Vie des marques

Bel : RSE et finance, un même bras pour la transition

23/11/2022

Concilier le court et le long terme appelle un pilotage opérationnel des indicateurs RSE et des indicateurs comptables. La performance est celle, conjointe, des deux dimensions. Pour un groupe qui affirme fortement, entre autres, sa volonté de contribuer à la « trajectoire 1,5 ° ». Entretien avec Sylvie Borias, directrice RSE et communication de Bel.

En 2020, le groupe Bel a fusionné ses départements RSE et finance dans une même direction générale. Pourquoi ?

Sylvie Borias : Nous avons réuni les départements RSE et Finance sous une même direction en 2020. Toutefois, le lien entre ces deux départements est bien antérieur chez Bel. Dès 2017, nous faisions le choix d’indexer notre principale ligne de crédit sur des critères RSE, devenant alors la cinquième entreprise mondiale à lier finance et RSE dans ses mécanismes de financement. Le rapprochement de 2020 est une décision stratégique qui vise à opérationnaliser davantage notre démarche d’engagements et le déploiement de notre mission. L’enjeu est de passer d’un reporting annuel a posteriori à un véritable pilotage opérationnel de nos indicateurs clés RSE ; comme pour les indicateurs financiers et économiques de l’entreprise.

Un outil d’analyse de l’impact carbone est en cours de déploiement à tous les niveaux de décision. Bel fait partie des entreprises pionnières qui systématisent la mesure de leur empreinte carbone sur toute la chaîne de valeur, en s’appuyant sur des indicateurs de performance aussi méthodiques et intégrés à la logique de l’entreprise que les indicateurs comptables.

Par ailleurs, pour chaque projet d’investissement, l’entreprise met en place une grille d’analyse systématique des impacts RSE, en plus des traditionnels éléments d’analyse financière, avec des seuils minimums à respecter et un système de points global. Cette grille s’appuie sur l’ensemble des engagements RSE du groupe. Pour aller plus loin dans le pilotage d’une performance globale, Bel déploie dans ses équipes une plateforme de diagnostic et pilotage des indicateurs d’impact majeurs, en commençant par l’empreinte carbone, sur toute la chaîne de valeur, par marque, par business unit, par fonction, etc. Avec ces outils, l’objectif est de donner à chacun, à tous les niveaux de l’entreprise, la capacité de prendre des décisions au filtre des critères de performance économique et de responsabilité.

Dans le premier centile des entreprises les mieux notées

S’agit-il de donner des preuves de vos performances extra-financières, de se conformer à des réglementations de plus en plus contraignantes ?

S. B. : Nous publions nos performances financières depuis longtemps, avec un reporting robuste qui prend en compte l’ensemble de nos impacts, tout au long de notre chaîne de valeur. Elles figurent dans notre rapport annuel et « document d’enregistrement universel » 2021 ainsi que dans notre « Communication sur le progrès », rapport annuel que nous diffusons dans le cadre de notre engagement auprès du Pacte des Nations unies (COP 2021). Nous avons d’ailleurs reçu à ce titre plusieurs fois les prix de la meilleure communication. En parallèle, en 2021, Bel a obtenu la notation ÉcoVadis Platinum Medal, le plus haut niveau d’évaluation, avec un score de 79/100 pour ses performances RSE. Cela place Bel dans le 1 % des entreprises les mieux notées du monde dans l’agroalimentaire.

Nous ne nous contentons pas d’évaluer notre performance extra-financière. Nous l’avons placée au cœur de notre stratégie : les conditions économiques de nos instruments de financement varient selon l’atteinte de nos performances RSE. Nous avons retenu quatre indicateurs clés : réduire les émissions de gaz à effet de serre « scopes 1 et 2 » pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C ; réduire les émissions de gaz à effet de serre « scope 3 » (l’ensemble de la chaîne de valeur, y compris l’amont laitier du groupe) ; développer des diagnostics carbone et plans d’action auprès des producteurs de lait ; contribuer à une alimentation plus saine sur les marques à destination des enfants et familles.

Ces objectifs figuraient dans notre première ligne de crédit à impact et ont été renforcés, conformément aux engagements pris par le groupe pour contribuer à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Le cadre a été évalué de manière indépendante par Moody’s ESG Solutions, qui confirme que les objectifs fixés sont stratégiquement significatifs et reflètent la stratégie extra-financière du groupe.

Embarquer l’ensemble des parties prenantes

Les réglementations européennes vont devenir de plus en plus contraignantes, et c’est sans doute une bonne chose, pour aider à faire pivoter le système économique vers plus de responsabilité et de durabilité. Mais chez Bel, nous n’attendons pas les réglementations. Notre projet d’allier finance et RSE, profitabilité et responsabilité, est un projet stratégique et répond à la mission que nous nous sommes fixée.

L’ensemble de nos engagements sont définis pour répondre aux enjeux tout au long de notre chaîne de valeur, depuis notre amont agricole jusqu’à la fin de vie de nos produits. Cela fait longtemps que nous avons intégré le fait que notre responsabilité ne s’arrête pas aux portes de nos usines.

Agissez-vous avec les acteurs des territoires où le groupe est présent ?

S. B. : Nous avons toujours considéré les impacts de nos activités sur notre écosystème, convaincus que c’est en avançant avec nos partenaires que nous pérenniserons notre activité. Nous cherchons à embarquer l’ensemble des parties prenantes de notre chaîne de valeur dans la démarche.

