Logistique
Fret 21, une démarche commune pour décarboner
12/09/2025
L’Ilec a organisé le 4 juillet dernier une matinée consacrée à la logistique et au transport durable, particulièrement au dispositif Fret 21. Il y a reçu Virginie Thouzery, déléguée aux projets et aux partenariats à l’AUTF (Association des utilisateurs de transport de fret) et Nestlé, Danone et Yoplait ont témoigné de leur expérience. Cette organisation représentants les chargeurs a lancé la démarche Fret 21 en 2015, peu avant la Cop 21 sur le climat, en partenariat avec l’Ademe et avec le soutien du ministère de la Transition écologique. Elle a été la première organisation sectorielle à signer avec l’État une charte de ce type, dont l’objectif est la mise en œuvre de plans d’action avec une méthode commune et reconnue, pour mesurer les émissions de gaz à effet de serre des transports, calculer l’empreinte carbone des actions d’optimisation logistique, et définir des trajectoires pour piloter les plans de réduction.
Une dizaine d’entreprises, grandes ou moins grandes, se sont rapidement associées à la démarche, dont Ferrero, Coca Cola, Fleury Michon, Essity, Hénaff, et leur nombre n’a ensuite cessé de grandir. « Il s’agissait de développer un outil de mesure et de reporting à partir de données communiquées par les chargeurs donneurs d’ordre », explique Virginie Thouzery. En 2018, Fret 21 a intégré le programme de l’Ademe « CEE EVE » (« Certificats d’économie d’énergie, engagements volontaires pour l’environnement ») pour le transport et la logistique. Dans les trois années qui ont suivi, cinquante-quatre entreprises se sont engagées dans le dispositif. En 2023 a été lancé le label Fret 21 pour valoriser la performance environnementale. Fret 21 réunit aujourd’hui six cents entreprises, dont une trentaine sont labellisées, parmi lesquelles Eckes Granini, Ferrero, Valrhona, Pepsico, Danone ou Tereos. Elles ont bénéficié d’un accompagnement par des cabinets référencés pour déterminer un plan d’action ambitieux à trois ans, et fédérer une communauté d’entreprises partageant des bonnes pratiques et étalonnant leurs expériences.
« Les bénéfices de Fret 21 sont nombreux, explique Virginie Thouzery : la lutte contre le réchauffement climatique bien sûr, qui permet des gains économiques, l’anticipation des règlements à venir, notamment la directive Seqe UE 2[1], qui entrera en vigueur en 2027, ou la fiscalité énergétique, la mobilisation des salariés par une démarche transversale, la reconnaissance des pouvoirs publics, ou une réponse aux attentes de clients distributeurs et un partenariat avec leurs fournisseurs. »
Depuis le lancement de la démarche, 637 000 tonnes d’émissions de CO₂ ont pu être évitées, pour un engagement de 450 000, et une entreprise sur deux s’est déjà réengagée avec des objectifs de réduction rehaussés. Par entreprise, la réduction a atteint 11 % , soit 1 400 tonnes évitées en moyenne, et 3 000 à 4 000 pour les plus grandes, bien au-delà de l’objectif fixé de 5 % . Parmi les actions les plus efficaces figurent dans l’ordre les changements d’énergie (gaz ou biocarburant), le recours à des prestataires également référencés dans le programme EVE, le report modal (majoritairement vers le ferroviaire, voire le maritime, notamment avec le programme européen Remove[2]), la revue des conditions de livraison et l’amélioration du taux de chargement.
Les exemples de…
… Yoplait
« Yoplait est entré dans Fret 21 en 2021, s’engageant sur un taux de réduction de 10 %. En trois ans, nous avons fait mieux : – 11 % , et nous repartons pour une deuxième saison encore plus ambitieuse, doublant cet objectif à moins 20 % . Notre politique consiste à combiner durabilité et compétitivité. Cela fait du sens pour nos employés et nos clients – même si certaines enseignes restent à convaincre. Dans la première saison, la démarche reposait beaucoup sur nos fonctions support. Pour la deuxième, nous avons décidé d’impliquer davantage les fonctions métiers en la faisant conduire par les équipes opérationnelles. » (Nathalie Molina, directrice de la supply chain.)
