solutions fondées sur la nature,
« Intégrer la biodiversité dans notre dialogue avec les pouvoirs publics,
« Sensibiliser et former nos employés à la biodiversité,
« Mobiliser les ressources et établir les partenariats appropriés,
« Rendre compte publiquement de la mise en œuvre de ces engagements. »

Communauté d’acteurs et de pratiques

La signature se fait au plus haut niveau de la direction, ce portage permettant de garantir la mise en œuvre et le suivi de l’engagement. L’entreprise dispose ensuite d’un an pour déposer un plan d’action, dont elle définit le périmètre, avec au moins deux actions dont l’une en lien avec son cœur de métier. Ses actions doivent être « SMART », c’est-à-dire « spécifiques, mesurables, additionnelles, réalistes et temporellement encadrées ». L’entreprise est libre de son plan d’action et de la durée de son engagement. L’OFB impose seulement e cadre SMART  et deux actions dont l’une au cœur de l’activité, mais l’entreprise est libre quant au choix des actions. Ce cadre peut s’adapter aussi bien à une petite qu’à une grande entreprise.

Est-ce un label ?

L. R. : Ce n’est pas un label mais un programme, pour amener le plus grand nombre à agir. Il reconnaît une démarche d’entreprise à travers la formalisation d’un plan d’action. L’entreprise ne peut pas afficher sur ses produits le logo du programme, mais cela ne l’empêche pas d’entreprendre des démarches de certification et de valoriser dans son rapport RSE son lien avec l’OFB et son inscription dans le programme.

Qu’attendez-vous des entreprises « engagées pour la nature » ? Que leur apportez-vous ?

L. R. : Il en est attendu une proportionnalité des actions au regard de leur taille, et une amélioration continue pour faire le premier pas ou le pas supplémentaire. L’objectif est de leur offrir un cadre robuste pour structurer leur démarche biodiversité et reconnaître des actions de qualité. L’OFB crée une communauté d’acteurs et de pratiques, un club des engagés au sein duquel nous apportons de l’expertise sur différents sujets. Nous capitalisons des retours d’expériences et nous partageons les bonnes pratiques entre pairs, car rien n’est mieux qu’une entreprise pour parler à une autre entreprise.

Cette communauté d’entreprises travaille-t-elle en libre accès?

L. R. : Oui au sein de la communauté, quand il s’agit de partager des plans d’action. Mais non sur les données propres aux entreprises.

Pas seulement le climat

Est-ce que les entreprises qui travaillent sur l’écoconception de leurs produits et emballages, sur la neutralité carbone de leurs usines et sur une agriculture plus respectueuse de l’environnement peuvent être reconnues « entreprises engagées pour la nature » ?

L. R. : Cela dépend du plan d’action qu’elles souhaitent mettre en place et de leurs enjeux du point de vue de la biodiversité. Notre approche est fondée sur la chaîne de valeur : nous souhaitons que chaque entreprise qui adhère au programme mette en place au moins une action en lien avec ses activités, donc avec sa chaîne de valeur. Suivant l’activité, l’éco-conception des produits et des emballages, qui concerne l’aval, peut tout à fait s’inscrire dans le plan d’action ; idem pour les pratiques agricoles. En revanche, si les entreprises ont un plan d’action exclusivement centré sur le climat, comme la neutralité carbone, elles doivent l’élargir à d’autres actions qui opèrent sur d’autres facteurs de l’érosion de la biodiversité. La condition étant évidemment que l’action proposée soit additionnelle par rapport à celles déjà engagées.

Qui sollicite qui ?

L. R. : Les entreprises nous sollicitent, car l’enjeu biodiversité est moins évident à appréhender que celui du climat. L’OFB leur propose un cadre qui a reçu l’aval de l’État. Ce sont les directions développement durable et RSE qui font appel à nous. Il revient aussi à l’OFB de sensibiliser les entreprises qui ne sont pas encore engagées. L’OFB entend aussi bien renforcer la communauté des acteurs qui agissent, lui permettre de monter en compétence, ou encore lui donner de la visibilité et la développer en sollicitant d’autres entreprises. Nous développons une palette d’outils au fur et à mesure de notre expansion : nous préparons actuellement un MOOC qui sera disponible en 2022 pour initier les entreprises à une première approche de la biodiversité. Le programme est conçu pour qu’une entreprise qui débute dans la biodiversité et ses enjeux puisse s’inscrire sans réticence.

