Mécénat de compétences : le nouveau levier solidaire
16/04/2025
Le mécénat de compétences [1] peut être un levier de développement pour les associations solidaires. Après le Covid, le bénévolat a régressé [2], notamment dans son vivier majeur, les jeunes retraités, qui tendent à être plus âgés avec le report de l’âge de départ. Et la montée en compétence s’impose. « Les salariés en entreprise sont donc très précieux », souligne Barbara Mauvilain, responsable du pôle des relations institutionnelles des Banques alimentaires [3]. D’autant que par l’effet des lois Agec et Garot visant la réduction du gaspillage, le don d’invendus perd en importance, le gisement se tarissant, les entreprises ayant en outre d’autres options pour leurs invendus avec les circuits de solderies. Elles réduisent d’autant leurs dons d’invendus aux associations, remarque Bethan Aumonier, directrice des relations entreprises de Dons solidaires (DS) [4].
Ces constats, les deux associations, Dons solidaires (collecte de dons de produits non alimentaires) et Fédération française des Banques alimentaires (FFBA, premier réseau national d’aide alimentaire depuis 1984), avec lesquelles l’Ilec a conclu un partenariat en 2023 [5], les ont partagés le 20 mars dernier avec les adhérents de l’Ilec, parmi lesquels Bic et L’Oréal ont apporté leur témoignage. De même que de dons en nature volontaires programmés ciblés, les associations ont besoin de ressources humaines, de compétences, car celles qu’elles mobilisent ne sont pas foncièrement différentes de celles qu’on trouve en entreprise. Le mécénat de compétences est donc une voie appelée à grandir : la loi Aillagon de 2003 le favorisait déjà par une défiscalisation (60 % du salaire chargé) ; la loi Bataillon de 2024 vient de le rende plus intéressant pour les PME [6].
Autre type d’engagement que le bénévolat
Si 16 % des entreprises mécènes proposent du mécénat de compétences, 54 % souhaitent augmenter leurs actions dans les deux ans [7]. Raphaëlle du Fayet, chargée de développement auprès des entreprises chez DS, en analyse les effets : « Le mécénat, et en particulier le mécénat de compétences, est une démarche qui monte dans les entreprises. Le nombre d’entreprises mécènes progresse plus vite que le budget global du mécénat. Cette différence est liée à la plus forte progression du nombre de TPE mécènes – dont les montants de mécénat sont beaucoup plus faibles que ceux des grandes entreprises [8]. »
Le mécénat de compétences se distingue du bénévolat, en ce qu’il résulte d’une démarche d’entreprise et non d’une démarche individuelle, et s’effectue durant le temps de travail avec une compensation financière, ce qui n’est pas le cas du bénévolat. L’entreprise met des salariés volontaires à la disposition d’un organisme d’intérêt général dont le rayonnement doit dépasser le cadre local, le nombre d’adhérents dépasser deux cents, et qui doit avoir une « activité effective » et une réelle vie associative. Responsable du « pôle philanthropie » de la FFBA, en mécénat de compétences de L’Oréal, Christine Sonnier insiste sur le fait que « la démarche vient des salariés et non de l’entreprise ». Celle-ci s’engage à répondre à un besoin avéré des associations, qui peut prendre la forme de dons de temps des salariés : une troisième voie à côté des dons de produits ou des dons financiers.
« À la croisée d’enjeux RH et RSE », comme le résume Raphaëlle du Fayet, le mécénat de compétences présente des atouts singuliers. L’association peut diversifier ses soutiens, accroître son niveau d’expertise, professionnaliser ses bénévoles avec des moyens financiers modestes. Confrontée à des enjeux de recrutement, d’attractivité, d’employabilité, de fidélisation et de fins de carrière, l’entreprise valorise sa « marque employeur » et rend ses engagements visibles. Par le mécénat de compétences, le salarié peut exprimer certaines des siennes, leur donner plus de sens ou de nouvelles perspectives, enrichissant par cette expérience sa qualité de vie au travail. Il s’engage non seulement en tant que salarié mais aussi en tant que citoyen, en écho aux valeurs de l’entreprise. Et comme le souligne Christine Sonnier, « le mécénat s’impose d’autant plus que l’âge de la retraite recule, il permet de fixer une date de fin de contrat convenue entre le salarié et l’entreprise ».
De leur côté, les associations proposent aux salariés des entreprises des structures et des métiers comparables à ceux qu’ils exercent et recourent également à des indicateurs de performance, aussi n’ont-ils pas l’impression d’entrer dans un autre monde doté d’autres règles. « Toutes les fonctions au sein des entreprises, assure Christine Sonnier, existent en miroir chez nous. »
Diversité des durées, des lieux et des sujets
Le mécénat de compétences est divers tant par la durée (court, moyen ou long terme, d’une demi-journée à trois ans) que par les métiers opérationnels dans les antennes locales et les sièges des associations. Il peut aussi consister en formations (informatique, CV…) de salariés ou bénévoles des associations. Ainsi, Dons solidaires recourt au mécénat de courte durée (« journée solidaire ») en entrepôt en y accueillant jusqu’à vingt salariés d’une entreprise partenaire pour une aide logistique, « gérer les flux et les dons complexes, trier les produits, faire des inventaires de dons », précise Raphaëlle du Fayet : « Les retombées sont est multiples : aide logistique et financière, absorption de dons complexes, distribution de produits plus adaptée, et découverte pour les collaborateurs du partenariat, développer la culture du don, découvrir la précarité. »
Le mécénat de courte durée peut aussi se dérouler non chez DS mais sur le site de l’entreprise partenaire ou sur un autre où l’association intervient avec les salariés du mécène. Raphaëlle du Fayet donne l’exemple d’une opération « deux en un » : un don de produits et une mobilisation de salariés (jusqu’à cent) pour la réalisation de « kits produits » – hygiène, scolaire, etc. –, la coordination et la distribution étant assurées par DS et la logistique par l’entreprise. En 2024, 32 000 kits ont mobilisé 475 salariés.
