Bulletins de l'Ilec

Quand consommer fait peur - Numéro 392

01/08/2008

Par Alain Chauveau journaliste, expert en développement durable et en responsabilité sociale des entreprises

« Ah, tiens, tu bois du Light ? Tu ne sais qu’il y a de l’aspartame dedans et que c’est cancérigène ? » « Tu ne devrais pas téléphoner si longtemps avec ton portable, tu vas attraper un cancer de l’oreille ou du cerveau… » « Sais-tu que j’ai une amie électrosensible ! Si elle se trouve à proximité d’un portable, d’une antenne relais, d’une borne wi-fi, elle a des migraines, érythèmes, nausées, troubles de la concentration, vertiges, palpitations, fourmillements… c’est l’enfer ! » « Tu n’achètes pas bio ? Avec tous les pesticides qu’ils mettent sur les fruits et légumes ! » « Depuis que ma femme a vu les campagnes de Greenpeace sur les produits chimiques dans les produits de beauté, comme le parabens, le formaldéhyde ou les phtalates qui peuvent causer des cancers, elle achète tous les siens dans des boutiques bio… » « On vient d’avoir notre premier bébé ! Tu ne peux pas savoir comme on a galéré pour trouver des meubles pour sa chambre dans lesquels on soit sûr qu’il n’y ait pas de polluants type formaldéhyde, composés organiques volatiles ou autres PCB. Non, mais on n’allait quand même pas faire respirer toutes ces choses à notre petit Jules, hein ? » Ne me dites pas que vous n’avez jamais entendu au moins une fois une de ces phrases, dans votre entourage. Moi, je ne sais pas si c’est parce que je vis dans un milieu « développement durable », mais c’est tous les jours. Maintenant, c’est « Au secours, maman, j’ai peur ! ». Je croyais vivre une vie d’Occidental moyen, bien à l’abri. Plus jamais faim, plus jamais soif, plus jamais froid, plus jamais chaud… et presque plus jamais malade. Bientôt, l’homme bionique, l’homme augmenté avec des puces dans le corps et des organes de rechange grâce aux biotechnologies. Et puis patatras ! J’apprends que je vis dans un monde dangereux, entouré de substances agressives, voire cancérigènes. J’avais bien compris que l’air qu’on respirait dans les grandes villes n’était pas bon, mais maintenant on me dit que l’air que je respire dans mon modeste appartement parisien est bien pire encore ! Que faire ? J’arrête de respirer ? Et, est-ce qu’un jour je vais être obligé comme certains Suédois « électrosensibles » d’aller vivre dans les bois, hors des zones « connectées », avec des sortes de moustiquaires antiradiations dès que je veux aller en ville ? Et, quand on me dit que le WWF a fait passer des analyses sanguines à trente- neuf députés européens volontaires, en 2004, et y a trouvé, en moyenne, quarante et une substances chimiques par personne, je me dis que Reach ne devait pas être complètement inutile, et je fonce chez mon naturopathe ! Cherche guide désespérément Alors, je sais ce que vous allez me répondre : « Oui, mais nous vivons plus longtemps et en meilleure santé ». C’est vrai : l’espérance de vie ne cesse d’augmenter dans nos pays industrialisés. On dit qu’une petite fille qui naît aujourd’hui devrait vivre cent ans… Sauf que certains prophètes de malheur (ou lanceurs d’alerte ? ) disent que la courbe va bientôt s’inverser. D’aucuns vont même jusqu’à prédire la disparition de l’humanité : le sperme masculin serait de moins en moins fertile, à cause de tous les produits chimiques, et nous aurons de plus en plus de mal à nous reproduire… Alors, à qui pouvons-nous nous fier ? Les scientifiques ? Mais qui a développé tous ces produits ? Ne jouent-ils pas aux apprentis sorciers, méconnaissant le principe de précaution (1) ? L’Etat ? Souvenons-nous du nuage de Tchernobyl qui s’était arrêté « miraculeusement » aux frontières de la France. Les médias ? Mais les journalistes racontent n’importe quoi, c’est bien connu ! Les entreprises ? Attention au greenwashing. Qui d’autre ? Les ONG, qui tiennent