Bulletins de l'Ilec

Irénisme pragmatique - Numéro 330

01/12/2001

Entretien avec Jean-Claude Daniel, député de la Haute-Marne.

Comment se sont déroulées les consultations qui ont conduit au projet de loi sur les nouvelles régulations économiques ? Jean-Claude Daniel : La mission d’information, qui a rédigé le rapport sur l’évolution de la distribution, présenté le 11 janvier 2000 par Jean-Yves Le Déaut, était composée de dix députés. Elle a entendu les représentants de tous les acteurs économiques concernés : la grande distribution, les organisations professionnelles, les syndicats, les unions de PME, les unions commerciales, les fournisseurs et les associations de consommateurs. On voit aujourd’hui que les opérateurs, producteurs et distributeurs, veulent faire évoluer la situation. Comment faire le tri dans les doléances des uns et des autres ? J.-C. D. : Si les revendications étaient relativement disparates, des problèmes majeurs communs à l’ensemble des parties ont été identifiés, qui touchent surtout les relations avec la grande distribution. De nombreux fournisseurs nous ont alertés, de façon anonyme, sur l’existence de pratiques commerciales anormales, au nombre desquelles figure la dérive des marges arrière. Les petits producteurs sont dans une situation terrible. Rappelons que c’est la crise des fruits et légumes de l’été 1999 qui fut à l’origine de la loi NRE. Le texte de 1986, corrigé en 1996, semblait inopérant, et nous avons dû, de nouveau, légiférer. Je me souviens de la discussion de l’article 27, consacré à la vente des fruits et légumes : les catalogues de prix pouvaient être imprimés bien avant la récolte ! Les prix étaient fixés d’avance et, par conséquent, imposés aux producteurs. Nous avons constaté que l’ordonnance du 1er décembre 1986 n’avait pas été appliquée, alors qu’elle permettait au gouvernement d’agir par voie réglementaire en fixant des prix minima ! Il semble que le courage politique ait fait défaut. Nous nous sommes donc appuyés sur les professionnels pour résoudre la crise. Y a-t-il eu divergences entre la majorité et l’opposition ? J.-C. D. : La partie médiane de la loi, consacrée à la régulation de la concurrence, n’a suscité ni dissensions ni divergences. La commission de la Production et des Echanges à l’Assemblée nationale s’est inspirée du rapport Le Déaut, présenté lors des Assises de la distribution, pour couvrir de larges domaines. Depuis la loi Royer, toutes les grandes lois consacrées aux rapports industrie-commerce sont personnalisées. Qui se cache derrière les lettres NRE ? J.-C. D. : Six personnes, trois rapporteurs, représentant les parties en présence, et trois « regards » politiques. Je fus l’un des six. Quel sens donnez-vous au mot régulation ? J.-C. D. : Le marché ne s’autorégule pas, contrairement à ce que laisserait entendre une conception libérale, idéale, de l’économie : la société sombrerait dans une anarchie préjudiciable. La main invisible est un mythe. Mais il ne faut pas pour autant prôner l’excès inverse : l’économie administrée. Ce n’est pas à l’Etat de fixer les normes de production et de distribution. Il est néanmoins nécessaire de se doter de règles qui fixent les rapports entre les acteurs. Interdire, par exemple, les prestations commerciales fictives et les pratiques de marges arrière abusives. La loi NRE impose de revenir au contrat qui fixe clairement les règles. Le fournisseur peut saisir le juge et une sanction pécuniaire peut être prononcée, afin de condamner les pratiques commerciales illicites. Nous avons renforcé les pouvoirs de la DGCCRF en termes de contrôle et de sanction. Peut-on craindre une immixtion de l’État dans la liberté contractuelle ? J.-C. D. : Non, puisque les négociations contractuelles demeurent libres et que c’est à la justice, et non à l’État, de faire respecter la loi. Pourquoi la Commission des pratiques commerciales n’a-t-elle qu’un rôle consultatif ? J.