« La démarche Fret 21 concerne toutes les organisations chez Yoplait : direction, fonctions support, métiers. Elle nous a permis de nourrir une culture avec une méthodologie. Nous avons suivi les quatre axes de l’AUTF – taux de chargement, moyen de transport, achats responsables et distance parcourue –, pour déterminer des actions internes et externes, avec les transporteurs comme avec nos clients. Cinq actions ont été retenues comme prioritaires. La réduction de nos flux entre plateformes, en rééquilibrant nos stocks, ce qui est un défi dans l’ultra-frais, a permis de réduire nos émissions de 335 tonnes d’équivalent CO₂. La diminution de la fréquence de livraison chez certains clients a permis d’éviter 146 tonnes – ce n’était pas simple de démontrer que cela engendrait aussi une combinaison gagnante entre le commerce et la supply chain ; la collaboration avec une enseigne particulière a permis de valider cette méthode, que nous comptons étendre durant notre deuxième saison. La révision de nos types de préparation de commandes a eu un effet d’environ 600 tonnes en réduisant le nombre de palettes intercalaires ainsi qu’en choisissant au mieux le départ de la livraison parmi nos cinq plateformes. Enfin, l’optimisation de nos flux entre usines et plateformes, en augmentant les quantités transportées par camion ainsi qu’en aval, a réduit de 519 tonnes nos émissions.
« Notre objectif de – 20 % en saison deux restera fondé sur ces quatre axes. Aujourd’hui, le multimodal ne nous semble pas prioritaire, en raison de la date limite de consommation dans notre catégorie de produits, après quelques expérimentations avec le rail. Mais nous pouvons aller plus loin sur les quatre axes grâce à l’implication de nos équipes, avec le soutien du groupe Sodiaal. Nous renforçons également nos relations avec nos partenaires extérieurs, en compensant les surcoûts éventuels par des gains alternatifs : cela peut concerner un changement de carburant ou la gestion des enlèvements par nos clients distributeurs. Enfin, pour mesurer les effets de ces efforts, nous travaillons avec la solution de TK Blue, qui nous permet de cartographier nos flux, d’estimer précisément nos émissions ainsi que d’éventuelles externalités négatives. Une application nous permet de visualiser par enseigne ces émissions : ainsi, à chaque rendez-vous, nous partageons ces données avec nos clients. » (Maël Roulin, responsable logistique opérationnelle et service clients, Yoplait.)
… Danone France
« La feuille de route développement durable de Danone s’articule autour de trois piliers : la santé, la nature, et les salariés et communautés. L’une des priorités du pilier nature est la réduction des GES. Depuis 2022, le groupe Danone s’est engagé sur une trajectoire de 1,5 degré validée par le SBTi, avec pour 2030 une réduction de 42 % du scope 3 hors agriculture[3], soit 1,9 million de tonnes équivalent CO₂ évitées. La logistique représente 8 % des émissions totales. En 2020, année de référence, l’empreinte carbone du transport et de la logistique de Danone France atteignait environ 100 000 tCO₂, dont 96 % liées au transport et 4 % au stockage. Trois leviers structurent notre feuille de route de décarbonation du transport : optimisation logistique, report modal, énergies alternatives.
« Pour l’optimisation logistique, les actions visent à améliorer le remplissage des camions, à réduire les distances et à diminuer la consommation de carburant. Les camions à double étage, déployés dès que la hauteur des palettes le permet, permettent d’économiser 450 trajets par an et 130 tCO₂ à compter de 2025. Les livraisons multi-destinations, relançant une analyse des flux, permettent une réduction de 340 tCO₂. Les appels d’offres privilégient les trajets aller-retour afin de limiter les kilomètres à vide des transporteurs. L’engagement des transporteurs est fortement encouragé par l’intégration de clauses RSE dans les contrats, l’incitation à l’autoévaluation EcoVadis et la valorisation des prestataires équipés de matériels récents.
