Actualités

La RSM, un “contrat de cohérence”

22/02/2021

Le temps est à la responsabilité sociale des marques. Le développement durable de l’entreprise et celui de la société sont liés. Aux dirigeants de forger une vision et d’embarquer leurs équipes. C’est le message qu’a porté à l’Ilec Sandrine Raffin, fondatrice de Linkup Factory, le 22 janvier.

Serions-nous dans un moment où tout peut basculer, un kairos ou hapax qui force la réflexion, une période apparemment sombre mais opportune en ce qu’elle nous appelle à tourner le dos à notre hubris (confiance excessive au progrès, prétention à une quelconque supériorité) ? La crise sanitaire rebat les cartes. Sans emboucher les trompettes des déclinistes, collapsologues et extinctionnistes, maints experts tirent la sonnette d’alarme : nous avons atteint les limites de notre mode de consommation et de production. « En 2020, estime Sandrine Raffin, fondatrice de Linkup Factory[1], nous avons découvert que l’impossible était probable. Quatre milliards de personnes sont confinées en même temps dans le monde. Nous avons touché le lien étroit entre tous les enjeux du monde, le réchauffement climatique, les conditions de vie, la biodiversité, la déforestation et les limites de notre modèle. [2]» La crise ne fait qu’accentuer ce qui se dessinait auparavant : « On a observé en 2019 une accélération des attentes des consommateurs portant sur les sujets liés à l’engagement, à la RSE, à l’environnement, aux aspects sociétaux. »

Nouveaux modèles d’affaires

Changement de taille : « Ces attentes concernaient prioritairement les Early Adopters – à ne pas confondre avec les bobos. Tout le monde est aujourd’hui concerné. » Deuxième mutation, entre perturbateurs endocriniens dans les cosmétiques et additifs dans les produits alimentaires, l’enjeu de la santé est devenu central et oriente les choix de consommation. « D’où le succès de petites marques qui prennent des parts de marché car elles ont mieux intégré les attentes de transparence sur l’origine des ingrédients, de proximité, de production locale, de bio… Le terreau était là. » Faut-il alors changer radicalement de logiciel ou agir avec pragmatisme ? « L’un et l’autre, suggère Sandrine Raffin. On peut, quand on a l’agilité d’une start up, accélérer pour construire le monde de demain. En revanche, un gros navire doit tenir compte de la capacité des équipes à s’adapter aux nouvelles demandes et mettre en place les processus d’adaptation. » Mais dans un cas comme dans l’autre, l’heure est à la définition de nouveaux modèles d’affaires et de développement, « qui changent le pilotage de l’entreprise aussi bien dans l’activité quotidienne que dans les projets à long terme : il faut non seulement prendre en compte tous les impacts environnementaux et sociaux, mais les dépasser pour avoir une empreinte positive ».

Nouveaux consommateurs

Si les Français semblent partagés entre espoir de changement (30 % ) et défaitisme (57 % )[3], ils « croient de nouveau à la capacité des entreprises et des marques à être parties prenantes de la solution », souligne Sandrine Raffin : « En choisissant les marques et les entreprises plus engagées, ils peuvent agir plutôt que subir, ils participent à la maîtrise de leur avenir. » Décrit déjà il y a vingt ans par Thierry Maillet[4] comme « comsom’acteur », le consommateur étend le spectre de son action à la dimension sociétale : « Le consommateur-citoyen veut prendre le contrôle des impacts de sa consommation, estime Sandrine Raffin. Il entend être acteur du changement pour une société et un monde qui se régénèrent. Il souhaite contribuer par ses choix à recréer de la valeur sociétale et environnementale et à inverser les mouvements dont il a perdu la maîtrise. L’utilité sociétale prime dans ses choix de consommation. » En témoignent la croissance de la demande en produits bio (multipliée par quatre en dix ans dans le monde à 100 milliards d’euros), naturels, le développement des solutions zéro déchet, le succès des nouveaux modèles de location.

Crépuscule des “entreprises descendantes”

RSE, RSM, raison d’être, entreprise à mission : l’entreprise ne peut plus ignorer les conséquences sociales et environnementales de son activité. Son mode de gouvernance doit changer, assure Sandrine Raffin : « L’entreprise doit intégrer ses impacts dans tous les maillons de sa chaîne de valeur. Chaque salarié, à tous les niveaux, services, fonctionnalité, doit créer des impacts positifs et limiter les impacts négatifs. La nouvelle gouvernance doit être très décentralisée, pour favoriser les dynamiques d’adaptation rapide. Les modèles monarchiques ou entreprises “descendantes” ont vécu. » Une tendance qui répond aux souhaits de la génération “millenial”, qui veut peser dans les orientations, les choix, les décisions. Pour autant, « si la déconcentration des pouvoirs s’impose, le management doit toujours porter la vision, l’ambition et une ligne de conduite claire ».

