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Comparaison des prix des PGC en Europe

Prix alimentaires : pas plus chers en France !

11/12/2020

“C’est moins cher dans les supermarchés allemands ! ” Une allégation qui n’est non seulement pas assise sur des bases solides, mais contredite, quand la comparaison est conduite de façon rigoureuse.

1. Comparaisons européennes, mission quasi impossible

Il n’existe pas d’étude exhaustive fiable sur les niveaux de prix des produits de grande consommation entre pays, car il est quasi impossible d’effectuer des comparaisons pertinentes, c’est-à-dire fondées sur des produits à la fois comparables et représentatifs des structures d’achat des consommateurs :

  • Les habitudes de consommation, donc le choix des produits achetés, sont nationales. En alimentation, le marché unique est une abstraction juridique. IRI a relevé en 2019 que sur les cent références les plus vendues dans cinq pays (Pays-Bas, Italie, Grèce, Royaume-Uni, France) aucune d’entre elle n’est commune ! Même quand un produit est proposé dans plusieurs pays, son importance dans le panier moyen diffère, rendant la comparaison de son prix plus ou moins pertinente pour refléter le coût réel du panier.
  • Les structures de distribution (part des formats) ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre, or la largeur de l’offre dans une même catégorie diffère selon les formats de magasins. Les hypermarchés présentent davantage de produits premium ou locaux qui tirent les indices vers le haut, même s’ils coexistent avec une offre de prix bas.
  • Dans un même pays, les niveaux de prix varient énormément entre enseignes : de presque 19 points en France entre les deux enseignes les plus chères et les deux les moins chères. Un indice moyen par pays est trompeur.
  • Les prix standard relevés en fond de rayon ne reflètent pas la réalité de la consommation, du fait des promotions, dont la part peut varier du simple au double, voire plus, d’un pays à l’autre selon les catégories, et dépasser 50 % en valeur dans certains pays. De plus les taux de rabais moyens diffèrent ; dans certaines catégories ils dépassent 40 % , en particulier dans le DPH (en France, des taux de 70 % y sont banals depuis deux ans, par effet de bord de la loi Égalim).
  • Les MDD sont par définition différentes d’une enseigne à l’autre, donc incomparables, alors qu’elles constituent une composante essentielle des paniers des consommateurs, et que leur indice de prix est inférieur à celui des marques.
  • Comparer deux pays en appliquant dans l’un une méthode, et dans l’autre une autre méthode ne permet pas de tirer des conclusions rigoureuses. Il existe deux types de relevés, PVC en rayons et prix sorties de caisses, qui pour un même produit ne correspondent pas toujours (promo, changement de prix, etc.) ; or en Allemagne, les relevés en rayons sont interdits…

2. Études limitées, et données dévoyées

La seule enquête robuste, quoique limitée géographiquement, est l’étude « 4 Frontières » menée depuis 2007 avec Nielsen par le ministère de l’Économie du Luxembourg, comparant les prix en magasins de ce pays avec ceux des pays limitrophes : Belgique, Allemagne et France. L’édition 2020 montre que sur 111 540 produits, seuls 147 (0,13 %) sont communs et disponibles dans au moins deux enseignes des quatre pays, et moins de 10 % , soit 10 570 produits, dans au moins deux pays. Sur ces 10 570 EAN, trois macro-catégories alimentaires sont étudiées, où les indices de la France sont systématiquement inférieurs à ceux de l’Allemagne, de la Belgique et à une exception près, du Luxembourg :

  • dans les produits frais, un indice inférieur de près de six points à celui de l’Allemagne et de quatorze à celui de la Belgique ;
  • en épicerie, un indice inférieur d’un point à celui de l’Allemagne et de dix à celui de la Belgique ;
  • dans les liquides, un indice inférieur de trois points à celui de l’Allemagne et de treize à celui de la Belgique.     

