“#StOpE”, entreprises sans sexisme
25/09/2025
D’où vient l’initiative « Stop au sexisme dit ordinaire en entreprise » (#StOpE)¹ ? Est-elle seulement française dans son inspiration et son influence ?
Anne-Laure Thomas : Elle est le fruit d’une mûre réflexion et d’une volonté forte de L’Oréal, d’EY et Accor. La présence de Brigitte Grésy, alors présidente du Haut Conseil à l’égalité, témoigne de la profondeur de la démarche dès ses débuts. Certes, l’initiative est née en France et a été structurée, grâce à des groupes de travail sur plusieurs mois, autour de problématiques liées au contexte professionnel français. Mais son objectif a une portée universelle. D’ailleurs, nous avons déployé la formation en ligne et l’acte d’engagement #StOpE à l’international, notamment en anglais.
Depuis 2018, le collectif a connu une croissance impressionnante. Depuis le 25 janvier 2025, plus de trois cents organisations sont signataires, parmi lesquelles des entreprises, des grandes écoles, des ministères et des associations.
Comment définir le sexisme dit ordinaire au travail ?
A.-L.T. : Il se définit comme l’ensemble des attitudes, propos et comportements fondés sur des stéréotypes de genre, qui sont directement ou indirectement dirigés contre une personne ou un groupe de personnes en raison de leur genre et qui, bien qu’en apparence anodins, ont pour objet ou pour effet, de façon consciente ou inconsciente, de les délégitimer et de les inférioriser, pouvant entraîner une altération de leur santé physique ou mentale. Il se manifeste sous diverses formes, parfois même de façon insidieuse voire bienveillante : par exemple, à travers des blagues et commentaires sexistes, des remarques sur la maternité, des stéréotypes négatifs, des incivilités ou des marques d’irrespect, des compliments ou critiques sur l’apparence physique non sollicités, des pratiques d’exclusion…
Le « sexisme ordinaire », banalisé, anodin en apparence, se distingue de formes plus extrêmes de comportements découlant du sexisme, comme des discriminations ou du harcèlement, flagrants et intentionnels. Notre initiative se concentre sur ce sexisme ordinaire, car c’est le plus difficile à identifier, à dénoncer et à combattre. C’est en agissant sur ces micro-agressions quotidiennes que nous pouvons transformer en profondeur les mentalités et prévenir l’escalade vers des formes plus graves.
Le sexisme varie-t-il selon la taille de l’entreprise ou son activité ?
A.-L.T. : Il est ancré dans les milieux professionnels de manière générale. C’est un problème transversal, qui ne se limite pas à un type d’organisation particulière. La culture d’entreprise, les dynamiques managériales, la proportion de femmes dans les organisations et à tous les niveaux, peuvent évidemment avoir un effet sur la forme et la fréquence des manifestations du sexisme ordinaire. L’idée n’est pas de pointer du doigt des « mauvais élèves ». Le sexisme au travail est une problématique large, qui touche tous les milieux, y compris les écoles. Le fait qu’en 2025 selon notre Baromètre 77 % des salariées se déclarent régulièrement confrontées à des propos ou décisions sexistes, tous secteurs confondus, montre que c’est un défi transverse. Et ce sexisme ordinaire se nourrit et perpétue des stéréotypes de genres, eux-mêmes enracinés dans des structures sociétales plus larges.
Y a-t-il un déni du phénomène chez les hommes ?
A.-L.T. : Le baromètre #StOpE 2025 montre que les hommes prennent de plus en plus la mesure de la nocivité du sexisme ordinaire, notamment au sein des entreprises qui s’engagent et mettent en place des actions concrètes : dans les entreprises #StOpE, neuf hommes sur dix reconnaissent l’effet du sexisme ordinaire sur le bien-être au travail, la confiance en soi ou la santé des femmes. Et les hommes sont aussi convaincus que leur implication est essentielle pour atteindre l’égalité entre les femmes et les hommes (77 % des hommes dans la moyenne nationale et 86 % dans les entreprises #StOpE). Mais effectivement, les résultats du baromètre mettent en lumière une différence de perception entre hommes et femmes. Les hommes ne voient pas ce qu’ils ne vivent pas au quotidien. Ainsi, près de 40 % des femmes disent avoir déjà été interpelées par un qualificatif sexiste, alors qu’un homme sur deux pense que ces expressions sont bienveillantes, voire flatteuses. C’est pourquoi il est essentiel de continuer à travailler sur le sujet, en embarquant l’ensemble des salariés, pour faire changer les mentalités durablement.
Y a-t-il des moments et des lieux dans l’entreprise plus au moins propices au sexisme ?
A.-L.T. : Il peut être présent dans toutes les situations, mais certaines sont plus propices, par exemple les réunions. Dans le baromètre #StOpE 2025, plus deux femmes sur trois disent avoir vécu un comportement sexiste en réunion, des situations qui sont invisibles pour 64 % de leurs collègues masculins : on leur coupe la parole, elles se voient expliquer quelque chose sur un sujet sur lequel elles sont plus expertes que leur interlocuteur, leur opinion est récupérée et réexpliquée alors qu’elle vient d’être émise, c’est à elles qu’on demande de prendre des notes ou d’aller chercher des cafés…
Depuis la première édition du baromètre en 2022, que nous apprend la troisième édition, 2025 ?
