Bulletins de l'Ilec

À chaque enseigne son équilibre - Numéro 413

30/09/2010

Entre chercheurs de prix bas et consommateurs soucieux de qualité, la diversité des comportements oblige les groupes concurrents du grand commerce à élaborer un positionnement en prix permettant de les singulariser. Mais le prix ne fait pas toute l’image prix. Entretien avec Cédric Chereau, “consulting manager” chez Emnos, cabinet de conseil aux entreprises de la grande consommation et de la grande distribution

Dans quel univers « l’image prix » est-elle la plus justifiée ?

Cédric Chereau : Tous les univers liés au quotidien, où l’on observe une forte fréquence d’achat, une forte concurrence et des achats peu impliquants. La grande distribution est le meilleur exemple : les clients viennent souvent faire leurs courses (ils connaissent donc les prix), les achats qu’ils y font sont bien moins impliquants que dans d’autres univers et le prix (ou la perception qu’ils en ont) est une dimension primordiale. La concurrence forte entre les enseignes nécessite dès lors une « image prix » puissante, sous peine de voir les clients se tourner vers les autres enseignes.

Et dans quel univers l’est-elle le moins ?

C. C. : Dans les univers où la qualité ou la rareté des produits sont plus importantes que l’image prix. L’univers du luxe est le meilleur exemple. C’est aussi le cas pour les enseignes qui revendiquent un « plus-produit » qui nécessite un prix plus élevé. L’image prix est alors bien moins importante : Naturalia (produits bio), American Apparel (produits « made in USA »), Nature et Découvertes (produits naturels).

Une enseigne pourrait-elle avoir une bonne image prix avec des prix peu compétitifs ?

C. C. : Il est important de distinguer les prix (réalité de l’étiquette) de l’« image prix » (perception du prix par les consommateurs). évidemment, dans la plupart des cas, les deux sont corrélés : si une enseigne pratique les prix les plus bas du marché, cela va se savoir et cette enseigne aura une image prix très positive auprès des clients.

Néanmoins, il arrive que la réalité du prix et l’image prix soient déconnectées : une enseigne qui communique beaucoup sur ses prix bas aura une image prix flatteuse alors que ses prix bas ne sont pas toujours les plus bas du marché. Leclerc est un bon exemple : la communication de l’enseigne est tournée quasi exclusivement vers le pouvoir d’achat (« Chez Leclerc, vous savez que vous achetez moins cher »), ce qui permet à Leclerc d’avoir une excellente image prix. Dans la réalité, ses prix sont souvent équivalents à ceux de ses concurrents. C’est la raison pour laquelle il est, à mon sens, plus pertinent pour une enseigne de suivre la perception de ses prix par ses consommateurs que les prix de ses concurrents…

Se polariser sur l’image prix n’est-il pas l’aveu d’un échec pour une enseigne de distribution en tant que marque ? Ou sa vocation seulement utilitaire la condamne-t-elle de toute façon à avoir l’image-prix pour seule stratégie ?

C. C. : L’image prix est effectivement incontournable pour la grande distribution, mais cela peut ne pas être le seul axe stratégique. A chaque enseigne son positionnement. Si les maxidiscompteurs se polarisent sur leur image prix, cela n’est pas un aveu d’échec, mais le résultat d’une stratégie clairement établie. Auchan a pendant longtemps défendu l’importance du choix, avec un assortiment très large. Darty se positionne par la qualité du service, qu’illustre le « contrat de confiance ». La stratégie d’Ikea et celle d’Habitat ne sont pas les mêmes : Ikea cherche à cultiver une image prix forte, Habitat joue la carte de la qualité, du style.

Qu’est-ce que « travailler l’image prix » ? Repérer « l’îlot de perte », en agissant sur les prix des seuls produits qui comptent le plus, affectivement ou budgétairement, pour la minorité de consommateurs la plus sensible aux prix ?

C. C. : L’image prix est effectivement principalement portée par les clients les plus sensibles aux prix. C’est pour ces consommateurs que la dimension du prix est la plus importante. Pour travailler son image prix, une enseigne doit identifier les produits importants pour eux et investir sur ces produits, de façon à avoir le meilleur positionnement prix possible. Néanmoins, il est primordial de ne pas délaisser les autres consommateurs, pour qui le prix est peut être moins important mais qui reste une variable importante : certains produits emblématiques doivent être identifiés et traités avec la plus grande précaution par l’enseigne, pour qu’elle conserve une bonne image prix. La bouteille de 1,5 litre de Coca Cola, le pot de Nutella ou la bouteille d’un litre de Ricard sont des produits médiatiques, achetés par une majorité de clients, vendus dans toutes les enseignes et auxquels tous les clients prêtent une attention particulière.

