Bulletins de l'Ilec

Le nouveau mal français - Numéro 359

01/01/2005

Entretien avec Jean-Marie Le Guen, député de Paris

Depuis quand l’obésité est-elle un enjeu de santé publique ? Jean-Marie Le Guen : Elle l’est depuis au moins deux décennies aux états-Unis et depuis moins longtemps en France, mais c’est un enjeu dont les effets sont en train de monter en puissance. La France est heureusement en retard par rapport à l’antimodèle américain, où trente pour cent de la population est obèse. Cela ne doit pas pour autant nous rassurer, car nous allons rattraper les états-Unis, si rien n’est fait pour contrarier la tendance. Ce risque met-il en question le fonctionnement de nos sociétés ? J.-M. Le Guen : Oui, car sans même aller jusqu’à dire que les taux atteindront leur limite, la croissance du nombre d’obèses dans les pays développés pose un problème d’épidémie mondiale, avec des impacts sociaux et économiques majeurs. Ainsi, pour les seuls états-Unis, le coût de l’obésité atteint 117 milliards de dollars, soit 70 % du budget de l’assurance maladie en France. Ce fléau représente 27 % de la croissance des dépenses de santé et, dans dix ans, le quart d’une génération d’adolescents français sera obèse. Enfin, dans une vingtaine d’années, et pour la première fois depuis six cents ans, l’espérance de vie baissera. Autant de chiffres qui attestent un bouleversement du fonctionnement de nos sociétés. Quel est le rôle respectif de l’alimentaire et de nos modes de vie dans l’obésité ? J.-M. Le Guen : Nul doute que l’augmentation de la densité calorique, depuis une trentaine d’années, associée à une baisse de l’activité physique de la population urbaine, participe de l’augmentation de l’obésité. La suralimentation et la surdensité calorique sont les variables d’ajustement les plus faciles à corriger. Peut-on parler de mauvais produits ou de mauvais comportements ? J.-M. Le Guen : Il faut dénoncer les mauvais comportements plus que les mauvais produits. Reste que les produits deviennent mauvais quand ils ont un effet néfaste sur l’environnement social, qu’ils exercent une pression commerciale et publicitaire à l’origine de comportements inadaptés à une éventuelle haute densité calorique. Peut-on légiférer sans désigner des boucs émissaires et sans remettre en question l’économie de marché et la liberté d’entreprendre ? J.-M. Le Guen : On peut indiquer des responsabilités sans désigner des boucs émissaires, et surtout concourir à mettre chacun face à ses responsabilités. Quant à l’économie de marché, c’est à elle de s’adapter pour être compatible avec la santé publique. Faut-il contrôler la publicité et interdire les publicités avec les enfants et pour les enfants ? J.-M. Le Guen : J’ai fait une proposition pour donner aux conseils nutritionnels autant de force et d’espace d’exposition que possible, car on ne peut pas s’en tenir au seul code de bonne conduite du BVP, qui se limite à proscrire des comportements déviants. La question est de valoriser les comportements et les apprentissages positifs, pas uniquement au sein de la famille et à l’école, mais également à la télévision, qui doit jouer un rôle éducatif majeur. L’Afssa veut supprimer la collation des écoliers. Quelle est votre analyse ? J.-M. Le Guen : La question de la nutrition infantile à l’école est centrale, car elle intervient à un moment essentiel de la vie de l’individu, celle de l’apprentissage et de la constitution de son patrimoine sanitaire. La restauration collective se doit donc d’être exemplaire. Doit-on, pour lutter contre un déficit alimentaire de certains enfants, contraindre les autres à se surnourrir ? Le problème de la collation est, pour moi, réglé. En revanche, la distribution de fruits serait la bienvenue. Le Programme national nutrition-santé (PNNS) lancé en 2001 ne semble pas avoir atteint ses objectifs… J.-M. Le Guen : Le PNSS repose sur une excellente philosophie de la nutrition et de la santé en promouvant la valorisation et le bon usage, à l’opposé de certaines approches anglo-saxonnes fondées sur l’interdit et la culpabilisation. Reste que ce programme est aujourd’hui dépassé par l’ampleur de l’épidémie. Qu’est-ce qui relève de la responsabilité des entreprises agroalimentaires et des pouvoirs publics ? J.-M. Le Guen : La santé publique est une prérogative régalienne et personne ne peut le contester. Il demeure que, sur la base du partenariat entre les industriels et les pouvoirs publics, des marges de progression considérables existent pour améliorer la qualité de l’alimentation, celle des produits et leur apprentissage. Il faut surtout éviter l’affrontement et miser sur la clarification des rôles et le volontarisme. Soulignons que certaines entreprises ont déjà engagé des programmes à la hauteur des enjeux. Doit-on craindre, comme aux états-Unis, des actions en justice intentées contre les groupes agroalimentaires ? J.-M. Le Guen : En l’absence de régulation publique, garantie pour tous les acteurs, des actions en justice deviendront inéluctables, avec le risque d’une situation chaotique. Doit-on créer une fondation d’intérêt public pour la prévention de l’obésité ? J.-M. Le Guen : Il y a là une ambiguïté, car il revient aux pouvoirs publics et non aux industriels de mener une action de santé publique qui ne relève pas de la seule économie de marché. On ne peut pas se contenter de la théorie de la responsabilisation individuelle et de la simple information sur le bon usage, au regard des situations de précarité, très souvent à l’origine de l’obésité. Les industriels peuvent bien évidemment être consultés, associés à la réflexion, d’autant que l’industrie agroalimentaire française est un atout pour la France en termes de diversité, de qualité et d’innovation. Comment a évolué la réflexion parlementaire sur la question de l’obésité (rapport du sénateur Saunier et sa loi relative à la prévention et à la lutte contre l’obésité) ? J.-M. Le Guen : Un groupe d’étude s’est constitué, fort d’une cinquantaine de parlementaires. Pour l’heure, nous appliquons la loi de santé publique et les quelques mesures insuffisantes contre l’obésité qui y ont été adoptées, telles que l’interdiction des distributeurs automatiques dans les établissements scolaires, à compter du 1er septembre 2005, les informations sanitaires dans les messages publicitaires des boissons sucrées ou la taxe de 1,5 % sur les investissements publicitaires. De nouvelles initiatives devront être prises, car l’heure est à l’urgence. * Auteur du livre l’Obésité, le nouveau mal français, à paraître en mars prochain chez Armand Colin.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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