Bulletins de l'Ilec

Une réforme ? La révolution... - Numéro 400

01/05/2009

Entretien avec Jean-Paul Charié, député du Loiret, rapporteur de la LME, président de la CEPC, parlementaire en mission sur la réforme de l’urbanisme commercial

Votre rapport « Avec le commerce, mieux vivre ensemble » est-il une énième recommandation sur la réforme de l’urbanisme commercial ou la première pierre d’une nouvelle ère dans le paysage commercial français ? Jean-Paul Charié : Pour la première fois, un rapport parlementaire ose mettre en avant le commerce comme source fondamentale du développement de la cité et de l’intérêt général. Pas de mieux-vivre ensemble sans commerce. Pour la première fois, un rapport parlementaire, issu d’une longue et large concertation saluée par tous, développe une vision globale et cohérente, intercommunale et interdisciplinaire des fonctions de la cité. Pour la première fois, un rapport parlementaire soutenu par le président de la République, le gouvernement et le parlement ne se limite pas à des propositions de réformes législatives, mais dégage dix-huit programmes nationaux d’actions locales. Il ne propose pas moins de vingt et une révolutions culturelles et réglementaires. Et vous me demandez si c’est un énième rapport sur la réforme de l’urbanisme… Tout prouve que non. Cet entretien devrait vous en convaincre si nous acceptons de regarder l’avenir en quittant nos préjugés cartésiens du passé. Quels sont les apports de ce texte par rapport à la loi LME ? J.-P. C. : Demain, il n’y aura plus de loi Royer, fini le temps où l’on faisait croire aux élus qu’ils pouvaient choisir l’implantation ou l’agrandissement d’un point de vente en fonction de sa future activité commerciale. La loi Royer n’a ni entravé le développement anarchique des grandes surfaces ni préservé l’intérêt général de l’économie de proximité en cœur de ville. Pis, elle a laissé faire l’uniformisation médiocre de l’architecture en France. Pis encore, en se concentrant sur la taille des points de vente, on a oublié le plus important : la qualité des pratiques commerciales. Demain le changement d’état d’esprit et de méthode peut se résumer ainsi : premièrement, il revient aux entrepreneurs de savoir s’il est bon pour eux (et donc pour les consommateurs) d’investir. C’est la loi du marché et de la vitalité de la concurrence. Deuxièmement, ils auront en revanche le devoir de respecter les règles de la libre concurrence. Les pratiques commerciales devront être conformes à l’éthique, à la loyauté, au bons sens économique gagnant-gagnant. C’est la fin du rapport dominant-dominé. C’est la fin de la loi toute-puissante de l’argent. Enfin le politique reprend la main sur l’intérêt général de l’urbanisme. C’est tout l’enjeu de mon rapport et de la loi qui va suivre. Vous souhaitez à la fois que l’on consomme moins d’espace rural et ramener le consommateur au centre… Qu’est-ce qui vous fait penser que le volet de l’urbanisme commercial contribuera à inverser vraiment la tendance de l’étalement urbain ? J.-P. C. : C’est la volonté politique clairement affichée et partagée par l’ensemble des acteurs. Même les plus grandes enseignes comprennent le besoin de revenir au cœur des villes. Nous avons le courage de dénoncer les aberrations de nos entrées de ville, les villes fantômes ou les villes clonées, les installations en plein champs sources d’embouteillages sur les autoroutes… Au nom d’intérêts particuliers de collectivités d’accueil et d’investisseurs, nous avons laissé démembrer notre territoire. Ni la cité ni les consommateurs à terme s’y retrouvent. Nous somme à ce terme. Et dans l’intérêt même des commerçants nous devons changer totalement de tendance. Refaire une entrée de ville, remembrer un cœur de ville, avec une vraie vision et cohérence collective, c’est augmenter de 20 % la rentabilité des points de vente. Nous arrêtons le chacun pour soi. Nous devenons des collègues, des partenaires, des opérateurs publics et privés liés par les mêmes intérêts de croissance et de bien-être. A part les voyous, qui peut être contre ? A Vaulx-en-Velin, le lycée a été construit au-dessus des commerces et au milieu des logements… Nous procéderons aussi par l’exemple : oui, il est possible d’agir autrement dans l’intérêt général, tout en soutenant la vitalité des investisseurs privés. Comment créer les conditions pour attirer les grandes enseignes en centre-ville ? J.