L’exemple de nos partenaires producteurs laitiers est parlant. Depuis 2017, Bel et ses éleveurs, réunis dans l’Association des producteurs de lait Bel ouest, définissent ensemble un prix d’achat du lait, une volumétrie et des pratiques durables que les éleveurs s’engagent à déployer dans leurs exploitations. Une juste rémunération permet d’offrir de la visibilité et des capacités d’investissement nécessaires aux producteurs, tout en les incitant à développer des pratiques plus durables qui aident à préserver les ressources et les écosystèmes. Bel vient d’ailleurs d’annoncer une nouvelle revalorisation de son accord pour quinze mois. Et au niveau mondial, depuis 2018, Bel a formalisé et publié une « Charte mondiale pour un amont laitier plus durable », élaborée avec le WWF France, qui guide, jusqu’en 2025, l’évolution des pratiques de Bel, et de tous les producteurs de lait avec lesquels le groupe travaille. Cette charte, unique sur le marché, fixe des objectifs ambitieux en matière de production durable, d’accès aux pâturages, d’alimentation durable et locale, et de bien-être animal. Fin 2021, 99 % des fermes partenaires de Bel en France pratiquaient le pâturage, et aujourd’hui, 64 % des fermes qui approvisionnent le groupe ont réalisé un bilan carbone.

Faire pivoter la fonction finance

Cette fusion vous a-t-elle conduits à recruter de nouveaux profils, de nouveaux métiers ?

S. B. : Pas nécessairement. Nous sommes plutôt en train de faire pivoter la fonction finance, pour qu’elle mette son savoir-faire en termes de pilotage au service du business en l’aidant à prendre ses décisions à l’aune de critères autant RSE que financiers. Mais il est clair que cette transformation nous amène à développer de nouvelles compétences dans nos équipes. Plus largement, nous sommes convaincus de la nécessité de sensibiliser nos salariés, de leur donner les clés de compréhension des enjeux RSE. C’est ce que nous faisons par exemple en déployant la Fresque du climat (1 400 personnes déjà formées), utilisée « pour action », puis avec des contenus de formation autour du ccarbone, mis à disposition dans la plateforme de formation du groupe. Là encore, l’enjeu est de faire de tous des acteurs de notre transformation positive.

Comment définiriez-vous « la finance à impact » ?

S. B. : De « gardien du temple » responsable de la gestion et de la maîtrise budgétaire, la direction financière doit passer à une logique de partenariat avec les autres entités de l’entreprise, afin d’être au cœur de l’activité, de son pilotage à son exécution. Une transformation qui nécessite de passer d’un pilotage souvent court-termiste à un pilotage moyen terme. Cette logique est conjointe aux engagements RSE de l’entreprise, qui ne s’appréhendent que sur le temps long. Elle oblige à une certaine hauteur de vue. Il ne s’agit pas d’opposer excellence financière et ambition RSE, mais de combiner les deux dimensions, vouées à s’enrichir l’une l’autre. Résilience, pérennisation des résultats et responsabilisation doivent être conciliées dans la durée.

Batterie d’indicateurs

Quelles méthodes d’évaluation monétaire avez-vous retenues pour estimer le coût social de vos impacts environnementaux et sociaux ?

S. B. : Différents niveaux de monitoring sont mis en place avec 150 indicateurs suivis sur une base annuelle, une quinzaine suivis de façon semestrielle, et cinq « cœur » que nous suivons toute l’année. Ces indicateurs mêlent critères environnementaux, sociaux et gouvernementaux. De plus, notre indicateur carbone a encore vocation à évoluer pour intégrer un dispositif innovant d’indicateur d’impact positif unique : il consolidera cinq critères, parmi lesquels l’accessibilité ou la contribution à une agriculture régénératrice.

Bel travaille aussi avec l’initiative Science Based Targets Network (SBTN) et le Lab Capital Naturel du WWF France pour développer une méthode permettant de mesurer l’impact sur la biodiversité.

Le coût de la santé physique et mentale des salariés figure-t-il au nombre des externalités dont vous tenez compte ?

S. B. : La santé et la sécurité de nos salariés reste la première priorité du groupe. Bel a une politique santé et sécurité qui vise à atteindre le « zéro accident et maladie professionnelle », il s’engage : à garantir des conditions de travail sûres et saines pour limiter les accidents et les maladies professionnelles par la prévention et la maîtrise des risques et par une démarche de progrès continue ; à satisfaire toutes les exigences réglementaires ; à éliminer les dangers et à réduire les risques en matière de santé et de sécurité. Cette politique appelle à l’engagement et à la participation active de tous les salariés. Leur exemplarité, leurs comportements et actions en faveur de la prévention et de l’élimination de toutes les opérations ou comportements dangereux sont encouragés par un système d’incitations. Cette politique est revue tous les deux ou trois ans et validée par le comité exécutif du groupe.

La finance a-t-elle le dernier mot sur la pertinence, sur le plan de la rentabilité, de tel ou tel projet RSE ?

S. B. : La réalité de notre stratégie est que chaque dimension (finance & RSE) alimente l’autre pour créer un cercle vertueux : la rentabilité nous donne des marges de manœuvre pour continuer à investir dans notre écosystème ; et nos engagements RSE nous permettent d’assurer notre résilience à moyen et long terme, tout en étant, nous en sommes convaincus, un élément de préférence pour le consommateur à plus court terme. Les deux enjeux se rejoignent, sur le long-terme, et dans chaque décision que nous prenons. Bien sûr, nous sommes aussi conscients que la transition alimentaire nécessite des investissements importants, dès aujourd’hui. Concilier un pilotage à court terme et l’animation d’une stratégie long terme implique en permanence des arbitrages pour trouver le meilleur équilibre.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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