Tribunes

Conjurer le piège du “greenwashing”

27/10/2022

La loi Climat et Résilience contrôle l’usage des allégations de neutralité carbone. Avec son avis d’expert sur le sujet, l’Ademe conseille les professionnels. À bannir, toute formulation pouvant générer un imaginaire trompeur pour le consommateur. Tribune de Valérie Martin, Ademe.

Le mythe d’une croissance infinie dans un monde fini cesse d’exister avec la prise de conscience des limites planétaires. Or notre économie est encore aujourd’hui fondée sur la production en volume de biens et de services standardisés à moindre coût, avec un objectif de croissance pensé selon un modèle de développement linéaire. Nous devons proposer une autre vision du monde loin de celle nous faisant percevoir la croissance de la consommation comme la seule mesure de notre bonheur. Il nous faut questionner nos besoins et les satisfaire tout en limitant leurs impacts sur l’environnement et la société, c’est-à-dire en adoptant une logique de sobriété. Il est temps de faire advenir un modèle circulaire fondé sur l’usage et le service. Cependant, repenser nos modèles de production et de consommation et changer nos comportements implique de changer nos habitudes, mais aussi de dépasser certaines normes sociales. De quoi avons-nous réellement besoin devient la question centrale.

De nouvelles attentes de la part de la société

Aujourd’hui, les messages et les représentations véhiculés, en particulier par la communication, le marketing et la publicité, sont majoritairement contraires à la modération de la consommation et donc à la nécessaire évolution de la société pour répondre aux enjeux climatiques et écologiques. Il est donc urgent de provoquer le changement à toutes les échelles (entreprises, collectivités…), mais aussi d’inviter à l’engagement de chacun ; sachant que les citoyens ne pourront pas adopter un mode de vie sobre sans l’évolution des offres de produits et de services ainsi que des infrastructures existantes. Afin de créer l’adhésion collective et de susciter le passage à l’action, nous devons aider chacun à se projeter vers un futur désirable. Ce changement de société ne se fera pas sans l’aide du monde de la communication, des médias et du monde culturel dans son ensemble.

Une nécessaire évolution de la fonction communication

Ainsi que nous l’expliquons dans le Guide de la communication responsable [1] de l’Ademe, « ce qui est demandé à la communication, ce n’est plus seulement de promouvoir une organisation, ses activités, ses produits, c’est de contribuer à l’avènement d’une nouvelle société davantage en phase avec les limites croissantes de notre planète, de remettre le sens au cœur des dispositifs de communication ». En tant que puissant vecteur de transformation culturelle, elle peut nourrir la réflexion et accompagner les changements de comportement des publics, aider les organisations à projeter un imaginaire positif en cohérence avec la transition écologique. Les communicants et publicitaires ont ce pouvoir d’investir nos imaginaires ; ils peuvent permettre aux récits écologiques de devenir réels et contribuer ainsi à la transformation de nos modes de vie. Concrètement, il leur appartient de valoriser des comportements de consommation plus vertueux, de rendre désirable des styles de vie plus sobres.

Mais pour réussir cette mobilisation, la communication doit se transformer en profondeur et s’engager dans une démarche sincère et transformatrice. La communication responsable, c’est à dire « une communication plus sensible aux enjeux écologiques, davantage à l’écoute des habitants de notre planète, une communication qui s’interroge autant sur les contenus que sur la manière de les délivrer, une communication qui intègre également la notion d’urgence [2] » devient dès lors l’assise d’un processus systémique de refondation des bases de notre métier. Un challenge de taille mais enthousiasmant !

Greenwashing et allégations de neutralité carbone

Lier communication et actes, discours et preuves concrètes doit devenir la règle de conduite. Cela signifie, notamment, ne pas privilégier la formule choc (comme « service neutre en carbone », « 1 produit acheté = 1 arbre planté » ...), par rapport à la réalité des actions menées, afin de ne pas induire le public en erreur. C’est dépasser l’affichage, le greenwashing contre lequel une forme de résistance s’organise. Des ONG, mais aussi des collectifs citoyens comme « Pour un Réveil écologique », dénoncent ces pratiques en interpellant directement les entreprises sur les réseaux sociaux, dans les médias, mais aussi de plus en plus devant les tribunaux. Conséquence de la loi Climat et Résilience, le greenwashing est désormais assimilé à une pratique commerciale trompeuse. Il est donc répréhensible dans les mêmes termes. Les marques doivent réagir, vite.

L’atteinte de la neutralité carbone inscrite dans l​‌’Accord de Paris impose la réduction drastique de nos émissions de CO2 et de notre consommation de ressources naturelles, donc des choix de société ambitieux en termes de sobriété. Par sa définition même, la neutralité carbone ne peut être appréhendée qu’à l’échelle de la planète. Elle ne peut pas en revanche s’appliquer à des échelles comme celles d’une organisation – entreprises, associations, collectivités… – ou d’un produit ou service. Or aujourd’hui les arguments de « neutralité carbone » se multiplient et on voit émerger de nombreuses appellations comme « produit neutre en carbone », « zéro émissions CO2 » ou « 100 % compensé » dans des campagnes publicitaires ou sur des produits du quotidien… dont on ne sait pas vraiment à quoi elles renvoient.

Afin de lutter contre ces dérives, et l’utilisation de ce concept comme un simple outil de communication, l’Ademe a formulé des recommandations en matière de communication (institutionnelle et produit-service) dans un avis d’expert publié en 2022 dont sont repris, ci-après, les principaux points.