-P. C. : Premièrement, les documents départementaux devront fixer des règles sur l’obligation de s’installer en cœur de ville, au lieu d’aller dans les champs, ou sur la solidarité d’activités commerciales avec les cœurs des villes moyennes. Cela coûtera peut être plus cher, mais ce sera plus rentable pour tous. Deuxièmement, les règles ne suffiront pas. Il faudra aussi remembrer, démolir et reconstruire des quartiers… Nous ne pouvons plus gérer un commerce en 2010 dans les bâtiments de 1950… Cette politique collective d’accompagnement pour un retour aux activités de cœur de ville, au-delà des évolutions des mentalités, passera par d’autres mesures, comme la création de services voituriers, les unions commerciales professionnelles, la création de centres de distribution urbaine…. Nos dix-huit programmes d’actions locales répondent à cette dynamique nouvelle. Troisièmement, de nombreuses grandes enseignes désirent venir en cœur de ville. Le problème est de leur permettre de le faire. Mais nous devrons aussi, et cela est complexe, maîtriser les spéculations et inflations pour que certaines enseignes ou certaines activités ne soient pas écartées des cœurs de ville. C’est là encore dans l’intérêt de tous. Les nouveaux centres commerciaux de cœur de ville en France et à l’étranger s’attachent à cet équilibre, réservent des emplacements à certains commerces moins rentables, répartissent les coûts et loyers en fonction de la rentabilité. Ce que les privés peuvent faire, les collectivités devront le faire. L’enseigne « locomotive » pour relancer les centres-villes sera-t-elle le « grand magasin » et le « magasin populaire », ou préconisez-vous des nouveaux formats ? J.-P. C. : Tout dépendra de la taille de la commune, de la nature des activités, de l’imagination des investisseurs et des politiques publiques. Pour les pôles de quartier de proximité, les nouveaux formats, comme certaines enseignes en proposent déjà, et si elles ne se retrouvent pas seules au milieu d’un environnement agressif. Pour les grandes métropoles mais aussi pour les villes moyennes, revenons aux grands magasins et aux magasins populaires. Le monde politique et les associations de consommateurs sauront accompagner ce retour en expliquant qu’acheter systématiquement moins cher n’est pas toujours le plus rentable ni le plus économique. Pour des secteurs comme le meuble, les garages, et les activités moins rentables au mètre carré, nous réfléchissons aux conditions concrètes de ce retour en cœur de ville. Comment reconfigurer les entrées de ville ? J.-P. C. : C’est l’objet d’un des dix-huit groupes de travail. Il va à la fois recenser les conditions de faisabilité, réunir les partenaires, identifier les synergies et les complémentarités sources de rentabilité. On le sait déjà, il faudra démolir et reconstruire, mutualiser et coordonner les espaces publics et communs comme les aires de stationnement. Nous associerons les autres fonctions de la cité : logements, services publics… Imaginez les mêmes entrées de ville avec des logements, des écoles, des salles de réunion au-dessus des commerces… Les collectivités n’auront pas à financer, au contraire elles devraient y retrouver un nouvel équilibre financier. Elles devront en revanche investir dans la maîtrise des contraintes foncières. J’ajoute : la loi permettra d’obliger les points de vente très minoritaires opposés à suivre la volonté collective. Comme c’est le cas dans les assemblées générale de copropriétaires. Vous remplacer les critères de mètres carrés par quatre niveaux de magasins. Sur quoi sont-ils fondés ? J.-P. C. : Mille mètres carrés de meuble, ou d’alimentaire, ou de garage, ou de fleurs ou de vêtements, ce n’est pas comparable. Mille mètres carrés dans une ville de 100 000 habitants ou dans une autre de 3 000… Mille mètres carrés avec de grands espaces pour le confort des consommateurs, ou la même surface avec trois fois plus de produits, de références…. Nous remplaçons cette référence aux mètres carrés par l’envergure des activités commerciales, niveaux de proximité qui répondent aux achats quotidiens, d’agglomération pour les achats hebdomadaire, départementaux pour les activités qui rayonnent sur plusieurs agglomérations, régionaux pour les points de vente rares qui créent des turbulences car leur chiffre d’affaires est dû à des familles qui viennent de loin. A partir d’une première liste, chaque département adaptera les limites : un magasin de ski à Lille sera sans doute de niveau 3, alors qu’il est de niveau 1 dans une station des sports d’hiver. Ne cherchons pas à délimiter de façon trop précise. L’enjeu n’est plus d’interdire, il est d’accompagner et d’organiser dans l’intérêt général, dont dépend l’intérêt des particuliers honnêtes et loyaux. Votre rapport recommande d’accélérer et alléger les procédures. S’agit-il seulement de la mise en œuvre des «programmes d’actions locales», ou d’une façon générale des ouvertures de commerces ? J.