Bulletins de l'Ilec

Le consommateur, un roi sans couronne ? - Numéro 340

01/12/2002

Cent mille actions dans le domaine de la concurrence et des prix, 240 000 relatives à la qualité des produits et des services, 190 000 consacrées à la sécurité des produits et des services et 220 000 liées aux problèmes de consommation ! Ces chiffres témoignent de l’activité de la DGCCRF en 2001, visant à débusquer les pratiques commerciales délictueuses et à rendre plus transparentes les relations entre les entreprises et les consommateurs. Ceux-ci, moins crédules qu’hier, deviennent des professionnels de l’acte d’achat et s’en laissent moins conter. Les entreprises ne l’ignorent pas, qui placent désormais le client au centre de leur stratégie. Le service consommateur, jadis réceptacle des réclamations, devient un outil marketing de fidélisation. Pour autant, le développement des techniques, s’il a permis de démultiplier les relations, a accru la complexité des échanges. Les litiges observés dans les secteurs traditionnels – déséquilibre des clauses contractuelles, information imparfaite sur les prix ou les conditions de vente, carences du service après-vente – n’épargnent pas les secteurs tels que la téléphonie mobile, le commerce électronique ou les fournisseurs d’accès à l’internet. La transparence ne serait-elle qu’un leurre, et l’apparence la réalité ? Sommes-nous dans une société de communication et donc de transparence, ou dans une société de manipulation et donc d’apparence ? L’information est-elle partagée, disponible et accessible équitablement ? La concurrence par l’information joue-t-elle au bénéfice du consommateur ou contre lui ? QUAND TRANSPARENCE NE RIME PAS TOUJOURS AVEC BAISSE DES PRIX La réponse n’est pas tranchée, comme en témoigne l’intervention d’Anne Perrot, professeur de l’université (Paris-I, Panthéon Sorbonne) sur le thème « Nouvelles technologies et nouvelles asymétries d’information ». Le commerce électronique modifie radicalement le rôle joué par l’information, celle offerte aux consommateurs sur les produits (caractéristiques et prix) et celle destinée aux vendeurs sur les consommateurs (informations personnalisées). Que peut-on attendre du commerce électronique, en termes de concurrence ? « Les prix devraient baisser et l’information tendre vers plus de transparence », résume Anne Perrot. Le commerce électronique induit une diminution des coûts de prospection du marché pour découvrir les caractéristiques d’un nouveau produit, son prix ou son positionnement dans la gamme en termes de qualité. On peut également s’attendre à ce que les prix soient plus transparents, parce que les coûts de recherche d’information ayant baissé, il est plus facile pour les consommateurs, d’un simple geste sur le clavier de l’ordinateur, de comparer les prix de deux produits ou de deux prestations similaires. En outre, les coûts directement liés à la grande distribution (salaires, établissement de magasins) et ceux supportés par les producteurs (intermédiaires) devraient également baisser. « En toute logique, explique Anne Perrot, le commerce électronique devrait réduire la chaine des coûts verticaux et abaisser le niveau de prix des produits vendus en ligne mais également, du fait d’un effet concurentiel sur le commerce traditionnel, abaisser les prix vendus dans ce circuit. » L’observation des faits infirme toutefois, en partie, cette logique. La possibilité offerte aux producteurs d’adapter les caractéristiques des produits suivant le profil de consommateurs mieux ciblés accentue la discrimination et induit un enchérissement des prix. De surcoît, l’offre de nouveaux services, comme le fait de passer commande chez Houra.fr à minuit, rencontre une demande qui peut supporter un surcoût. « Les comportements d’achat et leurs coûts diffèrent selon le type de commerce : traditionnel ou électronique. Comment comparer les coûts de prospection, de déplacement et de recherce de l’information sur le circuit traditionnel avec ceux induits par les sites », s’interroge Anne Perrot. Le client ne choisit pas de la même manière un billet d’avion et un vêtement ! Enfin, la multiplication de nouveaux intermédiaires – sites de comparaison de prix, de recherche des produits – et d’acteurs purement électroniques (pure players) n’est pas sans incidence sur le niveau des prix et l’accès à l’information. DU BON USAGE DU « CLIC » Analyser les effets du commerce électronique sur les prix implique d’en distinguer trois : le niveau, la dispersion et la variabilité. Concernant le premier effet, une étude réalisée en 1997 (Lee) sur la vente des voitures d’occasion aux États-Unis démontre que les prix sont plus élevés sur internet que lors d’enchères traditionnelles. Quand il s’agit de voitures neuves, une autre étude (Morton, Risso et Zettelmeyer, 2000) conclut que les prix sont plus faibles sur internet. Divergence identique observée sur le marché des disques compacts, des livres et des logiciels. En 1998, l’étude de Bailey souligne que les prix sont plus élevés sur internet. Deux ans plus tard, ils sont plus faibles. Deuxième effet : la dispersion des prix. Quelle que soit la date, toutes les analyses (Bailey (1998), Larribeau et Pénard (2000), Brynjolsson et Smith (2000), Chevalier, Gollsbee (2001), montrent que, contrairement aux idées reçues (la transparence devrait faire converger les prix vers la baisse), les prix sur internet ne convergent pas vers un prix unique. Le commerce électronique augmente la disparité des prix pour un même produit au sein des sites, mais également dans le commerce traditionnel. Troisième effet : la variablité des prix au cours du temps. « La fréquence de révision des prix est plus importante sur internet mais de plus faible ampleur que dans le commerce traditionnel », rappelle Anne Perrot. Explication : les offreurs ont la faculté de mesurer plus facilement l’impact de la variation de prix sur la demande et de l’ajuster plus rapidement. Changer un prix sur internet est plus facile que dans un catalogue ! Quelle peut être alors l’influence du commerce électronique sur le commerce traditionnel ? L’étude Brown et Goolsbee (2000), consacrée aux contrats d’assurance-vie, apporte une réponse : quand un contrat, figurant sur un site d’information, est susceptible d’être comparé, le prix baisse. L’élasticité se mesure ainsi : 10 % de clients supplémentaires engendrent une baisse de prix de 5 % . L’étude de Friberg, Ganslandt et Sandström (2000) portant sur les disques et les livres va dans le même sens. « Les prix sont plutôt plus faibles et plus dispersés, et les dépenses plus importantes sur internet ; les changements de prix sont plus fréquents et les intermédiaires qui diffusent l’information jouent un rôle plutôt favorable », conclut Anne Perrot. EFFET DE MASSE Deux types de travaux tentent d’analyser ces phénomènes. Les premiers (Bakos 1997, Brown et Goolsbee 2000) mettent l’accent sur les comportements de recherche d’information des consommateurs. Les coûts de recherche sont-ils réduits grâce à internet, dans un système où les biens sont différenciés ? Les consommateurs doivent-ils les supporter, les offreurs ont-ils intérêt à introduire leurs produits sur des sites de comparaison, ou bien cette fonction doit-elle être dévolue à un régulateur ? « Les études prouvent que tous les acteurs ont intérêt à investir dans le commerce électronique. Internet a fait exploser l’éventail des prix, et nous sommes en présence de deux types de consommateurs : ceux qui ont accès à une technique de recherche d’information qui réduit les coûts et ceux qui n’ont pas accès à internet. Quand l’économiste part d’une situation où personne n’a accès à internet, le consommateur va au magasin le plus accessible pour réduire les coûts de recherche. Dans ce cas extrême, chaque offreur est protégé de la concurrence des autres acteurs, et il peut pratiquer un prix de monopole. Quand une petite partie de la population commence à avoir accès à internet, elle consent alors un coût de recherche entraînant certains offreurs à baisser leur prix, induisant une dispersion des prix. Plus cette partie de la population grossit, plus on va assister à un éclatement des prix. Dans certains cas, internet peut paradoxalement pousser les prix à la hausse : quand les coûts de recherche des consommateurs augmentent pour avoir la meilleure qualité et qu’ils vont ensuite sur internet, ils cessent alors de prospecter et peuvent donc conduire les offreurs à renchérir les prix », explique Anne Perrot. D’autres travaux s’interrogent sur les comportements d’offre des producteurs : le commerce électronique exerce-t-il une pression concurrentielle sur le commerce traditionnel ? « Cela dépend de la proportion de ceux qui vont sur internet et de ceux qui sont encore captifs. Si la fraction d’internautes est faible, le prix off line s’affranchit du commerce électronique. Quand la proportion des internautes s’accroît dans la population, l’effet sur les prix off line commence à se manifester pour retenir cette population : le commerce traditionnel rejoint le commerce électronique. Du fait des phénomènes de canibalisation chez les pure players, les prix sont moins élevés que chez les players mixtes, car on ne peut pas se faire concurrence à soi-même. Les acteurs purement électroniques ont tendance à pratiquer des prix plus bas », résume Anne Perrot. Reste une question sans réponse : commerce classique et commerce électronique forment-ils un marché intégré ?

Jean Watin-Augouard

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