Les données Eurostat (Commission européenne) couvrent jusqu’à l’UE 28, mais s’agissant des PGC elles mélangent en alimentaire produits transformés et non transformés, ignorent l’ensemble « DPH », et couvrent tous les circuits : ce qui ne permet pas d’isoler l’évolution des PGC en GMS, la seule au centre des controverses sur les prix.

  • Le plus trompeur, et plus souvent allégué par les médias, est l’indice PPA (« parité de pouvoir d’achat »), qui n’a jamais eu vocation à classer les pays selon les niveaux de PVC, mais à comparer les PIB, en neutralisant l’effet prix. Il fonde des indices de prix sur des paniers de produits non identiques, c’est-à-dire sur des unités de besoin génériques telles que « poulet à rôtir » ou « yaourt aux fruits multipack de marque connue ». La composition réelle des paniers et des indices n’est pas publique, pas plus que la pondération des unités de besoin. L’indice PPA est instable et impropre à une lecture en tendance.
  • L’indice IPCH (« indice des prix à la consommation harmonisé »), lui, permet de comparer des évolutions de prix, à partir d’une base 100 arrêtée en 2015, mais pas leurs niveaux. Il ne va pas sans limites méthodologiques (cf. I), mais ne ment pas sur son objet. Ses résultats 2019 attribuaient au sous-ensemble « produits alimentaires et boissons non alcoolisées » un indice de 106,19 pour la France et de 107,5 pour l’Allemagne, la France se situant au niveau de la moyenne européenne et l’Allemagne au-dessus.

Relevés de terrain : l’Ilec a relevé, au cours de la deuxième quinzaine d’octobre 2020, les prix d’une quarantaine de produits identiques d’une dizaine de catégories, proposés à la vente en drive par seize magasins répartis dans trois zones de chalandise transfrontalières : Sarreguemines-Sarrebruck, Strasbourg-Kehl et Colmar-Freiburg. Au total des trois zones, entre les cinq enseignes allemandes et les cinq enseignes françaises visitées, les prix les plus bas pour ces produits de marques se répartissent à peu près équitablement entre les deux pays, avec un léger avantage aux magasins français, des prix alimentaires plus souvent inférieurs en France, et des prix DPH plus souvent inférieurs en Allemagne (où le marché est marqué par la présence dominante de « category killers »).

3. Des usages et des enjeux

Marché unique ne signifie pas marché uniforme : les relevés enregistrent les prix sans considération de ce qui contribue à leur construction. Or il y a en Europe d’importantes différences de coûts entre pays : de production (coût du travail…), de distribution (variété des modèles commerciaux et aux conditions de la chaîne logistique) ou de fiscalité.

La polarisation sur des indices de prix moyens par pays ignore aussi les différences de niveaux de vie et, pour l’ensemble « produits alimentaires », la part relative de l’alimentation dans le budget global des ménages. Elle fait aussi oublier que le prix le moins cher ne correspond pas forcément à la demande des consommateurs, souvent attentifs aux conditions sociales et environnementales de production ; un prix plus bas peut aussi signifier une moins bonne rémunération des producteurs par les grandes enseignes. Les distributeurs sont du reste seuls responsables des PVC : ils les arbitrent d’un rayon à l’autre par le biais de multiples péréquations, et les niveaux de marge pratiqués sont très variables.

Ce que dit la seule étude solide permettant de comparer les prix des PGC français, à savoir l’étude « 4 Frontières », c’est qu’ils sont plus souvent moins élevés que les prix allemands, auxquels il est de coutume de les comparer, avec force méthodes bancales et radio-trottoir. Faute d’étude fiable permettant de comparer plus largement les PVC en Europe, tant sont nombreux les biais méthodologiques et les profils de consommation, il serait souhaitable que ce sujet soit traité avec plus de précaution et de rigueur. À cet égard, les acteurs économiques comme le grand public sont en droit d’attendre plus de transparence dans la constitution des indices Eurostat et un usage plus conforme à leur destination.

Consulter l’intégralité de la « Note Ilec » Comparaison des prix des produits de grande consommation en Europe

 

 

Ilec

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