Bulletins de l'Ilec

L’écologie industrielle, le nouvel horizon - Numéro 323

01/04/2001

Entretien avec Dominique Bourg, Professeur des Universités.

Marier écologie et industrie relève de la provocation quand la première n’a cessé, depuis les années 70 de dénoncer la seconde. Et pourtant, l’expression « écologie industrielle » entend, aujourd’hui, traduire un nouvel impératif : le développement durable. Dominique Bourg : L’expression « écologie industrielle » fait référence aux éco-systèmes dans lesquels il y a zéro émission et quasiment zéro déchet. Dans la nature, les déchets de certaines espèces sont recyclés et servent de ressources à d’autres espèces. Pourquoi ne pas en faire autant sur le plan industriel ? A savoir, inciter certaines industries à utiliser comme ressources les rejets d’autres industries. Depuis le début des années 80, des entreprises ont lancé des projets : Nestlé France commercialise son marc de café aux Champignionnières de Saumur pour servir de compost ; les industriels du Cognac utilisent le biogaz issu des déchets de vinasse pour produire leur énergie (électricité et chaleur) ; les cimenteries recyclent des huiles, des pneus, des solvants, etc. comme combustibles de substitution et des déchets de plâtre comme matières secondaires, etc. Ces exemples de valorisation de déchets participent-ils d’une démarche d’ « écologie industrielle » ? Dominique Bourg : Ils traduisent une prise de conscience, mais nous entrons véritablement dans une démarche d’écologie industrielle quand nous voulons systématiser la valorisation pour nous approcher de l’objectif zéro déchet. Pour ce faire, deux solutions s’offrent à nous, aujourd’hui. La première est celle des « écoparcs », au nombre d’une vingtaine dans le monde. On cite traditionnellement comme vitrine de la « symbiose industrielle » Kalundborg, situé à une centaine de kilomètres de Copenhague. Mais elle n’est pas la seule comme en témoignent d’autres exemples : celui de Graz en Autriche, l’initiative de Grande-Synthe et de son maire qui fut longtemps responsable de la qualité totale à Sollac Dunkerque. Citons également le projet de EDF sur la zone de Jarry, celui de Port-Louis en Guadeloupe et celui, encore dans les cartons, de Vivendi. L’ecoparc présente néanmoins une rigidité majeure : si une entreprise fait faillite ou décide de s’installer ailleurs, la biocénose industrielle est en péril. Deuxième solution, plus souple : celle des réseaux mis en place grâce aux transports. La valorisation des déchets n’est plus soumise aux aléas de la vie de certaines entreprises. On peut citer l’exemple du réseau d’échange des sous-produits du chlore, dans le sud des Etats-Unis. S’en tenir à la seule « industrie » est peut-être réducteur. L’enjeu n’est-il pas plus grand qui porte sur un nouveau rapport de l’homme à la nature ? Dominique Bourg : De fait, la valorisation des déchets, premier sens d’ « écologie industrielle », ne concerne que les industriels. Or l’expression « écologie industrielle », d’origine américaine, exprime une réalité beaucoup plus vaste que ne le fait le seul mot français « industrie ». L’adjectif « industrielle » signifie ici, société industrielle avec son cycle production/échange/consommation et tous les flux de matières. Le deuxième sens de l’écologie industrielle apparaît quand on couple l’écologie industrielle avec l’économie de fonctionnalité. Ici, l’objectif est d’atteindre la plus haute valeur d’usage, en consommant le moins possible de matière et d’énergie et ce, grâce à l’économie de service. Ainsi les industriels ne vendent plus leurs produits, mais ils les louent. Conséquence majeure dans le cycle de fabrication : il est de l’intérêt, pour l’industriel, de fabriquer des produits dont la durée de vie est la plus longue possible,puisqu’il tire ses ressources de leur location et de leur maintenance. Dans ce système, pour la première fois se trouvent déconnectés les flux financiers des flux matières. Jusqu’aux bénéfices en termes d’emploi qui sont importants, puisque la maintenance des biens requiert davantage que la fabrication. Et la quantité de déchets s’en trouve singulièrement réduite. Aujourd’hui, 99% des ressources utilisées pour les biens produits, deviennent des déchets au bout de six mois. L’urgence s’impose ! Les citoyens/consommateurs sont-ils prêts à accepter, demain, de ne plus être propriétaires de leurs biens ? Dominique Bourg : Le consommateur est déjà coutumier du fait. Il n’est pas propriétaire d’un logiciel, mais seulement d’un droit d’usage. Le crédit-bail est une technique commerciale fréquente pour un certain nombre d’objets. Certains industriels de l’automobile s’interrogent sur la possibilité de vendre moins de voitures, tout en augmentant leur chiffre d’affaires, grâce au concept de service kilométrique. Des fabricants de meuble ou de moquette vendent déjà des services-meuble ou du service-moquette. Dow Chimical loue certains de ses solvants. L’économie de fonctionnalité entend conduire l’économie de service jusqu’au bout de sa logique. Des programmes de recherche sont engagés qui portent sur les nanotechnologies. Fiction ou réalité ? Dominique Bourg : De fait, et c’est le troisième sens possible de l’écologie industrielle, de nouveaux procédés de fabrication pourraient, demain, fonctionner par addition et non par extraction de matière. Ce qui, aujourd’hui relève de l’industrie fiction, sera réalité dans quelques décennies. L’objectif est de développer des techniques, grâce au génie génétique et aux nanotechnologies. Un savoir faire se développe très lentement autour de la manipulation de la matière à l’échelle moléculaire, voire atomique. Il y aurait des équivalents artificiels de certaines espèces des écosystèmes, à savoir les nécrophages et les coprophages, insectes, champignons ou micro-organismes qui recyclent les cadavres