Bonnes pratiques

Danone, l’innovation sociale

27/09/2023

Ergonomie systématiquement revisitée pour prévenir les “TMS”, reconnaissance de la qualité de travailleur aidant, congé parental étendu… Ce n’est pas d’hier, chez Danone, que la responsabilité sociale commence en interne. Entretien avec Hortense Pelon, chef de projet diversité inclusive France, Danone.

En février dernier Danone a été récompensé parmi les lauréats des « Prix Essec des industries de consommation responsables », décernés à Bercy [1], pour un accord social « Diversité & Inclusion », signé avec quatre syndicats de salariés. Quels avaient été les facteurs déclenchant une réflexion sur cette problématique dans le groupe ?

Hortense Pelon : Cette réflexion est au cœur de la mission de Danone depuis le « double projet économique et social » conçu et exposé par Antoine Riboud en 1972 à Marseille lors du congrès du CNPF. L’ancien PDG de BSN (futur Danone en 1994) déclarait que « la responsabilité de l’entreprise ne s’arrêtait pas au seuil des usines et des bureaux et que notre action devait se faire sentir dans l’ensemble de la collectivité, et qu’elle avait un impact sur la qualité de vie de chaque employé et de chaque citoyen ». La diversité et l’inclusion sont depuis des notions incontournables de Danone .

Quelle définition donneriez-vous de ces deux concepts, qui ne sont pas juridiques ?

H. P. : Quand nous avons reçu le prix, notre directeur général France, François Eyraud, les a ainsi définis : « La diversité est un fait, l’inclusion, c’est notre choix. Danone est très fier d’avoir mis en place cet accord, ambitieux pour la France afin de promouvoir l’égalité des chances, l’employabilité avec un focus particulier sur le handicap et l’inclusion dans l’égalité professionnelle. » La diversité, c’est l’ensemble des caractéristiques, des expériences, des distinctions qui constituent l’individualité d’une personne et donc d’un groupe. L’inclusion consiste à s’interroger sur les manières de faire vivre cette diversité en bonne intelligence. Nous souhaitons créér un environnement de travail où tous nos salariés, nos « danoneurs » se sentent respectés, accompagnés et valorisés.

Sensibiliser au “post-partum”

Quels sont les apports majeurs de cet accord, signé le 1er décembre 2021 ?

H. P. : En premier lieu le statut pionnier, RQTA : « Reconnaissance de la qualité de travailleur aidant ». Deuxième apport, le programme Dan’ergo : nos ergonomes ont cartographié les postes de travail en usines et en bases logistiques pour adapter les postes et limiter le développement de troubles musculo squelettiques. Troisième apport, la gouvernance exigeante pour contrôler la mise en place de l’accord. Nous avons instauré des rituels pour analyser ce qui a été déployé, célébrer les avancées, mais aussi identifier les défis qu’il nous reste à relever. Le quatrième apport majeur porte sur la parentalité : nous avons souhaité allonger le congé maternité et le congé paternité. À côté de cela, notre marque Gallia a consacré au post-partum la campagne « Comment ça va toi ? », pour sensibiliser l’entourage des parents. Une étude conduite avec Ipsos montre que « 78% des mamans sont épuisées physiquement et émotionnellement pendant cette période post partum ». Danone se veut pionnier sur le sujet, en sensibilisant les parents, leur entourage, mais aussi les professionnels de santé et les entreprises. Nos équipes en interne entendent accompagner. Nous déployons des initiatives en interne pour accompagner les mères et pères qui vivent ce grand chamboulement émotionnel , avec notre partenaire Bliss : l’année prochaine, mise à disposition de podcasts de préparation à la grossesse et au post partum, service de rendez-vous gratuit anonyme en visio-conférence avec psychologue ou sage-femme… Nous avons aussi envie de créer avec l’État un parcours médical obligatoire qui accompagnerait les jeunes parents après la naissance – comme existe l’accompagnement légal et obligatoire à l’accouchement. Les futures mères sont bien préparées à l’accouchement et la grossesse, mais pas à « l’après ».

Télétravail facilité pour les aidants

Nous avons d’ailleurs été auditionnés par la député Sandrine Josso pour lui présenter les initiatives de Danone et du Laboratoire Gallia sur le post-partum. Nous saluons sa proposition de donner la possibilité aux parents d​‌’avoir accès à un accompagnement psychologique remboursé durant cette période particulière, au même titre que pour les fausses couches. Nous souhaitons aller plus loin.

En quoi le statut RQTA est-il pionnier ? Qu’ajoute-t-il aux dispositions légales en vigueur ? Combien de salariés sont concernés par ce statut chez Danone France ?

H. P. : Il est pionnier, car il n’y avait pas de reconnaissance formelle de la qualité de « travailleur aidant ». Légalement, il existe un congé qui permet au salarié de suspendre un contrat de travail pour accompagner un proche en situation de handicap. Ce congé est non rémunéré. Nous avons voulu que nos salariés aient connaissance des mesures à leur disposition. Et nous avons voulu aller plus loin avec des mesures leur permettant de transformer tout ou partie du treizième mois en jours de congé supplémentaires. Nous avons aussi assoupli le télétravail pour les aider à télétravailler à partir de l’adresse de la personne aidée. Aujourd’hui, en France, une centaine de salariés bénéficient de ce statut.

Fine et exhaustive cartographie des postes

Combien de postes de travail votre programme Dan’ergo concerne-t-il ?

H. P. : Il a pour objectif d’évaluer les situations de travail problématiques comme celles qui vont bien. C’est l’ensemble des postes en usines, en bases logistiques ou de tout poste qui engage une activité articulaire soutenue qui ont été audités selon une analyse très fine de chacun : la même technologie est utilisée par les médecins pour observer l’activité du corps des athlètes de haut niveau lorsqu’ils sont en mouvement.