S’il revient à la RSE de mettre en place cette gouvernance qui mesure les impacts positifs de toute la chaîne de valeur – usines, approvisionnement, décarbonation –, c’est à la RSM, évolution de la RSE, d’exprimer que les marques ont intégré la dimension RSE dans leur positionnement, leur singularité : « Elles envoient ainsi un signe fort aussi bien à l’interne qu’aux consommateurs et à la société en général. Le discours sur la contribution englobe aussi bien celle de l’entreprise que celle de ses marques. » S’ajoute une dimension qui inclut le consommateur : « L’entreprise ne vit plus en vase clos. La marque a un effet d’entraînement du consommateur, elle lui conseille de se préoccuper de la fin de vie du produit. En passant de la RSE à la RSM, on va plus loin, car cette responsabilité irrigue aussi bien la marque entreprise que la marque employeur et les marques produits ou services. Le contrat de cohérence est rempli et la durabilité de l’entreprise renforcée. »

Ce que “RSM” veut dire

S’il existe un tronc commun aux entreprises pour concevoir et mettre en œuvre leur engagement vers plus de responsabilité, chacune s’inspire de sa propre culture, de son histoire : « Il est des points de passages obligés tels que la décarbonation, la réduction des déchets, l’égalité homme-femme, l’inclusion… Pour autant, l’entreprise doit susciter une adhésion à ses propres valeurs, auprès de ses équipes et pare ses marques de produits ou de services ; la RSM traduit le combat qu’elle mène dans son domaine d’expertise. »

C’est ainsi que Bel a défini un engagement global avec une mise en œuvre locale dans son programme “Farming for the future”. « Bel a choisi, depuis 2018, de changer d’échelle en se préoccupant non seulement de ses usines, mais également des filières, avec ses marques, en assurant une meilleure rémunération des huit cents éleveurs partenaires en France, en établissant un plan d’action pour réduire l’impact carbone de ses sites de production et des fermes qui les approvisionnent. Son statut de groupe familial et la proximité des dirigeants avec les équipes donnent une grande agilité dans la prise de décision. »

Filiale d’Unilever, Lipton fait du recyclage une priorité et un combat singulier : « Pionnière depuis longtemps, observe Sandrine Raffin, cette marque tardait à communiquer son engagement sur l’usage de plastique recyclé et à impliquer les consommateurs dans le tri des bouteilles en plastique. » Autre cas, celui de L’Oréal, qui a privilégié la recyclabilité de ses emballages ainsi que la transparence des ingrédients : « Le groupe a fait beaucoup de pédagogie sur un sujet compliqué en passant du programme “Sharing Beauty with all” à “L’Oreal for the futur”. » Dans tous les cas, il est conseillé à chacun dans l’entreprise d’être capable d’en résumer la stratégie RSE et de contribuer à son élaboration : pour rendre son appropriation plus facile, afficher une certaine fierté et partager des perspectives communes. Ainsi Kellogg’s France forme tous ses salariés de tous niveaux à son engagement par le programme « Cultivons la simplicité » : « Chacun donne du sens à son travail et peut avoir un impact dans sa vie professionnelle. »

Trouver le ton juste

Sandrine Raffin conseille également aux entreprises et aux marques de passer d’une démarche de construction partagée à une démarche de coévolution, non seulement avec les équipes mais aussi avec les consommateurs, à être dans une posture de dialogue « pour comprendre comment ils voient l’entreprise évoluer ».

Faut-il communiquer même si tout n’est pas parfait, ou verrouiller avant de prendre la parole ? Sandrine Raffin suggère une pédagogie « sur le fait que si tous les enjeux sont pris en compte l’entreprise peut ne pas avoir atteint tous ses objectifs ». Elle ne peut pas pour autant rester silencieuse sur des sujets sensibles : « Ne pas avoir la solution immédiatement ne signifie pas qu’on ne s’en préoccupe pas. » Quant au ton à adopter dans la communication : « Sincérité, humilité, cohérence et singularité. Ne jamais survendre, se méfier des superlatifs. Car certains engagements sont devenus des contrats de base. »

[1] Cet article est la synthèse de son intervention à l’Ilec et d’un entretien réalisé ultérieurement.
[2] Selon un sondage Ipsos-Factory de septembre 2020 pour Produrable, 64 % des Français pensent que l’épidémie Covid est liée à notre modèle de croissance et à l’impact de l’espèce humaine sur la nature et l’environnement.
[3] « La crise ne changera en rien notre modèle de croissance (28 % ) ; elle va plutôt en renforcer les défauts (28 % ) ; elle va plutôt permettre d’évoluer vers un modèle de croissance plus responsable et respectueux (30 % ) » (Ipsos-Factory des idées-Produrable 2020).
[4] Génération participation, Eyrolles, 2001.

J. W.-A.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.