Le terme de « neutralité carbone » pose plusieurs problèmes. Il représente un frein à la prise de conscience et aux changements d’habitude de consommation.  Il suggère à tort qu​‌’il est possible de lutter efficacement contre le changement climatique sans réduire fortement les émissions, et donc sans changer nos habitudes de consommation. Il empêche le citoyen de repérer les entreprises réellement engagées dans la réduction drastique de leurs émissions et dans le financement de projets qualitatifs de compensation. Cette terminologie contribue aussi à la fragilisation de la relation de confiance, déjà faible, entre les publics et les entreprises notamment, car tôt ou tard, la vérité éclate sur la réalité des engagements et revient comme un effet boomerang.

Cette allégation de neutralité carbone est encadrée par la loi Climat et Résilience, qui a posé un principe d’interdiction des allégations de neutralité carbone pour un produit ou un service. Elle prévoit toutefois la possibilité d’y déroger dans des conditions très encadrées. Les décrets publiés le 13 avril 2022 précisent à cet égard les modalités de communication des annonceurs afin d’assurer la transparence vis-à-vis du public ; ils s’appliquent à l​‌’ensemble des publicités diffusées, des imprimés publicitaires à l’affichage publicitaire, jusqu’aux allégations apposées sur les emballages des produits et ils entreront en vigueur le 1er janvier 2023. Ainsi, l’annonceur qui a recours dans une publicité au terme « neutre en carbone » (ou toute formulation équivalente) pour un produit ou un service doit fournir un bilan carbone précis du produit ou service concerné couvrant l’ensemble de son cycle de vie (ce bilan est mis à jour tous les ans) ; sa démarche pour éviter puis réduire les émissions de gaz à effet de serre ; les modalités de compensation des émissions GES résiduelles. L’ensemble de ces informations devra être mis facilement à disposition du public.

In fine, la loi Climat et Résilience encadre l’utilisation de l’allégation de neutralité carbone, avec des modalités assez exigeantes. Toutefois, dans le cadre de ses missions et notamment celle de la lutte contre les fausses allégations environnementales, l’Ademe recommande aux organisations de ne pas utiliser, dans leurs communications, toute formulation sur leur prétendue neutralité pouvant générer un imaginaire trompeur chez le consommateur et donc incompatible avec une démarche de communication responsable. Dans cet avis d’expert, l’Ademe recommande un certain nombre de pistes d’actions.

Pour la communication institutionnelle :

  • Se défaire de l’approche purement arithmétique de la neutralité (1 tonne de CO2 émise n’est pas toujours égale à 1 tonne compensée),
  • Agir et communiquer de façon distincte et précise sur les différents leviers de contribution à la neutralité carbone mis en place par l’organisation (entreprise, territoire) : réduire drastiquement ses émissions directes et indirectes ; proposer des produits et services bas carbone ; financer des projets certifiés de compensation carbone [4] (projets certifiés de réduction ou de séquestration d’émissions), car un label engage généralement une vérification tierce-partie qui permet d’ajouter un gage de crédibilité supplémentaire vis-à-vis du projet.
  • Resituer cette action dans la stratégie RSE globale :
    - Exemples de formulations [5] , cf. tableau ci-dessous.


- Exemple de bonne pratique : la démarche de Décathlon qui formule de façon détaillée ses engagements [6].

Pour la communication produit :

  • Ne pas focaliser la communication sur la prétendue neutralité du produit ou service. Et donc bannir les formulations abusives telles que le « neutre en carbone ».
  • Communiquer de façon transparente et proportionnée sur les impacts environnementaux du produit ou du service et sur les efforts réalisés pour les réduire.
    - Exemple de formulation : d’abord communiquer en s’appuyant sur l’affichage environnemental qui permet d’informer les consommateurs sur les principaux impacts environnementaux calculés selon plusieurs indicateurs dans l’ensemble du cycle de vie du produit ou du service concerné. Dans ce cadre, il s’agira de mettre avant des labels officiels (étiquette énergie, Éco-Score…).
    - Exemple de bonne pratique : l’outil Spot du Groupe L​‌’Oréal.

Bien sûr il faudra apporter systématiquement des preuves tangibles afin de ne pas rester dans le registre du déclaratif. Par exemple sur une page web : méthode de calcul et marge d’erreurs, résultats du bilan des gaz à effet de serre, stratégie de réduction, informations sur les projets de séquestration, labellisation éventuelle…

Plus que jamais, notre action en tant que communicant doit être axée autour de trois fondamentaux :  la transparence, l’authenticité et la véracité. Les organisations qui réussiront à résoudre cette équation (moins et mieux, plus responsable, plus éthique, plus inclusif…), et dépasseront le simple argument de « com » iront dans le bon sens.  Afin d’enrayer le déclin de la confiance du grand public dans les organisations et les institutions, un discours de vérité associé à la refonte de leur façon de communiquer constitue une réelle opportunité pour offrir de nouvelles perspectives.

[1] https://librairie.ademe.fr/consommer-autrement/1757-guide-de-la-communication-responsable-9791029709661.html - nouvelle édition octobre 2022
[2] Ibid.
[3] Spot s​‌’appuie sur quatorzecritères de durabibilité allant des émissions de gz à effet de serre en équivalent CO2 aux conditions de travail des collaborateurs en passant par la relation avec les communautés locales. Les données sont accessibles sur la fiche de chaque produit.
[4] Pour en savoir plus : guide la Compensation volontaire de la théorie à la pratique ; www.info-compensation-carbone.com/, plateforme animée par le Geres et soutenue par l’Ademe.
[5] D’autres formulations sont proposées dans l’Avis d’expert de l’Ademe cité en référence.
[6] https://engagements.decathlon.fr/nos-enjeux.

Valérie Martin, Ademe

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