« Le report modal vise le ferroviaire. Depuis 2024, un partenariat avec Carrefour permet la livraison directe par train des usines d’Évian et Volvic vers l’entrepôt de Grans, dans les Bouches-du-Rhône, équivalant à neuf cents camions retirés des routes et 450 tCO₂ évitées chaque année. Un mode de livraison similaire est à l’étude pour un entrepôt francilien, ainsi que d’autres flux à l’horizon 2027 avec différents clients. Pour lever les freins à un projet qui peut paraître trop complexe à première vue, Danone a conçu un outil à l’intention de ses parties prenantes, détaillant étapes, acteurs et types de projets.
« Pour les carburants et énergies, en 2024, 4 % des flux ont basculé en biocarburants (biogaz, HVO, V100), évitant 2 000 tCO₂. En 2025, cette part est montée à 17 % , soit 8 000 tCO₂ de gains attendus. Le biocarburant étant une solution limitée en volumes disponibles, nous souhaitons en parallèle développer des flux électriques. Nous avons pour objectif de lancer un premier pilote en 2026 avec un transporteur partenaire afin d’expérimenter coûts, autonomie et infrastructures de recharge, avant diffusion progressive dans le réseau.
« Grâce à ces actions, Danone France a obtenu en 2025 le label Fret 21, avec une note de 82 % , pour un seuil requis de 60 % . Ce label valide la robustesse de la démarche pour la mesure, les achats responsables, les modes et énergies alternatifs et l’engagement de l’écosystème. » (Morgane Cottineau, responsable de la décarbonation transport, Danone.)
… Nestlé
« Nestlé se distingue par un portefeuille de catégories diverses, favorisant des organisations matricielles qui ont longtemps fonctionné en silos. Fret 21 nous a permis de nous réunir autour d’un objectif commun.
« Dès le départ, les quatre leviers classiques de la démarche se sont imposés : optimiser le taux de remplissage, changer les énergies ou les modes de transport, réduire les distances et certifier nos prestataires. Nous avons surtout agi sur les trois premiers, et les résultats parlent d’eux-mêmes : première saison, 2017-2019, un objectif de moins 8 % dépassé ; deuxième saison, 2020-2022, moins 10 % atteints et même légèrement dépassés. Les contraintes varient d’un pays à l’autre mais, grâce à Fret 21 nous avons pris une avance significative en France. Aujourd’hui, toutes nos opérations de transport sont consolidées dans une seule équipe, avec les mêmes outils et la même stratégie. Chaque type de produits, chaque zone géographique exigent des solutions spécifiques. Pour cette troisième saison, 2023-2026, notre ambition est encore de diminuer nos émissions de 10 % , et nous sommes déjà en avance sur l’objectif.
« Notre périmètre couvre des milliers de camions par an. Nous travaillons sur quatre axes principaux : biogaz, multimodal, électrique, HVO, tout en gardant un œil sur l’hydrogène. Aujourd’hui, 43 % de nos flux aval sont opérés en solutions bas carbone, et notre ambition est d’atteindre 70 % d’ici à 2030, objectif que nous partageons avec des partenaires comme Carrefour. Et nous avons encore des actions à amplifier : mutualiser davantage les flux, équilibrer les trajets, partager les bornes électriques privées en attendant un réseau public, ou préparer l’arrivée de technologies plus disruptives.
« Ainsi, nous menons un projet, avec Ceva Logitics, Sanef et Engie. Inspiré du vieux système des relais de poste, il repose sur des relais électriques. Pour rendre éligible le camion électrique à des livraisons longues distances (500 à 1000 km), nous créons des étapes tous les 200 kilomètres environ, où le tracteur est remplacé par un autre, à la batterie déjà chargée. Cela règle les problèmes d’autonomie et rend pour les chauffeurs le métier plus attrayant, en leur permettant de rentrer chaque soir chez eux, tout en assurant la continuité du flux.