S’il faut construire une « image prix » spécifique, cela peut-il se faire autrement que dans le temps long, en martelant et en illustrant sans relâche le même discours ?

C. C. : L’« image prix » est effectivement un processus long. Une enseigne doit la construire dans la durée. Des actions ponctuelles peuvent permettre d’infléchir la perception des prix par les clients de l’enseigne, comme le lancement de la marque Carrefour Discount, le changement d’enseigne de certains Auchan en PrixBas, mais pour la maintenir, il est important de conserver un discours cohérent et de long terme.

D’autres critères que le niveau des prix peuvent-ils contribuer à une bonne « image prix » (effet de réassurance lié à la cohérence des prix dans chaque catégorie, mise en avant systématique du rapport qualité-prix…) ?

C. C. : L’ « image prix » est liée à la perception des magasins qu’ils fréquentent par les consommateurs. Cela touche à leur inconscient, à leur sentiment et à l’impression générale d’un point de vente. Les vecteurs de cette image sont multiples. Le prix est le plus évident d’entre eux, mais l’image prix se construit aussi suivant d’autres critères. La bonne tenue du magasin (propreté, éclairage, rayons pleins) donne une image de qualité : un hypermarché classique a l’air plus cher qu’un maxidiscompteur. La qualité de service et d’accueil confère aussi une impression plus qualitative. Et le marchandisage peut jouer : avec les mêmes références et les mêmes prix, un magasin qui met en avant plus de MDD ou de premiers prix aura une meilleure image prix que celui qui expose plus volontiers les marques nationales.

Quand une enseigne généraliste consacre un espace spécial à la parapharmacie, aux primeurs bio ou aux bijoux, avec ou sans caisse séparée, quel est l’impact le plus probable sur son « image prix » : elle se détériore du fait qu’elle monte en gamme avec la présence de produits survalorisés, ou elle s’améliore du fait qu’elle rend plus accessibles des produits réputés chers ?

C. C. : L’image prix de ces enseignes ne sera pas nécessairement moins bonne, si le bon équilibre est maintenu par ailleurs – prix bas sur les produits achetés par les clients sensibles aux prix ou sur les produits achetés par tous, respect des autres vecteurs qui font l’image prix… C’est un équilibre difficile à trouver et c’est tout l’enjeu pour les enseignes de distribution aujourd’hui : proposer la meilleure offre de valeur à des clients qui sont tous différents. Certains cherchant des prix bas et d’autres cherchant une offre plus qualitative, l’objectif est que chacun trouve la solution qui lui est adaptée.

Les promotions ont-elles, en grande consommation, un effet durable sur « l’image prix » d’un produit particulier, compte tenu de leur multiplication et de leur diffusion à toutes les catégories ?

C. C. : Cela dépend de la mécanique promotionnelle utilisée : une mécanique proposant un avantage pour lequel le consommateur n’a aucun effort supplémentaire à fournir (un produit acheté, un produit gratuit ou 20 % gratuit) pourra avoir un impact fort sur l’image prix. A l’inverse, les mécaniques qui nécessitent d’acheter plus d’un produit (« trois pour deux », « un acheté, le deuxième à moitié prix », etc.) pourront être perçues comme une pression à la consommation, notamment par les clients les plus sensibles aux prix.

Les comparateurs de prix reflètent-ils la réalité des prix ?

C. C. : Cela dépend : certains essaient d’être objectifs sur le positionnement en prix des enseignes. Ils doivent pour cela satisfaire à plusieurs critères : une représentation aussi fidèle que possible du comportement d’achat des consommateurs ; des produits comparables, c’est-à-dire des marques nationales largement vendues, car elles sont directement comparables entre distributeurs ; et pour les marques de distributeur des produits sélectionnés avec attention, pour être de qualité égale entre concurrents. Certains comparateurs sont moins objectifs, car ils servent de relais de communication à des distributeurs, comme Quiestlemoinscher.com, comparateur en ligne dirigé par Leclerc.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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