Bulletins de l'Ilec

Du principe pollueur-payeur au marché de l’écologie industrielle - Numéro 323

01/04/2001

Tour d’horizon des instruments juridiques et économiques utilisés dans la lutte contre la pollution.

En vingt ans, le souci des générations futures est passé du stade de thème philosophique à celui de préoccupation internationale officielle. La thèse de Hans Jonas, selon laquelle l’homme a des devoirs envers sa descendance à venir, se retrouve dans la notion de développement durable à laquelle nombre de textes se réfèrent (1). Les mesures réglementaires et économiques, sans oublier les approches volontaires, montrent que les considérations environnementales sont davantage qu’une simple préoccupation et servent de fondement à la législation. QUAND LE POLLUEUR DOIT PAYER Le principe selon lequel le pollueur doit supporter les coûts des mesures de prévention et de lutte contre la pollution arrêtées par les pouvoirs publics, afin de préserver l’environnement, n’est pas si récent. Repris par la loi Barnier en France (2), il était énoncé par l’OCDE dès 1972 (3) et est devenu un principe général du droit de l’environnement en 1990 (4). L’Europe n’est pas en reste, dont les dispositions législatives ont servi de base à la rédaction de la loi française. Dès 1987, l’Acte Unique intégrait ce principe dans le traité de Rome. L’article 130 R du Traité a fait de l’environnement un des objectifs de l’action de la Communauté, en précisant que celle-ci consacre, entre autres, le principe pollueur-payeur (5). Cependant, le texte ajoute que la Communauté doit tenir compte, dans l’élaboration de sa politique, « des avantages et des charges qui peuvent résulter de l’action ou de l’absence d’action ». La doctrine du pollueur-payeur n’est donc pas d’application systématique. En outre, telle qu’énoncée par la loi française ou le droit européen, elle ne lie ni les pouvoirs publics, ni les acteurs économiques. Son niveau de généralité en fait davantage un guide politique qu’un réel principe juridique : elle ne correspond qu’à l’imputation d’un coût. C’est néanmoins au regard du principe pollueur-payeur que peuvent être justifiées la plupart des mesures qui visent à la préservation de l’environnement. LES INSTRUMENTS TRADITIONNELS DES POLITIQUES DE L​‌’ENVIRONNEMENT Normes, prélèvements et mesures volontaires, tels sont les principaux instruments environnementaux auxquels la plupart des pays développés, dont la France, a recours. LES NORMES REGLEMENTAIRES Les normes que chaque agent doit respecter, sous peine de pénalités, sont particulièrement appréciées par la puissance publique, car elles permettent une évaluation en apparence claire des effets de la pollution sur l’environnement. Elles peuvent être divisées en quatre grands types. Les normes de qualité fixent les objectifs généraux à atteindre, en fonction des capacités du milieu (6). Les normes d’émission définissent les quantités maxima de rejets d’un polluant (7). Les normes de produits donnent les caractéristiques propres du produits (8). Enfin, les normes de procédé fixent les normes techniques de fabrication à employer ou d’installations antipollution à réaliser (9). Leur apparence de gratuité les rend plus populaires que les autres mesures environnementales, mais les normes sont impraticables comme outil de coordination internationale : comment harmoniser les milliers de règles différentes appliquées dans les pays du monde entier ? Enfin, elles sont critiquées pour leur manque d’efficacité économique, en comparaison d’autres mesures comme les taxes écologiques et autres prélèvements. LES TAXES FISCALES ET AUTRES PRELEVEMENTS Sur le modèle d’une taxe française maintenant bien connue, la taxe générale sur les activités polluantes (10), les pouvoirs publics disposent de nombreux instruments fiscaux et parafiscaux (11), appelés « écotaxe », dont le l’adoption est d’ailleurs encouragée par les institutions communautaires (12). En France, la TGAP s’apparente à un panier de taxes et de redevances. Elle permet, à la fois, de dégager des ressources suffisantes pour réparer les dommages occasionnés par les activités polluantes et d’inciter à des comportements plus vertueux. La TGAP, créée en 1999, regroupe cinq anciennes taxes affectées à l​‌’Agence de l​‌’environnement et la maîtrise de l​‌’énergie (ADEME). Elle frappe la mise en décharge des déchets ménagers, le stockage et l​‌’élimination des déchets industriels spéciaux, la consommation d​‌’huiles, la pollution industrielle de l​‌’air et le bruit provoqué par le trafic aérien. Il est prévu que les dispositions fiscales seront complétées en 2002 par la signature d’engagements volontaires qui donneront lieu à des réductions d’impôts. Au niveau européen, les instruments fiscaux doivent respecter plusieurs dispositions du Traité. Ils