« Fret 21 nous encourage donc à mettre de l’intelligence dans le transport, nous ouvrant à des dialogues inédits avec nos clients, sur des sujets techniques, sans le filtre du commerce. Cela donne du sens à nos actions et permet d’attirer de nouveaux talents dans un secteur souvent perçu comme peu attrayant. La décarbonation devient un levier social autant qu’environnemental, et la transition écologique, une chance collective. » (Aurélien Matard, responsable transports France et Benelux, Nestlé.)
… Solinest
« Entreprise familiale, Solinest est devenue depuis 1961 un acteur incontournable de la distribution en France et en Europe. Nous ne sommes pas un industriel : notre métier est celui de distributeur omnicanal, multimarque et multicatégorie. Notre rôle consiste à accompagner plus de quarante marques partenaires, établies ou émergentes, dans leur développement ou leur introduction sur le marché français et européen. Notre force repose sur une organisation commerciale solide de 250 personnes sur l’ensemble des circuits de distribution, ce qui implique une logistique performante et adaptée, pour toutes les températures. Nous avons choisi de l’externaliser pour mieux massifier les volumes et optimiser les coûts, dont l’empreinte environnemental. Ainsi, nous collaborons avec des industriels de premier plan en partageant les mêmes cadenciers de livraison.
« Être distributeur, pour nous, ce n’est pas seulement gérer des flux et des volumes. C’est porter une vision : celle de rendre accessibles aux consommateurs des marques porteuses de valeur, qu’il s’agisse d’innovation, de qualité, de proximité ou de durabilité. C’est pourquoi nous faisons le choix d’accompagner nos partenaires dans la durée, de bâtir des relations de confiance avec les enseignes, et d’innover constamment dans nos approches marketing, commerciales, merchandising et logistiques. » (Christophe Petitdemange, secrétaire général, Solinest.)
« Mutual Logistics a développé un modèle de mutualisation en épicerie, BRSA, DPH appelé Mutual Food. Il consiste à regrouper plusieurs industriels dans les mêmes entrepôts et camions, afin de tendre au camion complet, de diminuer les coûts logistiques, de réduire l’empreinte carbone et d’améliorer la qualité de service, en synchronisant les cadenciers avec les distributeurs. Notre collaboration avec Solinest illustre l’intérêt du modèle.
« Parmi huit bassins identifiés en France, trois sites sont déjà opérationnels : Orléans (31 000 m², vaisseau amiral avec une quarantaine d’industriels), Bollène (ouvert en 2024) et Rennes (30 000 m² en construction pour les industriels bretons). Le centre de consolidation de la région Paca est notamment utilisé par des industriels de l’agroalimentaire italiens. À Orléans, Solinest et d’autres grands acteurs assurent près de la moitié des volumes, permettant d’agréger les flux de PME expédiant une à trois palettes par expédition. Le modèle transforme ainsi un camion fragmenté en un camion complet, avec à la clé 15 à 20 % d’économies de transport. Et grâce à la régularité des cadenciers fixes, notre taux de service peut atteindre 99 ou 99,5 % . Aujourd’hui, 50 % des flux gérés par Mutual Logistics sont mutualisés. L’objectif est d’atteindre 85 % fin 2026. Lorsque certaines routes restent fortement émettrices, nous étudions des alternatives, au gaz, aux biocarburants ou électriques, déjà en test.
« Les outils de suivi déployés par Mutual Logistics permettent de mesurer, site par site et client par client, les émissions de CO₂ évitées grâce aux schémas mutualisés. Des comparaisons annuelles entre transport dédié et pooling objectivent les gains. » (Naïm Denis, secrétaire général de Mutual Logistics, prestataire de Solinest.)