Bulletins de l'Ilec

A la distribution de reconsidérer sa stratégie de marge - Numéro 366

01/10/2005

Entretien avec Louis-Claude Salomon, président de l’Ilec

Quels étaient, pour l’Ilec, les enjeux de la réforme ? Louis-Claude Salomon : L’Ilec souhaitait le rétablissement de la concurrence entre les enseignes, en les rendant maîtresses de leurs marges et de leur prix, avec pour conséquence une baisse des prix de revente aux consommateurs, pour les grandes marques, et une baisse de la coopération commerciale, les marges arrière. Nous reprochions depuis longtemps à la loi Galland sa rigidité, et un système de seuil de revente à perte qui a été à l’origine d’une dérive de la coopération commerciale, laquelle a rétribué des services à des taux exorbitants. L’étude menée par l’Ilec sur la question a montré que le montant de cette rétribution dérapait de 2 % du prix de facture par an, et a fini par atteindre une moyenne arithmétique de 33,5 %  ! Conséquence de ce système pervers : la masse financière des marges arrière n’allait pas dans les prix, qui étaient à peu près alignés sur le SRP pour toutes les grandes marques chez tous les distributeurs. Sous ce régime, la profitabilité de la distribution a considérablement augmenté au cours des dernières années. Pour autant, l’Ilec souhaite que la distribution soit forte et rentable. La coopération commerciale n’est pas critiquable en soi, si la concurrence s’exerce sur les prix consommateur. Elle l’est quand le prix des grandes marques est trop élevé par rapport à celui des marques de distributeurs et des premiers prix. Seule la concurrence peut mettre un terme à cette dérive. Quelles sont les dispositions de la loi du 2 août qui répondent à vos souhaits, et celles qui posent problème ? L.-C. Salomon : Le nouveau texte favorise la négociation à l’avant, encadre bien la coopération commerciale, prévoit des services distincts ainsi qu’une baisse progressive et significative du seuil de revente à perte. Sur le plan des sanctions, si nous ne souhaitions pas le maintien de la voie pénale, la transaction administrative nous semble une bonne approche. La contrainte de gamme est prohibée quand elle est abusive, de même que les pratiques restrictives de concurrence. Soulignons également l’article qui fait obstacle aux déductions unilatérales sur le prix de facture. Enfin, la responsabilité de la détermination du SRP incombe désormais aux distributeurs. Pour toutes ces raisons, la loi va dans le bon sens, et plusieurs de nos recommandations ont été entendues. On peut cependant regretter que cette loi soit si précautionneuse. à vouloir concilier les demandes de toutes les parties, on obtient un texte de compromis qui ne va pas dans le sens libéral souhaité, puisque la liberté des prix n’existe toujours pas. Contrairement à ce que certains disent, le texte ne met pas fin à la dérive de la coopération commerciale, comme le montrent les premières négociations pour 2006. La coopération est coupée en deux : une partie reste dans les marges arrière et l’autre, au-delà de 20 % va dans les prix. Sur le plan de la mise en œuvre de cette loi, on attend donc avec impatience la circulaire et le décret concernant les tarifications différentes selon les catégories d’acheteurs. Les marges arrière doivent-elles disparaître totalement ? Si oui, dans quel délai ? L.-C. Salomon : Elles doivent disparaître dans un délai de deux à trois ans. Attendons 2007 et l’enquête des pouvoirs publics, pour savoir si l’on peut aller au-delà des 15 % prévus, car certains industriels craignent une baisse trop rapide des prix. Avec la loi Galland, le fournisseur avait la responsabilité de conduire la négociation commerciale. Avec la nouvelle loi, la responsabilité pèse sur le distributeur. Allons-nous vers un nouveau rapport des forces ? L.-C. Salomon : Il est peut-être encore trop tôt pour faire des pronostics. Tandis qu’il revient au distributeur de fixer le seuil de revente à perte, l’industriel n’est plus responsable ni du seuil, ni des prix, ni des marges. Observons les comportements des deux parties. Renaud Dutreil a déclaré que « si les PME ont fait depuis un an un effort précoce et net de baisse des prix sur les marques distributeurs et les premiers prix, il faut une seconde rupture par rapport à l’inflation atypique des produits de grandes marques » Il fixe à 5 % « l’objectif annuel de baisse pour les grandes marques à partir de 2006 ». Comment tenir cet objectif ? L.-C. Salomon : On peut s’étonner qu’une baisse des prix soit fixée par décret ! Dans la mesure où la concurrence semble rétablie, les prix devraient baisser, avec des différences selon les catégories, en fonction du montant de la coopération commerciale. Il appartient aux distributeurs d’agir dans ce sens. La diminution des marges arrière signifie des recettes en moins pour les distributeurs. Quelles conséquences sur les négociations commerciales ? L.-C. Salomon : Si le distributeur baisse ses prix, il va amputer sa marge, et risque de se retourner vers l’industriel pour obtenir compensation du manque à gagner. Rappelons que, avant la loi Galland, les distributeurs dégageaient des profits en gagnant peu d’argent sur les grandes marques, mais avec une péréquation de marge faite de façon différente sur les marques de distributeurs et les premiers prix. Avec la loi Galland, les grandes marques ont financé la baisse de prix de ces deux catégories de produits. Il revient aux distributeurs de changer leur stratégie commerciale, avec une péréquation de marge différente. Avez-vous des réserves sur la loi et son application ? L.-C. Salomon : La loi va dans le bon sens, mais des doutes demeurent sur son application et le comportement des acteurs. Craignez-vous une déflation, une réduction des assortiments et une paupérisation de l’offre ? L.-C. Salomon : Depuis plus d’un an, nous sommes en période de déflation. Il faut la juguler pour éviter le syndrome hollandais. Souhaitons qu’industriels et distributeurs ne réduisent pas les assortiments et qu’ils répondent d’abord aux souhaits du consommateur en les réaménageant.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.