Bulletins de l'Ilec

La possibilité d’un bond en avant - Numéro 375

01/10/2006

Entretien avec Jean-Marc Lehu, conseil en stratégie de marque

Que pensez-vous de la campagne Ilec-Prodimarques en faveur des marques ? Jean-Marc Lehu : Cette campagne « marque » sans conteste une profonde évolution de la communication collective des marques en France. Si l’idée est d’inspiration autrichienne (DM&B), l’adaptation française réalisée par l’agence Leo Burnett est globalement très réussie. L’exercice n’était pourtant pas simple, dès lors qu’il était impératif qu’une réelle synergie se dégage de l’ensemble. Or inclure dans une campagne aux codes d’expression identiques une tablette de chocolat, un shampoing, un alcool, une lessive ou une pâtée pour chat, ne facilitait pas la tâche. Pourtant, le résultat est là. Et si l’on peut regretter qu’un couplage avec la télévision n’ait pu avoir lieu, pour maximiser l’impact, il reste qu’un grand pas a été franchi par rapport à la communication précédente. Et ce pas me paraît aller dans le bon sens. Quel rôle peut jouer un site internet, tel que celui créé à l’occasion de la campagne ? J.-M. L. : Les marques présentes dans la campagne sont toutes valorisées dans de bonnes conditions, car leur identité est respectée et leur promesse rappelée. Pour chacune d’elles, le nécessaire processus de capitalisation est favorisé. La marque au sens large l’est-elle pour autant ? Ce n’est pas évident. En d’autres termes, il n’est pas certain que le public touché ait pu spontanément faire le lien entre le message de ces marques et celui souhaité par la marque. La seule possibilité pour cette campagne d’arriver à son but est le relais que lui offre le site développé pour l’occasion. Le site www.les-marques-et-vous.com est sobre, évitant une approche trop commerciale qui aurait pu justifier dans son doute le visiteur en mal de conviction sur l’intérêt d’un discours de la marque. Sa structure est assez dynamique, sans être inaccessible au technophobe, ce qui le destine à un large public, qui est aussi celui des marques participantes. C’est un renfort indispensable pour une campagne de ce type, qui, compte tenu du support initial, ne dispose pas forcément du temps ou de l’espace nécessaire pour développer son argumentation. Le contenu du site est riche et le discours en faveur de la marque est didactique, sans tomber dans le piège d’un prosélytisme forcené, qui pourrait rapidement susciter un clic d’évasion. Il n’est toutefois pas certain, en raison de l’aspect des affiches et des caractéristiques d’exposition standard à l’affichage, que le renvoi vers le site ait pleinement joué son rôle de relais. Avec un médium extérieur comme l’affiche, l’adresse internet, même assez simple, nécessite une perception (pas toujours systématique) et une mémorisation (pas toujours aisée) suffisamment fortes pour nourrir la motivation à se rendre sur le site. Il n’est pas sûr que la campagne ait pu parfaitement jouer son rôle de catalyseur et de guide. La fréquentation relativement faible du site atteste cette faiblesse relative. Un ton non agressif vous paraît-il pertinent ? J.-M. L. : Le sondage TNS-Sofres de juin 2006, dont certains éléments sont proposés sur le site, est réconfortant pour les marques en général. Cependant, nul n’ignore, quel que soit le soin apporté à l’enquête, la relativité de ces résultats. Pas plus qu’on ne peut ignorer la forte concurrence commerciale au quotidien, ni l’intérêt du consommateur, souvent dubitatif sur le discours de la marque, pour les produits sans marque ou proposés par les grandes enseignes sous leur propre nom. Il est donc plus que nécessaire d’expliquer ce que marque veut dire, au-delà de ce qu’une marque souhaite dire. L’approche retenue par la campagne Ilec-Prodimarques me paraît la plus idoine pour répondre aux évolutions de notre environnement consumériste. Pas de message affirmé avec une conviction hégémonique, car la marque ne tarderait pas à être condamnée pour suffisance, voire pour un comportement « fasciste », comme l’a expliqué Benoît Heilbrunn (1). Au contraire, cette campagne propose l’ouverture à la réflexion par une simple question. Au consommateur de sentir le pouvoir de son choix, qu’humblement la marque, présente sur le visuel et dans l’accroche, se permet de lui rappeler. Une telle approche, à l’appui de marques clairement et individuellement présentes, semble judicieuse. Un discours en faveur de la marque en général ne me paraît plus possible, si l’on souhaite lui donner justification, crédit et puissance. Comment pourrait-on s’engager d’une seule voix au nom de dizaine de milliers de marques, toutes différentes ? Il s’en trouverait toujours une pour être mise en exergue pour ses tromperies et son non-respect des valeurs et des engagements promus initialement. Tous les efforts entrepris seraient à recommencer, avec l’obstacle supplémentaire d’un doute un peu plus légitimé. En participant à la campagne, les vingt-deux marques présentées ont cautionné implicitement le discours pédagogique essentiel diffusé par le site internet. Attaché à toutes les marques, un tel discours perdrait de son sens. Revendiqué par certaines marques identifiables, et plus nombreuses à chaque occasion de prise de parole, il est source de cohérence. Une opération de ce type doit-elle alors être renouvelée ? J.-M. L. : Trente-neuf mille panneaux pendant une douzaine de jours, même au mois de juillet, c’est un Blitzkrieg de grande ampleur, qui témoigne d’un réel effort de la part des vingt-deux marques impliquées. Mais pour que le message demeure, il faut aller plus loin. Il pourrait être intéressant de considérer le médium presse écrite, qui se prête plus facilement à l’argumentation, et orienterait plus spontanément le lecteur vers le site. Naturellement, on peut penser à rendre ce flux encore plus spontané au moyen d’une campagne de communication électronique. Un simple clic permettrait d’accéder au site. Ou imaginer une interaction sans fil avec certains panneaux d’affichage… Déjà, l’idée est pertinente et la campagne de bonne facture. Mais pour que d’un premier pas avantageux pour des marques, l’une et l’autre puissent faire un grand bond en avant au bénéfice de la marque, il est nécessaire de renouveler et d’amplifier l’opération, avec plus de marques engagées. (1) Le Monde du 24 avril 2004.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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