Un troisième format de mécénat courte durée est la mobilisation en associations pendant un ou deux jours par an avec du partage d’expertise en formation professionnelle : aide à la prise de parole, gestion de projets, formation Excel, CV, etc. Ou la participation à des événements associatifs : distribution de produits, ateliers socio-esthétiques (fête des mères), emballages cadeaux (Noël), ateliers ludiques…
En moyenne et longue durée, un, deux ou trois ans, Dons solidaires adapte également les formats. « En moyenne durée, explique Raphaëlle du Fayet, le détachement peut se faire en milieu de carrière ou sous la forme d’un congé sabbatique solidaire de plusieurs mois. En longue durée, le dispositif est celui d’une fin de carrière sur deux à trois ans. La mise en œuvre est faite au siège de DS et le volontaire est salarié par son entreprise. Depuis 2021 cinq ont été ainsi accueillis. C’est un vrai cadeau pour nous que de telles expertises apportées par des personnes motivées et adaptables. » Les missions peuvent concerner aussi bien la stratégie d’organisation, la communication, ou la gestion de projets, par exemple la transition digitale.
Journées plébiscitées
Bic, partenaire de DS depuis plus de quinze ans dans la gestion des invendus et des stocks est intervenu une journée le 21 octobre 2024 au reconditionnement sur le site DS d’Artenay [9]. « Une forte mobilisation ne peut être qu’encouragée par nos organisations, estime Stéphanie Pascon, directrice e-commerce & new business chez Bic, soit par les RH, soit par la direction. Ces journées nous sortent de nos routines. C’est un vrai partage, ressenti comme un team building. À la fin, nous sommes satisfaits d’avoir contribué de manière concrète. Nous n’avions pour seules compétences que nos bras et nos jambes, preuve que tout le monde peut apporter sa part. »
Lui font écho divers témoignages de salariés : « Avoir pris pleinement conscience de l’ampleur des besoins et des détresses, avec le sentiment profond d’être utile » ; « Cette journée m’a permis de voir des actions concrètes, de voir comment travaillent les équipes de Dons solidaires, et quelles sont les personnes qui bénéficient des produits » ; « Cette journée m’a permis de comprendre le fonctionnement et la contribution de Dons Solidaires pour aider les personnes précaires, j’ai été heureuse de participer à cette journée et d’apporter ma petite pierre à l’édifice ».
« Il faut distinguer, précise Barbara Mauvilain, mécénat de compétences et journée volontaire, quand les entreprises ont des sites de production proches de nos 79 Banques alimentaires, quand il nous est proposé d’envoyer une équipe une journée sur nos sites logistiques, ou de participer à nos collectes nationales. Le mécénat de compétences, lui, consiste en expertises mises à notre disposition par les entreprises. » Les missions sont diverses : « Elles couvrent un large spectre : tri des denrées, appui à la présidence, recherche de financements, développement des partenariats, ressources humaines, communication, informatique, comptabilité, et bien d’autres. Elles reflètent l’ensemble des fonctions de l’organigramme d’une Banque alimentaire. »
Regain de sens en fin de carrière
Venant de L’Oréal, Christine Sonnier apporte son expertise dans la gestion de projet, des procédures, du reporting, professionnalisant ainsi l’association. Son conseil : « bien choisir l’association, d’utilité publique ou d’intérêt général, en cohérence avec les valeurs de l’entreprise, et s’assurer qu’elle soit pérenne, accepter ses modes de fonctionnement entre salariés et bénévoles ». Elle a choisi les Banques alimentaires pour un mécénat de compétences de longue durée, car l’association est non confessionnelle et apolitique, en ligne avec les valeurs de L’Oréal. « Comme toute entreprise, elle est libre d’accepter ou de refuser une proposition d’association émanant d’un salarié. » Selon Christine Sonnier, en mécénat « l’heure n’est plus à la réussite individuelle, au faire-valoir, aux bonus » : le salarié de l’entreprise en mécénat de compétences n’est plus piloté aux résultats, même si des indicateurs de suivi et de contrôle budgétaire existent aussi dans les associations. Il doit « s’acculturer à l’association, être à l’écoute de son modèle social, apporter ses compétences sans s’imposer ». Le mécénat de fin de carrière [10] est une démarche volontaire à l’initiative du salarié, que l’entreprise ne peut promouvoir [11]. Mais pour les salariés entre soixante et soixante-quatre ans, il peut être une voie désirable. Un indice : Barbara Mauvilain observe que 95 % des personne en mécénat de fin de carrière aux Banques alimentaires deviennent des bénévoles à leur prise de retraite.