-C. D. : A l’origine, nous souhaitions mettre en place une véritable commission d’arbitrage. Mais en cas de conflit, elle aurait été tentée de se substituer aux autorités qui, seules, ont le pouvoir de rendre justice. Et surtout, elle aurait pu sombrer dans l’inefficacité, car les fournisseurs n’osent pas évoquer leurs litiges, par crainte d’être déréférencés. Une telle commission se doit d’être plutôt un observatoire des pratiques commerciales, un lieu où les anomalies peuvent être décrites, un cadre de débat en dehors d’un contexte strictement local. Sans désigner les protagonistes, la Commission sera amenée à donner des avis sur les conflits et, espérons-le, tentera d’apaiser les relations conflictuelles. Rappelons qu’elle peut se saisir d’office et être saisie par le ministre, les protagonistes et les consommateurs. Aujourd’hui, un certain nombre de petits producteurs s’appuient sur le texte pour nous alerter, alors qu’ils demeuraient silencieux auparavant. Pourquoi les consommateurs n’ont-ils pas leur place au sein de cette commission ? J.-C. D. : La Commission est composée de professionnels, d’un député et d’un sénateur. Il nous est apparu qu’elle devait se fonder sur les avis d’experts les moins contestables possible. Elle doit aussi traiter les problèmes dans la plus grande confidentialité. Pensez-vous que la loi NRE permettra de moraliser les relations commerciales ? J.-C. D. : Nous avons armé le bras de la justice en instaurant plus de responsabilités, d’autres cas de nullité pour les contrats illicites, et en prévoyant une amende civile d’un montant élevé. Les distributeurs vont être plus prudents. A condition d’avoir un ministre courageux ! S’il n’agit pas, c’est la porte ouverte au renoncement. Nous n’avons pas tant renforcé ses pouvoirs qu’accru sa capacité à agir. Nous disposons de trois autorités de contrôle : la DGCCRF, les juges et le ministre. Le rapport dominant-dominé s’observe-t-il au seul bénéfice de la grande distribution ? J.-C. D. : Il y a un rapport de puissance de l’objet produit à celui qui le distribue, comme de celui qui distribue à l’objet qu’il souhaite vendre. La puissance, la taille, dépendent du produit. Les fabricants peuvent aussi être en situation de dominance, en raison des effets de gamme. Aujourd’hui, on trouve également beaucoup de dominés dans les chaînes de sous-traitance. Les essaimages ont eu la grande faveur des entreprises, en leur permettant d’éviter les licenciements massifs : elles proposaient à certains de leurs salariés de devenir patrons de petites entreprises. Vertu d’un côté, effets pervers de l’autre : l’essaimé devient dépendant de donneurs d’ordres uniques. Quand une défaillance se produit, toutes les entreprises situées en aval du sous-traitant défaillant sont pénalisées. Le rapport dominant-dominé ne s’observe pas uniquement à l’échelon de la grande distribution. Celui qui est l’assujetti du moment, sous la commande unique de celui qui distribue, se retrouve dans une situation où il ne se plaindra pas, en dépit des règles que l’on a élaborées. Nécessaire, la loi NRE est-elle suffisante pour régler les conflits ? J.-C. D. : La crise de la viande bovine témoigne que des problèmes demeurent, non réglés par la loi NRE. Un article semblable à l’article 27 du projet de loi aurait été utile pour réguler ce marché, confronté aux mêmes problèmes que celui des fraises. Et demain, comment va-t-on régler ceux de la pêche ? Autre question non résolue, le règlement des factures : pourquoi ne pas imposer l’automaticité ? La loi NRE peut-elle faire des émules en Europe ? J.-C. D. : Sans aucun doute, comme en témoignent les parlementaires espagnols, très intéressés par notre réflexion. Un rapport à l’échelle européenne serait le bienvenu.

Anne de Beaumont et Jean Watin-Augouard

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.