d’ailleurs le haut du pavé des sondages de crédibilité auprès du grand public, loin devant toutes les autres institutions. Et pourtant, les ONG sont aussi des marchands de colère ! Nous vivons dans un monde anxiogène où le risque est généré par la société industrielle elle-même et individualisé. Ouvrir son réfrigérateur, téléphoner, se servir de son ordinateur portable, et même rester chez soi seraient des comportements à risque. Pour le moment, le consommateur est encore souvent, soit mal informé, soit incrédule, soit encore schizo-phrène. Mal informé, il n’a jamais entendu parler de ces problèmes. Incrédule, il en a entendu parler, mais il n’y croit pas. Schizophrène, il sait, mais il ne va pas s’arrêter de téléphoner, ne veut pas payer 30 % de plus pour de la nourriture bio, etc. Mais ne vous y trompez pas : la demande est là, entretenue par les médias, par l’édition et par Internet. Si elle ne se traduit pas encore dans le panier de la ménagère, c’est que l’offre n’existe pas en quantité suffisante : produits trop chers, distribués dans des circuits spécialisés... La motivation écologique, qui ne fait que s’accentuer, s’est pour le moment concentrée sur le « bon pour la planète » (eco-friendly products). Mais, la seconde vague, qui pourrait être plus puissante et s’ajouter à la première, est celle de l’axe santé-environnement. Car, si nous pouvons nous mobiliser pour la planète et les générations futures, qu’avons-nous de plus précieux que nos petites santés ? Mieux informer les consommateurs La question, pour les entreprises et leurs marques, n’est donc plus de savoir s’il faut y aller, mais comment. Il ne suffira pas, par exemple, de sortir un ou des produits plus verts ou moins toxiques, surtout si ces produits deviennent des « héros » dans un portefeuille de produits « vilains ». Il faudra, plus globalement, restaurer la confiance. Je constate avec étonnement – et sans avoir reçu d’explications véritablement satisfaisantes – que les entreprises ont mis en place des stratégies de développement durable et de RSE (responsabilité sociale des entreprises), qu’elles ont fait d’énormes efforts de transparence sous forme de rapports très complets… qui ne sont lus que par quelques stakeholders spécialisés, type analystes financiers ou extra-financiers, et grandes ONG. Et le consommateur ? Pour des entreprises qui n’arrêtent pas de se dire « tournées vers le consommateur », où le client serait roi, le paradoxe est que tout ce qui se passe de négatif d’un point de vue environnemental et social se retrouve dans les médias (il est connu que les journalistes ne s’intéressent qu’aux trains qui n’arrivent pas à l’heure) et que le positif reste souvent caché. Alors, le consommateur serait la partie prenante oubliée ? Messieurs les communicants, serait-il si difficile de sortir des discours publicitaires convenus (type campagne corporate sur le développement durable), d’ouvrir un véritable dialogue avec les consommateurs, par exemple avec les nouveaux outils du Web 2.0, en arrêtant le top down pour essayer le bottom up, en faisant confiance à l’intelligence collective ? Devant les peurs peut-être irraisonnées mais que le système industriel et commercial génère lui-même, le risque est que, de plus en plus de gens rejettent ce système et adoptent des idéologies alternatives du type de celle de la décroissance. Le phénomène n’en est certes encore qu’au niveau du signal faible, mais les marques auraient tort de ne pas le prendre en compte dès maintenant. (1) On assiste selon Ulrich Beck, sociologue allemand, auteur de la « Société du risque » (Aubier, 1986) à une disparition du monopole scientifique sur la connaissance : « La science devient de plus en plus nécessaire mais de moins en moins suffisante à l’élaboration d’une définition socialement établie de la vérité. »

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