A.-L.T. : L’édition 2025 confirme que les engagements des entreprises sont croissants et que, notamment dans les entreprises signataires de #StOpE, les actions ont un effet : 77 % des femmes et 86 % des hommes travaillant dans des entreprises signataires perçoivent un engagement de leur organisation, contre respectivement 58 % et 72 % dans la moyenne nationale. Cependant, le sexisme ordinaire reste ancré. 77 % des salariées déclarent être régulièrement confrontées à des propos ou décisions sexistes. Ce chiffre reste alarmant, même s’il est en légère baisse par rapport à 2021 (82 % ).
Comment le sondage est-il construit ?
A.-L.T. : Pour la troisième édition du baromètre, 130 000 répondantes et répondants dans dix-neuf organisations signataires de #StOpE ont participé. Il est administré par Ipsos. Cette consultation est comparée à une enquête nationale réalisée par Ipsos auprès d’un échantillon représentatif de mille salariés en France.
A quelles stratégies les femmes recourent-elles ?
A.-L.T. : Pour ne pas subir de comportements sexistes, 57 % des femmes déclarent mettre en place des stratégies d’évitement : privilégier certaines tenues, esquiver certaines situations ou personnes, ne pas prendre la parole en public…Il est difficile de définir un type de structure où les femmes se sentent plus protégées, mais elles se sentent plus protégées dans les entreprises qui luttent activement contre le sexisme ordinaire par des actions concrètes : 66 % des femmes salariées dans les structures #StOpE disent se sentir protégées, contre 58 % dans la moyenne nationale.
Quelle politique de prévention préconiser ?
A.-L.T. : La loi française, par l’article L. 1153-5-1 du Code du travail, impose aux entreprises de plus de 250 salariés la désignation d’un référent harcèlement sexuel et agissements sexistes, un rôle clé pour la sensibilisation et le recueil des alertes. Mais une politique de prévention ambitieuse doit aller au-delà de la conformité à la loi : il est nécessaire d’instaurer un principe de tolérance zéro. Pour cela, les engagements doivent être portés et incarnés au plus haut niveau de l’entreprise. Cela passe aussi par des formations régulières pour l’ensemble des salariés, pour décrypter les mécanismes du sexisme ordinaire et encourager l’intervention des témoins.
Il y a encore, collectivement, un travail de formation et de sensibilisation à mener dans les entreprises. C’est une des trois actions prioritaires plébiscitées par les répondantes et répondants au baromètre 2025. Mais les lignes bougent, doucement. Le baromètre montre que la participation à une formation est plus répandue chez les employeurs ouvertement engagés : 41 % des femmes et 48 % des hommes dans les entreprises signataires ont bénéficié d’ateliers ou formations spécifiques, un taux presque deux fois plus élevé que dans la population globale.
Sanctionner les auteurs de propos et comportements sexistes est-il prioritaire ?
A.-L.T. : Sanctionner systématiquement les auteurs de propos et de comportements sexistes est, avec la formation et une prise de parole forte au plus haut niveau de l’entreprise, l’une des trois actions prioritaires citées par les répondantes et répondants. Il est essentiel d’appliquer une tolérance zéro pour garantir un cadre de travail sécurisé, où chacune, chacun est en mesure de travailler sans être discriminé. Les mécanismes de signalement doivent être clairs, sécurisés et confidentiels. Chez L’Oréal, nous avons mis en place en 2008 un système de gestion des signalements. Les salariés, mais aussi les prestataires, peuvent, sans crainte de représailles et avec une garantie de stricte confidentialité, signaler sur une plateforme de façon anonyme tout comportement sexiste.
Quels indicateurs de suivi mettre en place ?
A.-L.T. : C’est pour mettre en place un indicateur de suivi clair que nous avons lancé, en 2021, le premier baromètre interentreprises #StOpE. Il n’y avait aucune étude d’ampleur sur le sujet, or il est nécessaire de mesurer pour progresser. En recueillant la perception des salariés et agents des entreprises signataires, le baromètre mesure l’ampleur du sexisme, ses manifestations concrètes, l’accueil fait aux engagements des entreprises… Après trois éditions du baromètre (2021, 2023 et 2025), nous pouvons mesurer, collectivement les retombées des actions et les ajuster.
Quelles sont les actions spécifiques menées par L’Oréal ?
A.-L.T. : Avant toute autre chose, nous communiquons et affichons, tout au long de l’année et particulièrement autour du 25 janvier, une tolérance zéro face au sexisme ordinaire. Nous rappelons les dispositifs de signalement et de sanction, les ressources de formation et mettons en avant des exemples de phrases sexistes banalisées, pour que chacune, chacun, sache que ce n’est plus possible de les prononcer. Nous veillons à la sensibilisation, sur nos sites administratifs, dans nos usines et nos centrales, grâce à la formation en ligne, à des modules de théâtre immersif ou à des casques de réalité virtuelle. Chaque année, à l’occasion de la journée nationale de lutte contre le sexisme le 25 janvier, sur l’ensemble de nos sites en France, en plus des actions de sensibilisation, nous encourageons nos salariés à signer eux-mêmes la charte d’engagement #StOpE pour nous assurer de leur adhésion individuelle aux engagements du groupe. Et ces actions portent leurs fruits puisque nos salariés sont de plus en plus nombreux à percevoir un recul du sexisme ordinaire au sein du groupe.