Bulletins de l'Ilec

Cap sur le commerce durable - Numéro 362

01/04/2005

Entretien avec Jacques Perrilliat, président de l’Union du grand commerce de centre-ville (UCV)

Le gouvernement a lancé une campagne de communication pour valoriser le commerce. De quel commerce parle-t-on ? Jacques Perrilliat : Le commerce est très divers et c’est ce qui rend difficile une appréhension unitaire de ses problèmes. Pour ne prendre qu’un exemple, il existe à peu près trente conventions collectives dans le commerce de détail. Pendant la période où Jacques Dermagne présidait le Conseil du commerce son charisme et son talent personnel parvenaient à fédérer l’ensemble. Mais aujourd’hui l’unité du commerce n’existe plus guère ou seulement de façon fugace. C’est un constat regrettable mais objectif. Comment définir l’urbanisme commercial, sa légitimité, ses objectifs, son rôle, quand le facteur déterminant du choix que fait un commerçant n’est pas l’utilité sociale mais la rentabilité ? J. P. : En novembre 2004, la FCD et l’UCV avaient ensemble, pour une fois, indiqué à la commission Chatel leur souhait que l’urbanisme vrai se substitue à l’équipement commercial tel qu’il est conçu en France. Depuis longtemps je plaide auprès des élus pour que cette réflexion soit menée. Concrètement, cela revient à demander aux élus municipaux de mettre en place des schémas d’urbanisme commerciaux ; cela signifie appliquer réellement la loi Gayssot-Besson, ou loi SRU, selon laquelle une grande surface ne peut être autorisée que si elle est desservie par des transports en commun. Nous sommes face à une distribution de tickets de rationnement, qui a été rationalisée sur le plan économique et juridique. Il serait plus positif d’avoir une liberté d’établissement dans le cadre préétabli de l’urbanisme. Mais cela signifierait de fortes contraintes. D’abord, toute installation non autorisée donne lieu à sanctions allant jusqu’à la démolition. Les règles architecturales seraient certainement plus sévères et les architectes des Bâtiments de France auraient peut-être à connaître des entrées de ville. Bref, les contraintes qui s’imposent au centre-ville et qui ont des coûts s’appliqueraient à tous. J’observe d’ailleurs que la plupart des pays européens vont dans ce sens. Doit-on intégrer le droit de l’équipement commercial dans celui de l’urbanisme de droit commun ? J. P. : Cette intégration éviterait l’extension des villes à l’infini. Actuellement nous dévorons notre espace. Un livre blanc des Safer (sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) vient, très justement, de tirer la sonnette d’alarme. Une ville diffuse n’est pas compatible avec une vraie politique de transports en commun, ce qui n’est plus acceptable aujourd’hui. L’implantation de la grande distribution en périphérie et du petit commerce en centre-ville n’est-elle pas obsolète ? J. P. : Si l’on prend en compte tous les modules développés par la grande distribution alors, de fait, cette distinction n’a plus de sens. Il reste que l’installation du concept hypermarché en ville se heurte à une contrainte foncière. Aussi bien voit-on davantage se développer des petites surfaces aux enseignes Atac, Casino, Shopi, Huit à Huit ou Franprix. La densité de ces surfaces représentant la grande distribution est, de ce fait, très importante. Elle témoigne que l’idée que l’hypermarché serait le modèle unique et définitif est sans doute erronée. Que recouvrer la notion de centre-ville, au regard de l’étalement urbain ? J. P. : Il est plus aisé de parler de « ville dense » que de « centre-ville ». Qu’est-ce que le « centre-ville » à Paris ? La densité est une notion plus facile à mesurer. Elle permet de mieux cerner le vrai centre, regroupant logements, emplois et commerces. La ville européenne, fondée sur la mixité, est à l’opposé de celle de Le Corbusier, fondée sur l’idée hygiéniste de spécialisation et de séparation. L’UCV défend l’idée de mixité de l’habitat et promeut le retour des universités en centre-ville. Comment revitaliser le centre-ville ? J. P. : De nombreux surcoûts existent en centre-ville, auxquels les commerçants se sont adaptés. Encore ne faudrait-il pas les augmenter. Ainsi, en matière de fiscalité, il a été envisagé d’asseoir la taxe professionnelle, en voie de réforme, sur la valeur de l’immobilier. Il est bien clair que cette réforme aboutirait à pénaliser les activités de centre-ville et à envoyer les magasins le plus loin possible en périphérie. Ce serait une mesure nocive, car elle viderait nos villes. Nous pensons aussi qu’il est nécessaire de développer l’intercommunalité, pour donner une vision territoriale plus large et plus rationnelle des villes. Pour ne prendre que l’exemple fiscal, c’est le seul moyen d’éviter la concurrence entre des communes se battant pour avoir des ressources. Doit-on, à l’instar du système britannique, rendre obligatoire la justification de l’implantation en périphérie ? J. P. : Les Parisiens accepteraient-ils de payer un péage pour entrer dans la capitale ? Le système britannique est très éloigné du nôtre. Le pouvoir municipal anglais n’a aucune commune mesure avec le nôtre. Comparer les systèmes est illusoire. Chacun a sa propre logique. Dans ses principes généraux, la loi Royer évoquait « l’amélioration de la qualité de la vie et l’animation de la vie sociale », et « la prohibition du gaspillage des équipements commerciaux ». La loi Raffarin a ajouté « le confort d’achat des consommateurs ». Ont-elles été suivies d’effet ? J. P. : En premier lieu, ces lois n’ont pas empêché le développement des grandes surfaces puisque, depuis dix ans, vingt millions de mètres carrés ont été autorisés. Pour la seule année 2004, l’autorisation porte sur plus de trois millions de mètres carrés. Sur le plan de la qualité de la vie, les commissions d’urbanisme commercial, qu’elles soient départementales ou nationale, ne se prononcent pas sur la qualité architecturale. Nous recevons des dossiers avec des illustrations présentant un espace idyllique, ensoleillé et verdoyant, où se promènent des personnes dynamiques, autour d’un hangar peint en vert ou en rose. Ces dossiers sont bien les seuls à oser encore montrer des images aussi ringardes ; il y a cinquante ans que la publicité a tourné le dos à ces niaiseries. En matière de pollution, le récent colloque que nous avons organisé sur le thème « commerce et ville durable » a montré que le bilan carbone (déplacement en voiture, inertie thermique des bâtiments anciens…) est meilleur dans le cœur des villes qu’en périphérie. Il serait temps d’en tirer les conséquences. La création de commissions régionales d’équipement commercial serait-elle pertinente ? J. P. : Pourquoi pas. Les architectes des Bâtiments de France devraient-ils être compétents concernant l’aménagement des entrées de ville ? J. P. : Oui, car il existe des distorsions de concurrence très importantes entre la ville, où les règles d’aménagement sont strictes, et la périphérie, où le laisser-aller est la règle.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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