Bulletins de l'Ilec

Prix relatifs et inégalités alimentaires - Numéro 369

01/02/2006

Entretien avec France Caillavet, directrice du laboratoire de recherche sur la consommation, Inra

Quel est l’impact des inégalités sociales sur la consommation alimentaire et comment le mesurer ? France Caillavet : Le constat de départ est le creusement des inégalités sociales de santé, au niveau des pathologies liées à l’alimentation, et notamment l’obésité. Les facteurs de risque sont davantage présents dans les populations défavorisées, les schémas de consommation alimentaire en premier lieu (mais pas seulement : tabac, loisirs passifs…). Pour mesurer l’impact des inégalités sociales, il faut distinguer les différences de besoins nutritionnels liées à l’âge, au sexe, aux dépenses énergétiques, de ce qui est inégalités, à besoins constants, selon le revenu, le niveau d’éducation ou le statut socio-économique. On sait mesurer l’impact de ces variables sur la consommation de produits alimentaires, exprimée en dépenses ou en quantités de produits. Le résultat le plus visible est une moindre consommation de fruits et légumes, notamment frais, par les ménages pauvres. Mais la difficulté provient de ce que la consommation alimentaire n’est pas un indicateur équivalant au statut nutritionnel. Les nutritionnistes nous disent qu’il faut raisonner en termes d’équilibre de l’alimentation, notion beaucoup plus difficile à traduire en mesures. Que faut-il entendre par « prix complet » et « prix moyen d’achat » ? Sur quels produits l’inégalité porte-t-elle le plus ? F. C. : Les économistes se centrent sur l’impact des contraintes qui pèsent sur les ménages. Ceux-ci sont confrontés à des ressources limitées en termes de moyens financiers et en termes de temps disponible. Pour un ménage ou un individu, le coût total d’un repas prêt à consommer inclut un coût financier (prix d’achat des produits, prix du transport pour se les procurer…) et un coût non monétaire (temps passé à s’approvisionner et à la préparation du repas…) : c’est ce que les économistes appellent « prix complet ». Les économistes travaillent à partir des données des enquêtes de consommation alimentaire de l’Insee ou de Secodip. Celles-ci enregistrent, pour un ménage, les quantités achetées et la dépense correspondante. Pour un produit ou un groupe de produits donné, le « prix moyen d’achat » est le rapport entre dépense et quantités achetées. Il reflète les différences dans la qualité du produit, les quantités achetées, le lieu d’achat (supermarché, discompteur…), bref dans les stratégies d’approvisionnement du ménage. Il apparaît que le prix moyen est inférieur, quel que soit le groupe de produits alimentaires considéré, pour les ménages pauvres par rapport au reste de la population. Par exemple, dans le groupe des viandes, l’écart de prix moyen le plus fort, d’un milieu social à l’autre, est observé pour la charcuterie ; dans le groupe des corps gras, ce sont les huiles… Ce qui montre bien que, pour faire face aux contraintes de ressources, les populations défavorisées doivent mettre en place des stratégies d’achat et de consommation particulières, avec des conséquences néfastes sur leur statut nutritionnel. Les inégalités sociales devant l’assiette sont-elles en train de s’accentuer ? Qui du revenu ou de l’éducation creuse le plus la différence ? F. C. : D’après les études spécialisées, les inégalités de santé s’accroissent, et les inégalités nutritionnelles aussi. Quant aux inégalités devant l’assiette, que recouvrent-elles ? L’offre de produits alimentaires crée un marché de plus en plus segmenté, où le constat d’ensemble de l’alimentation est d’autant plus délicat. Il faut insister sur la diversité de la situation selon le produit alimentaire, ou le groupe de produits considéré. Dès que l’on descend à un niveau d’analyse fin, les résultats sont très variables, y compris au niveau des facteurs d’impact. Par exemple, pour la consommation de fruits et de légumes, le revenu est déterminant. Pour la consommation de corps gras, le niveau d’éducation joue davantage que le revenu. La croissance de la restauration hors domicile chez tous les groupes sociaux ne permet-elle pas de réduire l’inégalité dans les assiettes au domicile ? F. C. : On ne peut pas l’affirmer dans le cas français, puisque aucune étude n’a été faite en comparant la composition des repas pris au domicile et celle des repas pris à l’extérieur. On sait que les ménages défavorisés vont moins souvent au restaurant. Des travaux sur les états-Unis indiquent que les repas pris à l’extérieur du domicile comportent davantage de matières grasses et de sucres. Est-ce la même chose en France ? La seule étude dont on dispose montre l’effet positif de la fréquentation de la cantine scolaire sur l’alimentation des enfants de ménages défavorisés. « Des bons d’achat de fruits et légumes » Peut-on cibler des politiques nutritionnelles avec des instruments économiques vers les populations défavorisées ? F. C. : Tout le problème est là. On sait qu’il y a des déterminants économiques dans les inégalités nutritionnelles. Mais quelle serait la politique de prix ou de revenu permettant de cibler efficacement les populations les plus défavorisées ? Il faut identifier des produits pour lesquels une variation du prix entraîne l’effet désiré sur la quantité consommée, en particulier pour les populations défavorisées. Diminuer le prix des produits les plus sains, comme les fruits et légumes, ferait augmenter leur consommation ; mais la modélisation nous montre que la consommation des ménages les plus riches augmenterait davantage que celle des ménages pauvres. Les inégalités s’accroîtraient donc. Augmenter le prix de produits dont on veut réduire la consommation, comme les corps gras ou les produits sucrés, revient à enchérir le budget alimentaire des plus pauvres, qui dépensent déjà une part plus importante de leurs ressources pour ces produits et pour l’alimentation en général, par rapport aux autres ménages. En outre, on ne peut contrôler complètement les effets de substitution entre produits, dès lors que les prix relatifs sont modifiés. Plus généralement, les actions sur les prix sont difficiles à cibler, sauf dans les circuits spécialisés, comme la restauration collective. Une politique de revenu permet en revanche de cibler les populations les plus pauvres. L’alimentation n’étant plus la priorité des ménages, par rapport au logement, il faut concevoir les moyens de fournir un surcroît de consommation axé sur l’alimentation, par exemple des bons d’achat de fruits et légumes. Enfin, plus généralement, il faut veiller à ce que le développement de l’offre alimentaire et la segmentation accrue du marché aillent de pair avec le maintien d’une gamme de produits premier prix dont la qualité nutritionnelle soit au moins équivalente à celle de produits de marque. Dans tous les cas, ces actions doivent être soutenues par de l’information et de l’éducation nutritionnelles, en particulier auprès des enfants, plus à même de modifier leurs habitudes alimentaires. * Participant au colloque IFN 2005

Propos recueillis par jean Watin-Augouard

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