Bulletins de l'Ilec

Questions d’application - Numéro 366

01/10/2005

Entretien avec Jean-Christophe Grall, cabinet Meffre & Grall Avocats

Quels sont les objectifs de la loi du 2 août 2005 réformant la loi Galland ? Jean-Christophe Grall : Cette loi est un texte de compromis qui, par définition, ne peut pas être parfait. Son principal objectif est de redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs, en permettant un abaissement rapide, mais progressif, du seuil de revente à perte, dès le premier trimestre 2006, des produits de grande consommation, en tentant une nouvelle fois de moraliser les relations industrie-commerce. Cette loi permettra aux distributeurs d’intégrer dans le calcul du seuil de revente à perte une partie de la marge arrière consentie par l’industriel. La loi s’inscrit dans une logique de progressivité, puisque le distributeur ne pourra, dans un premier temps, réintégrer dans le calcul du SRP que la marge arrière qui dépassera 20 % en 2006 et 15 % en 2007 (en 2006, il est prévu un « amortisseur » : un maximum, fixé à 40 % de la masse totale des avantages financiers versés par l’industriel au distributeur, sera intégrable dans le calcul du SRP, cela afin d’éviter une déstabilisation du petit commerce). Texte de compromis, il l’est également parce qu’il combine les intérêts divergents des distributeurs : ceux des indépendants, favorables à une réforme en profondeur de la loi Galland ; ceux des groupes intégrés, plus rétifs à la réforme. Divergence également chez les industriels, qui ne souhaitaient pas tous une réforme en profondeur : d’un côté, l’hostilité des PME (comme de la FNSEA), qui souhaitaient pourtant que la dérive des marges arrière soit arrêtée ; de l’autre, aspiration à la réforme des grands fabricants de PGC, dont certains étaient clairement favorables à l’instauration immédiate d’un « trois fois net ». Quelles sont les principales avancées de cette loi ? J.-C. Grall : Il s’agit, en premier lieu, de la définition claire des conditions de vente de l’industriel, qui se déclinent en trois types : les conditions générales de vente, les conditions catégorielles de vente correspondant à une segmentation par circuits de distribution, et les conditions particulières de vente (conditions catégorielles et conditions particulières avaient déjà été envisagées par la circulaire Dutreil du 16 mai 2003). Ensemble, elles devraient permettre de mieux négocier « à l’avant ». En deuxième lieu, la loi instaure une définition stricte de la coopération commerciale, alors que, depuis l’ordonnance du 1er décembre 1986, on en parlait sans que le législateur l’ait définie. Seule la circulaire Dutreil en avait donné une définition, qui d’ailleurs a été à peu de choses près reprise par la loi. En outre, le renversement de la charge de la preuve contraint dorénavant le distributeur – prestataire de services – à démontrer que le service a bien été rendu. Troisième avancée : la nouvelle définition du seuil de revente à perte, dont l’objectif est de donner au distributeur la possibilité de rapprocher le prix de revente des produits de celui résultant de la négociation économique entre lui et son fournisseur, tout en diminuant la dérive des marges arrière. L’objectif final est en effet de tendre vers un « trois fois net ». Le prix de revente des produits aux consommateurs pourrait, dans les années à venir, se rapprocher de plus en plus du prix négocié économiquement, en tenant compte bien entendu de la rentabilité du distributeur, qui ne peut renoncer à toute profitabilité. Il ne lui est pas possible, pour tous les produits, de « remonter » dans le prix de vente consommateur la totalité des marges arrière, au risque de rencontrer de sérieuses difficultés économiques, comme cela s’est passé aux Pays-Bas. On peut cependant s’interroger sur la réalité d’une telle avancée. Les zones d’incertitude, pour ne pas dire d’ombre, sont nombreuses et susceptibles de paralyser purement et simplement l’application des dispositions en matière de revente à perte, par l’incapacité où seraient les distributeurs de déterminer pratiquement leur SRP ! Soulignons également, au titre des progrès, que certaines dispositions de la loi devraient en permettre une plus grande effectivité, puisque l’administration pourra contrôler et sanctionner elle-même, dans le cadre de la « transaction administrative », les opérateurs économiques en infraction. Relevons de manière générale que la loi Galland avait permis un certain confort, car l’industriel savait que le seuil de revente à perte serait constitué par le prix net