Bulletins de l'Ilec

Valeur et valeurs - Numéro 461

30/11/2016

Par la valorisation des salariés et l’optimisation des ressources, l’économie collaborative accroît la résilience comme la performance de l’entreprise. Entretien avec Aurélie Duthoit, fondatrice de Circus Consulting1

Entreprise «collaborative», «libérée», «2.0»? Ces notions se distinguent-elles?

Aurélie Duthoit : C’est un jargon fourre-tout pour nommer l’entreprise qui s’adapte à la quatrième révolution industrielle. Avec pour facteurs communs de promouvoir le bon sens dans le management pour éviter les procédures compliquées, d’abattre les silos, de favoriser la pluridisciplinarité pour faire éclore des compétences ignorées et échanger de nouvelles idées, de développer l’autonomie et la responsabilité des salariés.

Quels sont les facteurs à l’origine du conceptd’entreprise collaborative?

A. D. : Le premier est le numérique, qui décuple les possibilités d’échanger, de dialoguer et de partager en s’affranchissant des silos. Le numérique norme des comportements : nos expériences d’utilisateurs de la Toile en tant que consommateurs sont fluides, rapides, intuitives. En tant que salariés, c’est souvent plus compliqué. Qui n’a jamais vu le message «vous n’avez pas les droits administrateurs» sur son ordinateur de bureau ? Il faut que l’entreprise apprenne à réduire les contraintes, pour permettre aux salariés de se concentrer sur la partie productive de leur travail. Aujourd’hui, chacun peut à titre privé contribuer à la société de l’information, en créant un blog, en commentant un article, en contribuant à la réputation d’une marque… Dans son travail, il est beaucoup plus contraint et ne peut pleinement exploiter ses compétences et ses talents. Ce qui est une aberration, car l’entreprise est par excellence le lieu où on lui demande d’être performant. Les salariés ont pour attente de bénéficier de tous les atouts du numérique.

Un autre facteur est la concurrence des entreprises, qui se créent aujourd’hui avec un modèle radicalement nouveau. On avance aussi comme autre facteur l’arrivée des générations Y et Z, mais ce qui compte est moins un phénomène de génération que la compréhension de l’époque dans laquelle nous vivons. Si les jeunes générations sont mieux équipées, elles sont parfois trop immergées dans le numérique pour déceler les limites, trouver le bon dosage entre le réel et le virtuel ; certains seniors sont mieux armés par leur maturité.

Des secteurs sont-ils plus ouverts que d’autres à l’entreprise collaborative? Les activités interentreprises autant que celles tournées vers les consommateurs?

A. D. : Aucun secteur n’est exclu, car il s’agit autant voire plus de méthode et d’organisation de travail que de marketing. Au reste, les premières entreprises qui se sont lancées dans le collaboratif viennent du «BtoB» : Inov-on, Michelin. Cette révolution industrielle ne concerne pas seulement les produits et les services proposés aux consommateurs, mais aussi le management en interne.

Vous définissez l’économie collaborative comme la manière de «produire de la valeur en commun». Une valeur marchande uniquement?

A. D. : La valeur est économique, financière mais aussi sociétale, environnementale. Je prône l’abandon du PIB, qui augmente quand les accidents sur la route sont plus nombreux ou qui baisse quand des femmes allaitent leurs enfants. Il ne rend pas compte de la valeur créée.

 L’implication collaborative des salariés est-elle mesurée?

A. D. : Les entreprises qui ont effectué un virage managérial participent à des classements, comme celui de Great Place to work. Alexandre Jost a créé la Fabrique Spinoza, « think tank du bonheur citoyen » et du bien-être au travail. L’institut Gallup édite régulièrement des rapports sur l’implication des salariés en Europe… Reste que si beaucoup d’entreprises mettent en place des politiques de bien-être au travail, certains salariés peuvent se contenter d’une position de consommateurs de ces offres, sans s’impliquer ni témoigner d’une plus grande loyauté. L’entreprise doit bien définir sa vision, sa mission, sans lesquelles il n’est pas d’adhésion possible des salariés.

Une entreprise collaborative, plus ouverte, est-elle plus confrontée à des risques de déstabilisation, d’attaques cybercriminelles? Renforce-t-elle l’adhésion des salariés et son pouvoir de résilience en cas de crise?

A. D. : La sécurité informatique va connaître de beaux jours, mais la réponse passera, autant que par des services techniques, par la prise de conscience des personnes quant à la gestion de leurs données personnelles et professionnelles. Oui, la démarche collaborative renforce le pouvoir de résilience de l’entreprise, grâce à la loyauté, à l’adhésion des salariés à ses valeurs. C’est pourquoi il est prioritaire de bien définir la mission, la vision et les valeurs de l’entreprise, et de s’assurer que les salariés y adhèrent, les pratiquent et les font vivre. La démarche ne se heurte-t-elle pas à certaines baronnies, voire aussi aux instances représentatives du personnel?

A. D. : Toute entreprise en voie de libération doit avoir l’appui de sa direction, sans lequel les baronnies perdurent. Les syndicats, quant à eux, doivent trouver une nouvelle raison d’être et leur place dans l’entreprise, pour être légitimes dans un nouveau modèle managérial où les relations sont moins conflictuelles.

Toute révolution porte des craintes et des menaces, quelles sont celles de l’entreprise collaborative?

A. D. : Parce qu’il a aussi pour caractère une multiplication des évaluations, le management collaboratif peut faire peur, comme inquiète le risque d’intrusion dans la vie privée par l’intermédiaire de services (conciergerie…) offerts par l’entreprise. Le risque existe d’un décalage entre les anciens salariés et les nouveaux, rompus aux technologies.

 

1. www.lentreprisecollaborative.com. Et A. Duthoit, Petit Manuel d’économie collaborative à l’usage des entreprises, Eyrolles, 2016.

Propos recueillis par J. W.-A.

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