Tribunes

Les marques, catalyseurs des changements de comportement

08/03/2023

À l’instar du Giec, nombreux sont les experts qui appellent de leurs vœux l’adoption de nouveaux modes de consommation plus respectueux du climat. Au-delà des entreprises et de leurs stratégies RSE, les marques ont elles aussi un rôle à jouer. Par Sandrine Raffin, présidente et fondatrice de Linkup*.

Savoir n’est pas agir. Informer aide à objectiver la nécessité du changement de comportement mais reste insuffisante pour toucher tous les citoyens-consommateurs. « Fumer tue », on le sait, et pourtant les conséquences ne se ressentant qu’à long terme, plus de 32 % des Français de 18 à 75 ans déclarent fumer. Cette prévalence a augmenté ces dernières années. Le recyclage progresse, puisque 89 % des consommateurs déclarent trier leurs emballages, mais 51 % seulement le font systématiquement [1]. Sommes-nous sourds aux alertes du Giec, dont la dernière, dans son rapport publié en avril 2022, porte sur la nécessité de se préoccuper de l’adaptation de nos modes de vie pour participer à la lutte contre le réchauffement climatique ?

Les entreprises peuvent jouer un rôle majeur en tant que catalyseurs des changements de comportement : aussi bien ceux de leur parties prenantes – fournisseurs, salariés, distributeurs – que de leurs consommateurs. Au-delà de leur engagement responsable dans toute leur chaîne de valeur, qui devient réglementaire ou une exigence des clients et des consommateurs, les marques sont attendues pour aider ceux-ci à consommer plus vertueusement.

Valeurs affichées, valeurs effectives

Dès qu’une marque ouvre la voix dans un secteur sur ce sujet, les consommateurs suivent : en témoigne le rayon des marques cosmétiques, celui des produits alimentaires préparés, celui des produits d’entretien. On ne mesure pas encore à quel point la transformation vers des modèles engagés pour l’environnement ou le climat de produits ou de services fait bouger les lignes des parties prenantes d’une marque, voir celles de son secteur. Les marques doivent revenir à leurs fondamentaux, car les consommateurs sont plus exigeants : 84 % des Français ont besoin de s pour croire aux engagements des marques [2]. Selon un sondage OpinionWay pour Salesforce et les Échos (2021), 53 % des répondants disent cesser d’acheter une marque si elle ne respecte pas les valeurs qu’elle affiche, ce taux atteint 65 % chez les 25-34 ans.

Les preuves ne manquent pas qui attestent que les marques engagées font évoluer les pratiques et les représentations des acteurs de leur chaîne de valeur et de leurs équipes. Bel, L’Oréal ou Nestlé sont devenues des accélérateurs de transformation pour leurs fournisseurs de matières premières et d’emballages, mais aussi pour leurs équipes marketing, qui ont dû intégrer ce prisme dans toutes leurs innovations produits et démarches de communication. Nestlé met à disposition des recharges pour certains de ses produits – comme Ricoré –, afin de réduire son empreinte carbone. La charte amont laitier de Bel favorise le pâturage, l’alimentation des vaches issue de sources locales et la valorisation des fumiers.

Pouvoir d’influence

Mais les marques sont aussi des acteurs reconnus de la construction des normes sociales et influencent les comportements. Elles nous accompagnent au quotidien, agissent sur nos représentations pour nous faire adhérer à leurs promesses, et ont le pouvoir de nous inciter à faire bon usage de leurs produits et de leur deuxième vie. Elles sont aussi des contributrices au modelage de nos schémas culturels. Elles devraient s’emparer davantage du pouvoir d’influence positive qu’elles ont sur les citoyens.

Lorsque Chantelle met en scène une femme belle et épanouie visiblement âgée de plus de soixante ans dans ses publicités sur panneaux Decaux, c’est l’image de la femme vieillissante qui est réhabilitée. De même de l’engagement pour le “body positive” ou la représentation de personnes LGBT pratiquée par certaines marques de vêtements ou de cosmétiques. L’Oréal Paris a lancé en 2020 la campagne “Stand-Up” destinée à lutter contre le harcèlement des femmes dans la rue, en proposant des formations de sensibilisation et d’action : vingt mille personnes sont formées chaque année en lien avec l​‌’ONG Hollaback et la Fondation des femmes. De même, les publicités d’Ariel promeuvent depuis quelques années une nouvelle égalité dans la répartition du lavage du linge ou le changement des représentations genrées des couples.

Les marques sont des « rôles modèles », et lorsqu’elles assument cette fonction leurs consommateurs leur en sont reconnaissants. Savoir refléter une époque qui aspire à l’inclusion est un acte marketing positionnant pour une marque.

Changement sans injonction

Afin d’agir sur les mentalités et de se positionner comme élément moteur du changement, une entreprise peut définir un grand engagement qui l’amènera à avoir une contribution sociétale en s’appuyant sur sa force de frappe et en se nourrissant de l’affection des consommateurs pour la marque qu’ils consomment. La force du collectif peut être déterminante, il revient aux marques de contribuer à définir de nouvelles normes sociales motrices du changement. À condition qu’elles soient accessibles à tous.

Il y a là un grand enjeu pour les entreprises : s’adapter à la demande des consommateurs et être en phase avec l’évolution de la société. Pour faire évoluer les mentalités, il est important de ne pas être dans l’injonction, car cela créé une réaction psychologique d’autodéfense, la personne cible sentant privée d’une liberté. Les campagnes sur l’arrêt du tabac sont des échecs pour cette raison. De plus, pour avoir un impact, il faut un bénéfice qui s’adresse directement à la cible, et ensuite lui montrer que les bénéfices individuels peuvent être liés aux bénéfices environnementaux. Il s’agit de « nudger » le consommateur, de lui donner un « coup de coude » pour l’inciter à de nouvelles pratiques. C’est ce qu’a fait la campagne de la Fébea « Les deux bonnes raisons ».

L’enjeu est également en interne, car qui mieux qu’un salarié pour être l’ambassadeur de son entreprise, s’il est lui-même convaincu du projet et des valeurs qu’elle véhicule ? C’est la démarche du groupe Bel, qui avec son programme “Actors For Good” a fait de ses 11 800 salariés des activistes. Le programme les incite à être contributeurs en interne (plan de sobriété, mobilité douce pour se rendre au travail, choix alimentaires…). Vis-à-vis de ses salariés, une entreprise peut faire beaucoup dans l’évolution d’une norme sociale, en montrant que c’est possible, en aidant à trouver des solutions facilitatrices.

Les marques doivent anticiper, écouter les signaux faibles, et s’engager pour embarquer les consommateurs-citoyens : être des actrices du changement social.

* LinkUp et Produrable, avec les soutiens de M6, L’Oréal, Imedia Center et en collaboration avec l’Ilec, organisent la sixième édition du Gand prix de la marque engagée le 12 septembre prochain, dans le cadre du salon Produrable. Toutes les marques sont éligibles pour candidater si elles ont entrepris une démarche éthique et durable au cœur de leur modèle économique, levier de préférence, de performance et d’accompagnement dans la transition écologique. Les entreprises ont jusqu’au 9 mai 2023 pour candidater, en téléchargeant le dossier d’inscription sur www.grand-prix-marque-engagee.fr.
1. www.citeo.com/le-mag/les-chiffres-du-recyclage-en-france    .
2. Baromètre GreenFlex Ademe 2022.

Sandrine Raffin

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.