facturé au distributeur. De son côté, le distributeur bénéficiait d’une marge garantie, qu’il ne pouvait pas imputer sur le SRP. Demain, nous risquons de revenir à avant la loi Galland, avec le danger d’une telle situation, car le distributeur va retrouver une grande marge de manœuvre dans la détermination de son seuil de revente à perte, mais duquel ? Le connaîtra-t-il réellement le jour de la revente du produit, ou le 31 janvier de l’année suivante, lorsqu’il communiquera à ses fournisseurs la somme des avantages financiers perçus au cours de l’exercice précédent ? C’est bien là la question, qui n’est pas de pur principe ! En tout état de cause, c’est le distributeur qui aura la responsabilité de savoir quel est le SRP des produits vendus tout au long de l’année. On a reproché à l’administration d’avoir eu, dans le passé, des moyens et de ne pas les appliquer (ordonnance du 1er décembre 1986, loi Sapin du 29 janvier 1993, loi Galland du 1er juillet 1996, loi NRE du 15 mai 2001). Très peu de dossiers ont fait l’objet de poursuites. Moins encore ont abouti à des sanctions. Aujourd’hui, l’administration retrouve les pouvoirs de transaction qu’elle avait perdus en 1986, avec l’ordonnance Balladur. Ne doutons pas qu’elle utilisera les nouveaux pouvoirs qui lui sont donnés – ils seront précisés par un décret – pour faire appliquer plus rapidement et plus efficacement le droit des relations industrie-commerce. Renaud Dutreil s’est engagé à publier une circulaire destinée à éclairer les professionnels sur les « points qui posent problème dans l’application de la loi ». Cette circulaire s’inscrit dans une phase « pédagogique ». Quelles sont les zones d’ombre ? Michel-Edouard Leclerc souligne l’insécurité juridique du texte… J.-C. Grall : Les zones d’ombre portent, en premier lieu, sur la définition des critères de détermination des conditions catégorielles de vente. Quels seront-ils ? Les conditions catégorielles ne constituent nullement une nouveauté. Elles existent depuis longtemps, comme l’ont rappelé l’avis Brother du Conseil de la concurrence ainsi qu’une décision récente concernant la société Royal Canin. Si elles sont pratiquées par beaucoup d’entreprises, en toute légitimité concurrentielle, on peut néanmoins s’interroger sur l’objectivité de certains critères, qui peuvent ou pourront être retenus pour segmenter les réseaux de distribution. Autre zone d’ombre, les conditions particulières de vente, qui peuvent rapidement devenir une source d’opacité tarifaire et de discrimination abusive, avec un risque de généralisation. Or la discrimination est sanctionnée. N’est-ce pas, dès lors, un leurre donné par le législateur aux industriels ? Déjà, les « CPV » envisagées par la circulaire Dutreil n’avaient pas connu un franc succès ! De plus, et c’est là un effet pervers du renversement de la charge de la preuve, certains distributeurs ne voudront pas prendre le risque de ne pas pouvoir démontrer à l’administration la réalité des services de coopération commerciale. Et certains services (comme le référencement, la logistique, les services financiers, etc.), qui ne relevaient pas de la coopération commerciale, pourront demain figurer dans les conditions particulières de vente. L’industriel ne verra-t-il pas alors revenir à lui la charge de la preuve, compte tenu que la condition particulière s’exprimera par une réduction de prix ? L’incertitude entoure aussi les « services distincts », dont on ne sait pas exactement, aujourd’hui, ce qu’ils recouvrent, même si le texte nous dit que sont principalement visées les supercentrales internationales d’achat et que devraient y trouver place les nouveaux instruments promotionnels. Autre zone d’ombre : les dispositions concernant le seuil de revente à perte, dont le non-respect est sanctionné pénalement (amende jusqu’à 75 000 euros pour les personnes physiques et le quintuple pour les personnes morales). Comment définir précisément ce seuil ? Le juge pénal devra appliquer la loi sans disposer réellement des clés d’entrée. La loi permettra aux distributeurs d’intégrer dans le seuil les avantages financiers autres que ceux qui constituent la marge avant, mais quels sont ces avantages financiers ? Les ristournes conditionnelles non acquises à la date de la facture, et qui n’y sont donc pas portées, font partie de la marge arrière ; doivent-elles être considérées comme des avantages financiers susceptibles d’être intégrés dans le calcul du seuil de revente à perte par le distributeur ? Si la réponse est oui, on reviendra à l’avant-loi Galland, avec les travers que l’on a