Bulletins de l'Ilec

Le dire et le faire - Numéro 461

30/11/2016

Pas plus que la confiance ne se décrète, la réalité d’une approche collaborative ne peut se dispenser de preuves. Entretien avec Thierry Wellhoff, fondateur de l’agence Wellcom

Comment définir «l’entreprise collaborative»?

Thierry Wellhoff: Comme une organisation qui place l’homme au centre de sa structure, autrement dit qui mise sur les hommes plutôt que sur les procédures, ou, en tout cas, place les procédures au service des hommes. L’entreprise collaborative est contributive (elle repose sur les initiatives et les compétences de tous et n’assujettit pas la personne à des taches aliénantes), bienveillante (plutôt que « confiante », car la confiance est un résultat, elle ne peut être a priori, elle se révèle lorsque des problèmes se présentent : la bienveillance est un « crédit de confiance » prêté à l’autre). Elle se caractérise aussi par son horizontalité, un mode d’organisation et des procédures qui ne se définissent pas par la redondance verticale de strates qui limitent, déterminent et contrôlent, par son ouverture, qui caractérise les rapports humains et la circulation des compétences et des informations en interne, et les relations avec l’écosystème, l’innovation par pollinisation, enfin par ce qu’elle fait la part belle aux communautés, qui se forment et se reforment dans une logique fonctionnelle et pragmatique, loin des contraintes de l’organigramme.

L’entreprise collaborative serait-elle aux antipodes de l’esprit français, de sa vision d’intérêts contraires entre dirigeants et salariés?

T. W. : L’esprit français est marqué par une vision antagoniste et égalitariste. Une société de défiance s’est instituée où des intérêts perçus comme contradictoires doivent être égalisés, notamment par l’action de la puissance publique. Cette vision doit être revisitée. Dans une économie qui est à 60 % de services, les salariés sont en contact direct avec les clients. Sans engagement, motivation et bien-être, sans intérêts partagés au sein de l’organisation, l’entreprise ne peut que péricliter. De surcroît, 99 % des entreprises françaises ayant moins de cinquante salariés, de nombreuses personnes travaillent dans des structures dont le succès ne peut que dépendre directement de leur implication et de leur collaboration.

Quel type de relations une entreprise collaborative entretient-elle avec ses partenaires? Y a-t-il un effet en termes de démarche RSE?

T. W. : Au-delà du lien de dépendance économique, qui peut d’ailleurs exister dans les deux sens, la relation doit impliquer une reconnaissance mutuelle, être collaborative. Il y a corrélation entre la dimension collaborative de l’entreprise et sa politique RSE, laquelle pour autant suppose un ensemble d’actions spécifiques et une logique de progression continue dans la durée. Le caractère collaboratif de l’entreprise appartient à son cœur stratégique, alors que sa politique RSE est d’un ordre plus sociétal : elle ne devient stratégique que s’il fait l’objet d’un engagement durable du management.

Le concept d’entreprise collaborative peut-il réhabiliter l’image de l’entreprise?

T. W. : L’entreprise est si chargée de sens qu’un vocabulaire nouveau crée de l’attention spécifique. L’entreprise collaborative valorise la dimension globale et communautaire des organisations. C’est une perception plus riche qu’une approche utilitariste. Pour autant, seule la réalité des faits, la preuve par les comportements, modifiera en profondeur la perception que les Français ont de l’entreprise. L’entreprise collaborative ne se décrète pas, elle s’éprouve et se constate au fil des relations qu’elle construit avec ses parties prenantes. La règle de la cohérence, qui est celle de toute communication réussie, celle qui lie le dire et le faire, s’applique particulièrement à l’entreprise collaborative.

L’entreprise collaborative a-t-elle des valeurs spécifiques?

T. W. : Des valeurs sont en tout cas essentielles à sa construction et à son développement. Nombreuses sont celles attachées intrinsèquement à l’esprit collaboratif, mais chaque entreprise a une spécificité. Le choix d’un système de valeurs est un moyen fort pour donner du sens dans une organisation. Le fonctionnement des systèmes de valeurs mérite un intérêt particulier ; il est intéressant de comparer les principes d’action définis au nom des valeurs choisies. Une entreprise, au-delà de ses valeurs propres, peut ainsi être plus centrée sur ses clients ou plus sur ses employés. Autant de manières d’envisager les rapports de collaboration.

La dimension collaborative renforce-t-elle l’adhésion des salariés et le pouvoir de résilience en cas de crise?

T. W. : La crise sert de révélateur à la nature des relations qui unissent les hommes, elle les intensifie. L’implication des salariés de l’entreprise collaborative ne peut être que plus importante ; dès lors, la mobilisation collective peut constituer un facteur de résilience. Les salariés peuvent aussi devenir des ambassadeurs de la marque qui atténuent les chocs réputationnels. Néanmoins, la dimension collaborative n’est pas en soi un rempart contre la crise.

Comment faire vivre une culture collaborative pour qu’elle ne s’étiole pas?

T. W. : Le rôle du manager est de veiller au grain. Une organisation crée toujours, souvent malgré elle, de la complexité, des pesanteurs et des séparations. Le manager doit être un facilitateur et un catalyseur, dans la structure comme dans les procédures. Il lui revient de placer les relais aptes à relancer les dynamiques de collaboration.

Propos recueillis par J. W. A.

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