-P. C. : Nous sommes pour les procédures de recours. Elles permettront de vérifier la bonne application des règles collectives décidées. Mais nous serons très fermes contre les recours abusifs. Et, nous allons disposer d’une instance nationale spéciale pour les recours des rangs 3 et 4, afin d’aller le plus vite possible. Six mois (et non dix ou quinze ans) pour savoir si l’investisseur peut ou non construire est pour nous un maximum, au nom de la nécessaire vitalité du commerce. Les conseils généraux et régionaux sont-ils réputés a priori écartés du dispositif des Cdac aux mains des maires (commissions départementales d’aménagement commercial, qui succèdent aux Cdec depuis la LME) ? J.-P. C. : Demain il n’y aura plus de Cdec ou Cdac, seulement les permis de construire. Seuls les maires voteront les volets commerces des Plu, des Scot et les documents départementaux d’urbanisme commercial. Mais comment imaginer que, dans les commissions tripartites qui soumettront les orientations ou dans les votes, les politiques pertinentes des conseils régionaux et des conseils généraux soient écartées ? Les clivages politiques binaires tombent et doivent tomber. Oui, la force des échanges et du commerce louable comme la puissance de l’intérêt collectif et général, enfin clairement affiché et soutenu, rendront ridicules les positions de chapelle. Le bien commun n’appartient plus à une collectivité ou à une enseigne isolée des autres… Comment savoir si le document d’aménagement commercial (Dac) est conçu de la manière la plus objective ? Quelles articulations entre les Scot et les Dac ? J.-P. C. : Le Document d’aménagement commercial départemental sera conçu à partir d’un guide lui-même issu da la loi qui fixera des règles ou orientations à respecter. Les Scot et les Plu devront respecter les orientations des Dac. Les permis de construire devront être conformes. C’est le côté « opposable aux tiers » de ces documents départementaux. Une autorité nationale indépendante vérifiera, sur saisine, la légalité des autorisations ou des refus de certains permis. Le maire ne doit plus être soumis au chantage de celui qui finance le club de sports de la ville… Comment justifiez l’existence possible d’une position dominante ? J.-P. C. : Grace à des économies d’échelle, nous obtiendrions le maintien ou le développement du commerce de proximité dans certains quartiers ou dans certaines petites villes. La position « dominante » n’est pas condamnable : seule l’est l’exploitation abusive, aujourd’hui contrôlable, de cette position. C’est une des révolutions culturelles développées dans mon rapport. Votre rapport annonce-t-il la fin de l’économie de marché administrée par l’Etat dans le domaine du commerce ? J.-P. C. : Oui, et surtout celle de l’économie administrée par les puissances financières. L’argent ne peut ni tout acheter ni tout détruire ! Le comité national de déploiement ne risque-t-il pas d’empiéter sur des responsabilités du législateur ? J.-P. C. : Oui, si l’on croit que le législateur peut tout prévoir et tout écrire dans la loi. C’est un leurre, et c’est pourquoi tant de lois sont inappliquées et inapplicables. Non, car grâce au comité de déploiement et à la maîtrise, par le législateur, de la partie réglementaire, nous allons faire une loi-cadre suffisamment claire pour être applicable, suffisamment simple pour être adaptable aux nombreux cas de figure. Les sources de la corruption seront-elles taries ? J.-P. C. : Tout sera anticipé et envisagé pour cela. Tous les élus, de droite et de gauche, saluent cette volonté et les moyens proposés pour la concrétiser. Seuls ceux habitués à détourner la loi ou à s’asseoir dessus sont inquiets. Tant mieux, leur règne est effectivement révolu. Un groupe de travail va être créé, associant députés et sénateurs, pour élaborer une proposition de loi (onze articles et dix-huit programmes d’actions locales). Quel calendrier prévoyez-vous ? J.-P. C. : Nous voulons une mise en œuvre de la nouvelle loi et des programmes d’ici au début de 2010. Quels sont les points à éclaircir et les freins, les foyers de résistance à vos propositions ? J.-P. C. : Je suis impressionné par l’ampleur des soutiens unanimes de tous les responsables nationaux publics ou privés. Mais il existera toujours des positions binaires, des préjugés d’un autre monde, des principes d’une autre époque… Nous devons, ensemble, continuer de convaincre. Changer de mentalité, de pratiques, de regards et d’enjeux, même si chacun y gagnera, nécessite beaucoup d’énergie et d’engagement.

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