connus. La circulaire d’application est donc attendue, et il revient aux services de la DGCCRF de nous donner la recette de la détermination du seuil de revente à perte, notamment ce que l’administration entend par « avantages financiers » susceptibles d’être réinjectés dans le prix de revente. Même interrogation au sujet de la rémunération des services distincts : doit-on considérer que cette forme de rémunération versée au groupement de distribution, mais pas forcément à l’acheteur des produits, peut être « remise » dans les prix pratiqués par la surface de vente ? Le juge pénal sera-t-il capable d’appliquer ce texte ? Dernière zone d’ombre : le formalisme des contrats de coopération commerciale, avec l’identification de la rémunération du service exprimée en pourcentage du prix unitaire net du produit auquel ce service se rapporte. Cela paraît impossible à faire, compte tenu de la détermination annuelle, pour un ensemble de services, des budgets de coopération commerciale… Soulignons que la circulaire attendue ne doit pas être confondue avec deux décrets, qui concerneront, l’un la transaction administrative visée par la loi Dutreil, l’autre les conditions catégorielles de vente. Au-delà du 1er janvier 2006, la tolérance des organes de contrôle qui prévaut aujourd’hui sur la question de la revente à perte n’aura plus lieu d’être. Quelles innovations destinées à rendre son application efficace la loi comporte-t-elle ? J.-C. Grall : Dans le passé, on a pu considérer qu’il y avait une certaine tolérance de l’administration, permettant à des distributeurs de revendre sous le SRP (de l’ordre de 2 à 5 % ). Il est certain que la question qui va se poser est double. Le texte de l’article 47, avec toutes ses zones d’ombre, permettra-t-il un réel contrôle par l’administration du seuil de revente à perte ? Ce n’est pas évident, et la principale difficulté que rencontrera l’administration sera de savoir si, à une date précise, le distributeur a revendu le produit à perte ou pas. Il lui faudra alors connaître l’ensemble des avantages dont le distributeur pouvait disposer pour qu’il puisse, à cette date, réintégrer dans son seuil de revente à perte un certain pourcentage de marge arrière. On risque de revenir aux difficultés d’application d’avant la loi Galland, quand il fallait savoir si les réductions de prix étaient de montant chiffrable et de principe acquis. Si l’on s’en tient au texte actuel, le seuil de revente à perte ne sera connu qu’au 31 janvier de l’année n + 1, date à laquelle les distributeurs devront faire connaître aux industriels le montant total des rémunérations perçues au cours de l’année précédente et se rapportant à chacun des produits. Le contrôle de la revente à perte s’effectuerait alors a posteriori, ainsi que la répression du délit, s’il existe. La loi comporte des innovations destinées à rendre son application plus efficace, plus rapide, la volonté du gouvernement étant de permettre une accélération des procédures grâce à plusieurs solutions procédurales. La transaction administrative, prévue par l’article 44, permettra de mettre fin au litige moyennant le versement d’une somme d’argent. La composition pénale, prévue par l’article 46, permettra au procureur de la République de proposer une transaction pénale à l’opérateur économique, qui, s’il l’accepte, ne sera pas cité à comparaître devant le tribunal correctionnel. Enfin, le juge pourra prononcer une ordonnance pénale de condamnation grâce à une procédure simplifiée, ce qui permettra d’accélérer la procédure, puisqu’il n’y aura pas d’audience au cours de laquelle le prévenu sera invité à présenter ses observations. Le renforcement de ce dispositif pénal vous paraît-il suffisant ? J.-C. Grall : L’avancée de la loi est très significative en ce domaine, même si l’absence de publicité des sanctions a été plusieurs fois évoquée. Globalement, le Code de commerce a-t-il gagné en clarté au bénéfice des opérateurs et des consommateurs, ou s’est-il à l’inverse alourdi de nouveaux sujets de chicane ? J.-C. Grall : Si ce texte présente certaines avancées en matière de conditions de vente, de coopération commerciale et de dispositifs procéduraux, il est vrai que, sur ce qui constitue le cœur de la réforme, à savoir la détermination du seuil de revente à perte et les avantages financiers susceptibles de lui être imputés, le texte actuel manque cruellement de clarté. Il est donc source d’insécurité juridique pour les opérateurs économiques.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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