ne doivent pas s’apparenter à des droits de douane ou à des taxes d’effet équivalent. Ils ne doivent pas entraver la libre circulation des marchandises, ni créer de discriminations envers les produits des autres États membres. Enfin, ils ne doivent pas être qualifiés d’aides d’État anticoncurrentielles. LES APPROCHES VOLONTAIRES Certaines entreprises ou secteurs mettent en place des codes de bonne conduite, véritables autorégulations en matière d’environnement. Y adhérer signifie, pour une entreprise, qu’elle adopte un comportement responsable vis-à-vis des dangers économiques causés par son activité. Des contrats peuvent également être signés entre les pouvoirs publics et les industriels, qui contiennent des objectifs écologiques à atteindre, en contrepartie d’exemptions à l’application de la législation domestique. Ce n’est plus la législation nationale qui fixe le droit, mais les termes du contrat (13). Enfin, l’autorité publique peut élaborer des cahiers des charges auxquels les entreprises adhèrent de manière volontaire, en contrepartie d’une accréditation ou d’un étiquetage spécifique des produits commercialisés. Au niveau européen, par exemple, un règlement établit un système communautaire d’attribution de label écologique (14). Il convient cependant de relever, comme le souligne la Commission (15), que ces conventions doivent être conformes au droit national et au droit communautaire. Elles ne doivent pas créer d’obstacles au fonctionnement du marché intérieur, en particulier à la libre circulation des marchandises. Les spécifications techniques qu’elles contiennent doivent être notifiées à la Commission pour contrôle préalable. Elles doivent en outre respecter les règles prohibant les abus de position dominante et les ententes (16), de même que celles relatives aux aides d’État. UNE NOUVELLE VOIE : LES PERMIS D​‌’EMISSION NEGOCIABLES Le système des « droits d’émission » ou « permis d’émission négociables » (PEN) repose sur l’idée que les incitations à réduire les émissions polluantes sont les plus efficaces dans les domaines où le coût de l’opération est le moins élevé. Un producteur qui peut diminuer ses rejets à un coût inférieur au montant de l’amende qui sanctionne le dépassement du quota choisira la réduction de pollution. Les permis excédentaires peuvent ensuite être vendus à d’autres producteurs, pour lesquels il est moins onéreux d’acheter des permis que d’acquitter une amende. Enfin, un fabricant peut thésauriser les permis qu’il n’a pas utilisés et s’en servir l’année suivante. Les PEN font donc l’objet de transactions économiques, assimilées à tort par certains à un véritable marché de droits à polluer (17), d’autant plus critiqué au nom de l’idéologie qu’il s’agit d’un système d’origine américaine (18). A l’occasion de la conférence de Kyoto sur les changements climatiques en 1997, 38 pays industrialisés se sont engagés à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 5,7% par rapport à 1990 entre 2008 et 2012, par le biais de plusieurs mécanismes de flexibilité, dont les permis d’émission négociables. Le système des PEN est entièrement fondé sur la notion d’échange : les permis peuvent être non seulement vendus, mais aussi troqués en contrepartie d’un appui technique ou financier. Dans les relations nord-sud, ils contribuent au développement durable des pays moins industrialisés, mais moins pollueurs, qui, en cédant leurs PEN, peuvent se procurer des technologies propres, lesquelles contribueront à leur développement, tout en permettant de réduire les émissions. En dépit de la preuve de leur efficacité aux Etats-Unis (19), l’Europe se montre réticente à les utiliser, les conditions de leur mise en œuvre étant encore incertaines. Le système des PEN semble adapté à une politique de l’environnement à l’échelle mondiale, des négociations sur une écotaxe internationale paraissant d’avance vouées à l’échec. Mais le système convenu à Kyoto et discuté à La Haye est loin d’être parfait. Des questions se posent : quel est le statut juridique de ces permis ? Comment s’organisera le contrôle des échanges ? Par quel organisme sera-t-il assuré ? L’échec de la conférence de La Haye est en partie dû à l’absence de réponse à ces interrogations. Outre le mode d’allocation initial des permis d’émission -par une attribution gratuite, des enchères, ou une vente simple- il faut en effet déterminer leur statut juridique. S’agit-il d’autorisations administratives, de droits de propriété sur l’air, de produits financiers ou d’actes d’une nature juridique nouvelle ? D’aucuns ont proposé de leur appliquer le régime de l’autorisation d’occupation du domaine public, à l’instar des fréquences hertziennes (20). Les PEN seraient aussi assimilés à des autorisations administratives aliénables, à l’instar des quotas