Bilans bisannuels

Un comité d’experts valide-t-il les progrès réalisés ?

L. R. : Tous les deux ans et au terme du plan d’action (en fonction de sa durée), l’entreprise remet un bilan. On évalue alors son ambition d’origine et les premiers résultats. Un bureau d’études est mandaté par l’OFB pour effectuer un travail d’analyse et remettre un avis, qui est validé par un groupe de trois relecteurs (l’un issu du monde économique, un autre du monde institutionnel et le troisième du monde associatif). Aucune entreprise n’est retirée du programme, chacune accédant à l’un des trois niveaux de reconnaissance, avec des modalités de valorisation différentes.

Qu’apporte aux entreprises d’être reconnues « engagées pour la nature » ?

L. R. : L’OFB leur donne accès à des outils et à des bonnes pratiques. Autre atout : la visibilité, grâce aux événements auxquels l’OFB participe, comme récemment le Congrès mondial de la nature à Marseille. Les entreprises peuvent aussi valoriser leur plan d’action au Forum biodiversité et économie, qui a lieu tous les deux ans. Elles ont accès à une communauté d’acteurs et de pratiques,. Le programme « Entreprises engagées pour la nature » s’inscrit dans une initiative plus large, « Engagés pour la nature », également portée par l’OFB avec deux programmes : « Territoires engagés pour la nature » destiné aux collectivités territoriales et « Partenaires engagés pour la nature » pour les fédérations, fondations et associations professionnelles, qui peuvent servir de relais et démultiplier les initiatives.

De plus en plus rationnel d’un point de vue économique

Une entreprise quelle qu’elle soit ne peut plus faire l’impasse sur la biodiversité. C’est un point de passage obligé pour accéder à de nouveaux marchés, anticiper les réglementations, attirer les jeunes talents, se positionner sur un territoire, renforcer les liens avec les parties prenantes et valoriser l’image de marque. Les consommateurs et les clients sont de plus en plus exigeants sur ce sujet, comme les actionnaires et les investisseurs. La matérialité des risques et opportunités liés à la biodiversité devient palpable, sa prise en compte de plus en plus rationnelle d’un point de vue économique.

Justement, quels sont les indicateurs pertinents, dans les questions de biodiversité ?

L. R. : Si le monde économique s’est saisi de la question climatique, c’est en effet parce qu’il y a la tonne équivalent CO2 comme indicateur. La biodiversité n’a pas d’indicateur unique. Des progrès sont en cours, notamment avec la Caisse des dépôts et consignations filiale biodiversité (CDC Biodiversité) et son “Global Biodiversity Score” lancé en 2020, un indicateur de mesure global. L’absence d’indicateur unique ne doit pas être un frein, un motif d’inaction. Des indicateurs de suivi existent déjà et permettent aux entreprises de s’engager, par exemple, sur les sols.

Contradictions climat et biodiversité

Ces dernières années, la protection de la biodiversité semblait découler des initiatives politiques sur la circularité et la décarbonation de l’économie. Pourquoi en avoir fait un domaine à part entière ?

L. R. : Réunir la décarbonation et la biodiversité est important pour conjurer les effets pervers de certaines solutions pour le climat, qui ont un impact négatif sur la biodiversité. Ainsi, créer un champ d’eucalyptus peut être bon pour le climat mais mauvais pour la biodiversité, qui peut être détruite dans la zone concernée. Les champs de panneaux solaires sont installés dans des espaces naturels, alors qu’ils devraient l’être par exemple sur le toit des parkings. Un rapport du GIEC et de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité (IPBES), paru en 2019, recommande de les traiter ensemble. Il nous rappelle les cinq facteurs d’érosion de la biodiversité contre lesquels il faut lutter : le changement d’usage des terres et des mers, les pollutions, la surexploitation des ressources, le changement climatique et les espèces invasives. Cela donne aux entreprises des opportunités d’actions très diverses.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.