ou les excréments et les réintroduisent dans le circuit les nutriments. La nouvelle économie est-elle une industrie propre ? Dominique Bourg : Si nous ne disposons pas aujourd’hui d’évaluation précise, nous pouvons néanmoins prendre acte d’un certain nombre d’effets pervers. Au nombre desquels, l’explosion du transport observée dans les villes américaines, en raison du développement du commerce electronique, la consommation d’électricté en forte progression, due au fait que des millions d’ordinateurs sont en permanence branchés. Il se peut donc qu’il y ait contradiction entre certains aspects de la nouvelle économie et l’orientation de la communauté internationale en faveur du développement durable. Dans les pays occidentaux, 40% des émissions de gaz à effet de serre sont dus aux transports (20% à l’échelle mondiale) Or, les deux modes de transport les moins écologiques, routier et aérien, croissent deux fois plus vite que l’économie. Dans 30 ans, on estime que le trafic aérien sera, à lui seul, responsable de l’équivalent des émissions actuelles de gaz à effet de serre des Etats-Unis, c’est-à-dire 25% de l’ensemble ! Les idéologies politiques prennent leur source dans le réel et se transforment en utopie. L’écologie suit le mouvement inverse. Jadis, utopie, elle est aujourd’hui ancrée dans la réalité. Dominique Bourg : Deux courants se sont mélangés, ajoutant à la confusion. L’écologie politique, véritable utopie sociale des années soixante-dix, a masqué la prise de conscience de l’autre écologie, celle-ci de nature scientifique et qui remonte à 1864 quand le géographe George Perkins Marsh publie Man and Nature. Première analyse scientifique du caractère problématique de la société industrielle, son livre étudie de manière quantitative les effets des activités humaines sur les milieux naturels et notamment sur la forêt et sur l’eau. Depuis les années 50, de nombreuses analyses scientifiques très sérieuses ont été publiées, mais malheureusement tenues dans l’ombre. Ces analyses ne sauraient toutefois tenir lieu de réponses politiques appropriées. Contrairement aux idéologies, « l’écologie industrielle » n’est pas une pensée manichéenne. Dominique Bourg : La prise de conscience de la crise environnementale n’est pas le fait d’un parti politique en particulier. Elle est transversale comme en témoigne l’évolution des préoccupations des citoyens. C’est, aujourd’hui, le premier souci des Français, bien avant le chômage ! Les engagements internationaux deviennent de plus en plus forts. Ils portent aussi bien sur les réglementations en matière de recyclage que sur le risque du réchauffement climatique. On a, pendant 50 ans, bousculé tous les grands mécanismes régulateurs de la biosphère qui la rendaient propice à la vie. Résultat : les grands cycles sont aujourd’hui perturbés comme ceux du carbone, de l’eau, du soufre, de l’azote, etc. Quels sont les acteurs les plus légitimes pour promouvoir l’écologie industrielle ? Dominique Bourg : Tout dépend de la culture du pays. Aux Etats-Unis, on s’en remet au marché et aux industriels. En France, si, tradition oblige, les pouvoirs publics et les collectivités territoriales ont un grand rôle à jouer, industriels et citoyens comptent également parmi les acteurs incontournables. Les fonds éthiques, hier jugés peu sérieux, sont aujourd’hui reconnus. Il ne faut pas non plus occulter la responsabilité des citoyens dont les choix de consommation peuvent être déterminants. L’écologie industrielle ne peut pas être du seul ressort des économies développées. Quel rôle peuvent jouer les pays en voie de développement ? Dominique Bourg : Signe que l’écologie industrielle n’est pas un concept occidental, un grand colloque va prochainement se tenir à Manille. L’Inde est aujourd’hui en tête des projets. Le développement durable comprend trois aspects : économique, social et écologique. Or, la pauvreté, associée aux grandes masses démographiques est explosive en termes de destructions environnementales. Tout système produit des effets pervers. Quels seraient ceux de l’écologie industrielle ? Dominique Bourg : On peut évoquer le recyclage des farines animales. Dans certains cas, l’écologie industrielle peut être porteuse de risques nouveaux. Il faut donc coupler écologie industrielle et précaution, explorer les dangers, comme c’est le cas aujourd’hui pour les médicaments, les additifs alimentaires et les pesticides. Comment former l’opinion sans l’inquiéter, au risque de déclencher des mouvements de panique ? Dominique Bourg : Il faut montrer aux gens ce qu’ils ont à gagner en termes de confort de vie et ce qu’ils ont à perdre ! Mettre en place de façon tangible le changement du côté des politiques publiques et des pratiques industrielles. La peur est la pire des conseillères. Dominique Bourg, directeur du département Technologie et Sciences de l’Homme, université de Troyes, est notamment l’auteur de L’Homme-artifice (Gallimard, 1996), de Nature et technique (Hatier, 1997), de Peut-on encore croire au progrès (P.U.F. 2000) et de Parer aux risques de demain. Le principe de précaution (Seuil, 2001). • Création d’un DESS « Ecologie Industrielle et Territoires Urbanisés Durables » à l’université de technologie de Troyes. C’est la première formation « professionnalisante » d’écologie industrielle en France. Elle se déroule sur un an, avec un stage en entreprise de 5 mois. Ce DESSS a reçu pour l’heure le soutien des entreprises et institutions suivantes : EDF, IBM, PSA, GDF, YPREMA, l’Ademe, la mairie de Grande-Synthe, le Parc régional naturel de la forêt d’Orient, etc. • Création d’une association (« Technique et société ») pour organiser des séminaires avec des hauts responsables de l’industrie pour les sensibiliser et les ouvrir à d’autres éclairages.

Jean Watin-Augouard

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