laitiers. LES PEN, POINT DE PASSAGE OBLIGE Comme sur tout marché, les risques de détournement ne doivent pas être ignorés : aides d’État dissimulées sous couvert d’attribution gratuite, ententes prohibées ou encore créations de monopoles. La vente des PEN aux enchères pourrait résoudre les inquiétudes entourant leur attribution. Reste cependant à définir l’organisme chargé d’enregistrer des transactions à l’échelle mondiale et de vérifier leur validité. En dépit des problèmes qu’ils soulèvent, les PEN sont plus efficaces que les normes et les prélèvements, qui frappent les pollueurs sans limiter les atteintes globales à l’environnement. Tout comme les écotaxes, ils permettent à la fois de faire payer toute émission et de lever un revenu qui permet la baisse de certains prélèvements obligatoires, en matière d’emploi par exemple. L’échec de la conférence de La Haye est dans tous les esprits. Les Européens semblent néanmoins avoir compris que la politique environnementale mondiale passe par leur utilisation. Le Danemark a été autorisé par la Commission à attribuer gratuitement des permis d’émission de CO2 aux producteurs d’électricité (21). Quant à la France, elle a annoncé l’année dernière, par la voix de son Premier ministre, qu’elle allait également recourir à ce système (22). L’idée de bon sens qui consiste, non pas à briser la créativité du marché en vue de protéger l’environnement, mais à utiliser sa dynamique à cette fin, en lui offrant les instruments économiques idoines semble, enfin, faire son chemin, par delà les idéologies. (1) Cf. par exemple, l’article 2 du traité de Rome et la loi n°95-101 du 2 février 1995, dite « loi Barnier », qui a modifié l’article L 200-1 du Code rural, devenu l’article L110-1 du Code de l’environnement. (2) cf. note 1. (3) Recommandation sur les principes directeurs relatifs aux aspects économique des politiques de l’environnement sur le plan international (1972) et Recommandation sur la mise en œuvre du principe pollueur-payeur 1974 et Le principe pollueur-payeur (1992). (4) Résolution n°5 de la Conférence diplomatique de la Convention internationale sur la préparation, la lutte et la coopération en matière de pollution par les hydrocarbures, OMI, Londres, novembre 1990. (5) Cf. également art. 130 R-2 et 130 S-5 dans leur rédaction issue du traité de Maastricht, repris aux articles 174 et 175 nouveaux du traité de Rome. (6) Par exemple, le taux maximum admissible de CO2 dans l’air, art. L221-2 du Code de l’environnement et décret n°98-360 du 8 mai 1998. (7) Telles que les taux d’émissions polluantes des véhicules ou leur limites d’émission de bruit, art. L224-1, L224-5 et L571-2 du Code de l’environnement, décret n°2000-1302 du 26 décembre 2000 et arrêtés du 17 juillet 1984, 6 mai 1988 et 7 juillet 1995 à propos des véhicules automobiles. (8) Arrêtés du 23 décembre 1999 relatifs aux caractéristiques du supercarburant, du supercarburant sans plomb, du gazole et du gazole grand froid. (9) Art. L541-1 du Code de l’environnement. (10) TGAP, art L151-1 et L151-2 du Code de l’environnement, art. 266 sexies et s. du Code des douanes, art. 37 de la loi de finances rectificative pour 2000 n°2000-1353 du 30 décembre 2000 et décret n° 20041-172 du 21 février 2001. (11) Les instruments économiques pour le contrôle de la pollution et la gestion des ressources naturelles dans les pays de l​‌’OCDE : un examen d​‌’ensemble. (12) Communication de la Commission du 26 mars 1997 relative aux impôts, taxes et redevances environnementaux dans le marché unique. (13) Communication de la Commission du 27 novembre 1996, COM (96) 561 final, résolution du Conseil du 17 juillet 1997 et résolution du Parlement du 7 octobre 1997. (14) Règlement CE n°1980/2000 du 17 juillet 2000. (15) Cf. note 13. (16) Les accords environnementaux peuvent cependant, après avoir été notifiés à la direction concurrence, être exemptés en application de l’article 81§3 du Traité, cf. point 7 des lignes directrices de la Commission sur les restrictions horizontales du 6 janvier 2001. (17) D. Voynet, Le Monde, 21 janvier 2000. Remarquons cependant que les prélèvements fiscaux et parafiscaux, en ce qu’ils permettent de polluer en échange de l’acquittement de la taxe, peuvent également être qualifiés de « droits à polluer ». (18) D’origine locale, l’idée a été consacrée par la législation fédérale en 1990 avec le Clean Air Act. (19) Où les émissions de CO2 ont été réduites de 10 millions de tonnes (Le Monde, 21 mars 2000). (20) La Tribune, 15 novembre 2000. (21) Europe Environnement, avril 2000. (22) Programme national de lutte contre le changement climatique, Commission interministérielle de l’effet de serre, 19 janvier 2000.

Vogel & Vogel, avec la collaboration d​‌’Anne de Beaumont

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