Bulletins de l'Ilec

Vers une fondation d’utilité publique - Numéro 359

01/01/2005

Entretien avec Jean-René Buisson, président de l’Ania

L’obésité est-elle un fléau récent ? Pour quelles raisons ? Jean-René Buisson : Les questions de santé font l’objet d’un intérêt grandissant et sont l’une des préoccupations principales des consommateurs. Dans notre société où les carences alimentaires ont quasiment disparu, les individus ont tendance à prendre du poids. Ce phénomène est accentué par le vieillissement, qui entraîne des phénomènes de surpoids plus importants. Enfin, l’obésité connaît une croissance importante chez les enfants. Les Français ont conscience de ces problèmes, qui sont relayés par les médias. On sait que les causes de l’obésité sont multiples, ce qui rend le problème complexe. L’origine génétique de cette pathologie est certaine mais extrêmement compliquée : il s’agit d’une hérédité polygénique qui pourrait impliquer deux cents gènes. Mais il s’agit avant tout d’un problème de société lié à la sédentarité et à l’évolution des comportements. Nous sommes devenus des hypersédentaires et consacrons plus de temps à la télévision et au jeu vidéo qu’à l’activité physique. D’ici dix ans, 20 % ans d’une classe d’âges d’enfants sera obèse en France. Cette pathologie fait reculer l’espérance de vie. Alors oui, l’obésité est un fléau. La culture alimentaire française nous garde-t-elle encore du modèle anglo-saxon fondé sur le grignotage, la restauration rapide ? J.-R. B. : Il est vrai que le Français grossit, mais trois fois moins vite que le reste des Européens. Sans doute parce qu’il existe cette fameuse culture alimentaire française : deux enquêtes récentes (Baromètres nutrition santé INPES, Etude TNS Media Intelligence) montrent que nous sommes loin du modèle anglo-saxon, orienté vers le grignotage et la restauration rapide. Manger chez soi et en famille reste la règle, et la déstructuration des repas est encore relativement marginale. Notre alimentation reste centrée sur le plaisir, la convivialité et la culture, qui s’oppose à la conception fonctionnelle des Anglo-Saxons. Nous vendons des recettes et du goût, et non des « cocktails de nutriments ». Les industries agroalimentaires ont la responsabilité de perpétuer ce modèle d’alimentation à la française. Quelles sont les actions de partenariat que l’Ania préconise, et avec quels acteurs ? J.-R. B. : Nous considérons que l’obésité est un problème global de santé publique, dont on sait que les causes sont multiples. La solution doit donc être envisagée de façon globale. Notre position est claire : nous souhaitons être associés à la lutte contre l’obésité en tant que partenaires des pouvoirs publics, et non comme un simple tiroir-caisse ! Les actions que l’Ania mène témoignent de notre volonté d’être considérés comme un partenaire responsable, anticipateur et pas uniquement défensif. A titre d’exemple, nous avons mis sur pied, en partenariat avec le ministre délégué à l’Intégration, à l’Egalité des chances et à la Lutte contre l’exclusion, des sessions de formation à destination des bénévoles d’associations d’insertion, dont l’objectif est de sensibiliser les personnes en situation de précarité aux bonnes pratiques nutritionnelles. Le bilan de cette opération pour 2003-2004 est très positif. Nous renouvelons l’expérience en 2005-2006. Lors d’une rencontre récente avec la ministre, Nelly Olin, celle-ci nous a fait part de sa satisfaction concernant notre partenariat et a insisté sur l’implication de l’industrie alimentaire, qu’elle perçoit comme « remarquable dans son contenu et dans sa démarche ». Nous y attachons d’autant plus d’importance que cela a été l’occasion de démontrer aux pouvoirs publics notre capacité et notre volonté de mener des actions de partenariat, et de leur éviter la tentation de mettre en œuvre des politiques de taxation. Parallèlement, nous multiplions, autant que faire se peut, les contacts avec le ministère de la Santé, avec lequel nous souhaitons avoir des relations plus constructives. Quel peut être le rôle des industries alimentaires dans les programmes de prévention et de recherche ? Les industriels ont-ils une légitimité pour parler de nutrition ? J.-R. B. : L’industrie agroalimentaire n’a pas pour vocation de nuire à la santé des consommateurs. Elle a au contraire permis de rendre accessible à une grande partie de la population une alimentation saine et variée. Il est toutefois nécessaire de gérer les conséquences de l’abondance alimentaire, qui coïncide avec une baisse des dépenses énergétiques de consommateurs. Les industries agroalimentaires ont tout intérêt à enrayer le phénomène de l’obésité, afin d’éviter le recours à des mesures coercitives qui risquent de mettre en péril des pans entiers de son activité et de ruiner notre modèle de société, fondé sur la responsabilité et le libre choix. De plus, elles peuvent apporter davantage qu’un simple soutien financier, car ses experts entretiennent un contact quotidien avec les consommateurs et peuvent contribuer à la recherche de solutions. Depuis dix ans, l’industrie alimentaire fait des efforts constants pour améliorer la qualité de ses produits au regard des recommandations nutritionnelles. La spécificité française