Bulletins de l'Ilec

Culture publique de l’expérimentation - Numéro 451

01/08/2015

Aux actions de réglementation et d’information, outils traditionnels de la puissance publique, s’adjoint depuis peu une démarche d’incitation douce, lancée au sein du SGMAP. Entretien avec Françoise Waintrop, cheffe de la mission « Méthodes d’écoute et innovation » au SGMAP (secrétariat général pour la modernisation de l’action publique)

La France est-elle en voie de se doter au niveau gouvernemental d’une unité « nudge » à l’instar de ce qui s’est fait au Royaume-Uni entre autres ? Si oui, comment s’organise-t-elle ?

Françoise Waintrop : La démarche nudge s’est développée au SGMAP, dont la mission, interministérielle, lui permet de travailler avec l’ensemble des administrations et opérateurs de l’Etat ainsi qu’avec certaines collectivités territoriales sur les problématiques de modernisation, d’innovation et d’amélioration de l’efficacité des politiques publiques. Notre objectif est de montrer la plus-value de cette approche, en faisant la démonstration des résultats obtenus. Depuis la première expérimentation en France du nudge dans les politiques publiques, auprès de la direction générale des Finances, pour promouvoir la déclaration en ligne, quels sont les projets dont le SGMAP est l’accompagnateur ? F. W. : Le SGMAP fait l’objet, depuis cette première expérience, d’un grand nombre de sollicitations, dans des problématiques diverses : sécurité routière, santé ou dépendance.

Nouvelle voie pour peser sur les comportements, le nudge permet-il d’éviter l’alternative répression-culpabilisation ?

F. W. : Le nudge, ou méthode douce pour inspirer le bon comportement, est fondé sur les enseignements de l’économie comportementale : une discipline de la pensée économique qui permet de comprendre quels sont les facteurs d’influence – émotions, normes sociales, résistance au changement, habitudes… – qui pèsent sur la décision des individus, la plupart du temps inconsciemment, et qui sont autant de biais qui expliquent des comportements à risque ou non optimaux. Le nudge n’est qu’une des applications possibles des enseignements de l’économie comportementale. Il permet aux pouvoirs publics d’inciter les individus à prendre la bonne décision : en formulant différemment des messages à destination du public ou en repensant l’environnement dans lequel s’opèrent ses choix (ordre dans lequel sont présentées les options alternatives, mise en avant des bénéfices…). Le parti pris du nudge est aussi de privilégier les gains plutôt que de raisonner en termes de perte ou de culpabilité. En cela, il se présente comme un outil complémentaire de ceux dont dispose la puissance publique : réglementation et fiscalité, qui peuvent former le volet répression (interdiction de fumer dans les lieux publics assortie d’une augmentation du prix du tabac…) et culpabilisation (mention « Fumer nuit gravement à la santé de votre entourage »…).

Quels sont les freins proprement français au développement des nudges dans les politiques publiques ?

F. W. : Pour l’instant, aucun frein : c’est une démarche en cours d’expérimentation. Au reste, nous enregistrons de nombreuses sollicitations. Les pratiques et les réflexes de l’administration française évoluent à mesure que se diffusent de nouvelles méthodes d’élaboration des politiques et des services publics. Il en va de même avec la culture de l’expérimentation et le droit à l’erreur, fondamentaux dans toute démarche nudge.

Comment diffuser davantage l’approche nudge à tous les échelons et dans le millefeuille territorial ?

F. W. : Dans un premier temps, le SGMAP a diffusé l’approche au niveau central. Mais forts de nos premiers résultats, nous pourrons développer des expériences avec des collectivités territoriales ou des administrations déconcentrées.

Quels sont les champs d’application des stratégies comportementales (santé publique, environnement…) où les nudges sont les plus développés, ou les plus efficaces ?

F. W. : Les travaux de recherche en France et les exemples étrangers permettent d’identifier les politiques publiques pour lesquelles le recours au nudge semble pertinent : les actions de recouvrement et d’aides sociales, la prévention santé (tabagisme, nutrition, observance de traitements médicaux…), l’environnement, la sécurité routière. Les premières expériences en France concernent des politiques publiques qui visent à limiter les comportements coûteux (recours aux services en ligne des administrations, économies d’énergie, lutte contre le gaspillage…) ou risqués pour les citoyens eux-mêmes (prévention en matière de santé et de sécurité) et que ni la législation, ni la fiscalité, ni l’information ne parviennent à modifier. Le fondement du nudge est de travailler dans le sens du bien commun. Définir ce qu’est le bon comportement ne doit laisser aucun doute quant au bien-fondé de cette approche. Elle doit s’inscrire dans les objectifs d’efficacité des politiques publiques et dans les valeurs du service public.

Propos recueillis par J. W.-A.

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