a permis une recherche et une innovation sur des produits comportant des matières premières de plus en plus élaborées, saines et moins grasses. Ainsi, nous avons élaboré des crèmes desserts avec 20 % de sucre en moins, des recettes allégées en gras, des barres céréalières qui sont passées de 12 à 10 grammes de matière grasse l’été dernier, un biscuit sec avec tous les critères nutritionnels de la gamme (haute teneur en céréales, des fibres, pas de gras saturés, des acides gras essentiels, des vitamines), des portions raisonnables pour éviter la surconsommation (en France les portions sont deux fois plus petites qu’aux états-Unis)… Il me semble que nous avons acquis une certaine légitimité pour participer au débat, et être considérés comme des partenaires à part entière, agissant aux côtés des pouvoirs publics. Les bonnes pratiques en matière de communication nutritionnelle doivent-elles être volontaires ou réglementées, individuelles ou collectives ? J.-R. B. : Nous sommes conscients de notre responsabilité, notamment en ce qui concerne la communication à l’égard des enfants. Cependant, nous privilégions l’information, la responsabilisation des consommateurs et des industriels, plutôt que l’interdiction de la publicité. Nous sommes en train de mettre en place une commission de déontologie autour de la communication nutritionnelle, afin de renforcer l’autodiscipline des professionnels du secteur. Les avis de cette commission, qui agira sur saisine ou autosaisine, s’appuieront sur les recommandations existantes : le code de bonnes pratiques mis en place par la profession, les recommandations du BVP sur la publicité alimentaire, la charte de l’IFN sur les documents pédagogiques…Cette commission aura la possibilité, le cas échéant, de demander le retrait ou la modification d’une communication jugée contraire à l’éthique. Après le « politiquement correct », sommes-nous menacés par Après le « politiquement correct », sommes-nous menacés par un « nutritionnellement correct », qui risquerait de dénaturer le goût des produits et de faire fuir les consommateurs ? J.-R. B. : Le plaisir constitue la dimension principale de l’alimentation et le moteur essentiel de l’achat d’un produit. Le consommateur recherche ensuite la sécurité. Cette dimension a pris une importance particulière avec l’apparition des crises alimentaires, au milieu des années 1990. Aujourd’hui, elle a perdu de son acuité, sur le terrain et dans les médias, mais elle reste présente dans l’esprit des consommateurs. Il y a un effet cliquet qui empêche de revenir sur les acquis, en matière de sécurité alimentaire. Le consommateur ne le comprendrait pas. Les normes et recommandations évoluent, et nous devons constamment nous y adapter. C’est l’innovation, la diversification et le goût qui permettent la distinction entre les marques. Nos industries se concentrent aujourd’hui sur ces aspects. Quelle est la position de l’Ania sur la loi de santé publique ? J.-R. B. : La loi de santé publique, qui contraint les annonceurs à apposer des mentions à caractère sanitaire sur leurs publicités, ou à payer une taxe, ne va pas résoudre le problème de l’obésité. La somme collectée risque d’être en partie affectée à d’autres actions (financement de la communication sur les vaccinations ou lutte contre le cancer du colon…). Cette dilution des moyens nous inquiète. Nous avions proposé la création d’une fondation d’utilité publique pour lutter contre l’obésité, par la promotion des bons comportements alimentaires, financée par toutes les entreprises du secteur et administrée par les pouvoirs publics. Elle pourrait mener des actions pédagogiques d’éducation nutritionnelle, destinées notamment aux enfants, participer à des initiatives locales (type Epode, Fleurbaix-Laventie), financer des recherches sur les comportements alimentaires. Cette proposition a été balayée d’un revers de main par les initiateurs du projet de loi de santé publique. C’est regrettable. Néanmoins, nous n’avons pas abandonné notre idée de fondation, et l’Ania réfléchit actuellement à son éventuelle mise en œuvre. Quelles actions mène l’Ania en direction du grand public ? J.-R. B. : Nous sommes persuadés que l’information et la sensibilisation des professionnels de l’industrie et du grand public est plus efficace que l’interdiction pure et simple de certains produits ou de leur publicité. Le consommateur doit être éduqué et informé, pour qu’il puisse choisir en pleine connaissance de cause. Si l’éducation relève de la responsabilité des pouvoirs publics, l’information incombe au premier chef aux industries agroalimentaires, qui doivent encore réaliser des efforts pour la rendre plus compréhensible. Sans prétendre être exhaustif, nous avons édité un guide d’information (Comprendre l’information nutritionnelle sur l’étiquette) à destination du public. Il vise à clarifier les informations nutritionnelles apportées sur l’emballage. Il est diffusé par Auchan depuis le début de janvier. Il explique, de façon simple, les termes utilisés dans l’étiquetage nutritionnel et donne quelques points de repère, pour évaluer l’apport d’un aliment comparé à un autre.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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