Cette méthode est déployée depuis fin 2021 et permet d’intervenir en prévention des TMS. Nos ergonomes jouent aussi un rôle clé dans les processus de reclassement : ils sont capables de suggérer un poste de travail adapté à la situation d’un employé, grâce à une cartographie détaillée qui permet de savoir si une situation personnelle est compatible avec une activité spécifique. En moyenne, il a fallu deux à trois semaines à une équipe de trois ergonomes pour analyser l’ensemble des postes par usine ou base logistique. Cette cartographie très fine  permet des décisions éclairées pour réduire les TMS et améliorer le bien-être au travail.

La diversité et l’inclusion appellent-elles des réaménagements des espaces de travail ?

H. P. : Oui, pour le bien-être des salariés. Par exemple, dans le cadre d’un recrutement, nos équipes RH veillent à ce qu’un travailleur, identifié en situation de handicap, bénéficie d’un accueil personnalisé, avec un poste de travail adapté. Notre politique parentalité vise à aider les jeunes parents en leur permettant une plus grande flexibilité au travail ou en télétravail. De manière générale, nos équipes RH cherchent à trouver un support personnalisé. Ces mesures sont formalisées dans notre accord « Diversité et Inclusion » pour nos salariés en situation de RQTH [2], pour les aidants, pour les parents et pour l’ensemble des situations de vie qui nécessiteraient une flexibilité additionnelle.

Action interne et expertise extérieure

Comment se décline l’accord sur vos vingt-sept sites de production ? Les cultures et compétences locales peuvent-elles constituer un accélérateur ?

H. P. : Nous avons des relais, des ambassadeurs de la diversité et de l’inclusion, qui ont pour mission de diffuser les messages clés : une feuille de route nationale est partagée avec ce réseau d’ambassadeurs qui l’adaptent selon la nature des sites. Nous proposons  un séminaire d’intégration, “Dan’discovery”, aux nouveaux arrivants. Un module est proposé autour des biais inconscients et des comportements inclusifs. Nous avons une formation à destination des managers, « Sésame », qui les sensibilise à toutes les problématiques de discrimination au recrutement. Nous nous sommes adaptés aux compétences et cultures locales, car selon les sites l’usage des outils informatique peut varier, conduisant à recourir parfois à de la communication papier.

Concernant le handicap, l’accord prévoit « une démarche de diagnostic action avec l’Agefiph »[3] en vue de feuilles de route déclinées dans chaque établissement du groupe. S’agit-il d’un tournant de la pratique de Danone, d’une volonté de déconcentration de la décision ? Combien de salariés sont concernés par les mesures d’accompagnement handicap dans l’ensemble du groupe ?

H. P. : Oui le diagnostic a débuté début 2021et il est en cours de relance. Un conseiller Agefiph se consacre à Danone et nous apporte du recul sur nos pratiques. Notre volonté est d’affiner nos feuilles de route afin qu’elles répondent au mieux aux défis pour nos employés en usines, en bases logistique ou sur nos sites tertiaires. Les problématiques, les besoins ne sont pas les mêmes. Nous en avons conscience et nous sommes à la recherche de tout regard éclairé qui peut nous aider à faire vivre notre politique de diversité et d’inclusion.

Un suivi incluant les non-signataires de l’accord

La mise en œuvre de l’ accord fait-elle l’objet d’une gouvernance particulière, et si oui comment s’articule-t-elle avec les prérogatives du CSE ?

H. P. : Il y a de fait une structuration de la gouvernance autour de la diversité inclusive pour garantir la mise en œuvre de l’accord : une responsable diversité-inclusion a été nommée, le réseau d’ambassadeurs diffuse l’accord sur les vingt-sept sites. Chaque fin d’année se tient une réunion CSE par établissement, qui permet un bilan local. Pour nos sociétés multi-établissements, cette réunion locale est doublée d’une commission CSE centrale, afin de consolider le bilan de nos entités multisites. Et une commission nationale réunit trois représentants par organisation syndicale signataire de l’accord (en s’assurant de la mixité de la délégation), deux représentants par organisation non signataire, trois représentants de la direction dont le responsable de la diversité inclusive France, pour faire le bilan national de l’année entière.

Une instance visant spécialement les discriminations et le harcèlement est-elle prévue dans la gouvernance ou le sujet relève-t-il de la DRH ?

H. P. : S’il n’y a pas d’instance prévue dans l’accord, le groupe a des dispositions pour lutter contre les discriminations et le harcèlement sexiste. Un droit d’alerte du CSE existe. Nous sensibilisons régulièrement nos équipes. Chaque salarié peut signaler un problème de manière confidentielle. Chaque signalement donne lieu à une enquête interne.

Le suivi de la mise en œuvre repose-t-il sur des indicateurs chiffrés ?

H. P. : Nous suivons avec une attention particulière l’index égalité homme-femme, le pourcentage de femmes à des niveaux de haut management et de celles à des niveaux d’entrée. Le groupe va au-delà des obligations légales concernant la représentation des femmes et des hommes dans les postes de direction et de prise de décision. Autre indicateur : l’index d’écart de salaire. En ce qui concerne l’inclusion de personnes en situation de RQTH, nous suivons la proportion de de RQTH au niveau local et national. Enfin, nous pilotons en continu le taux d’apprentissage des jeunes, en nous assurant que nous recrutons dans des formations diverses.

E-learning obligatoire

Rencontrez-vous des obstacles dans la mise en œuvre de l’accord ? Se heurte-t-elle à des résistances imputables à des phénomènes de communautarisme religieux ?

H. P. : Nous essayons toujours de trouver des communications adaptées aux spécificités de nos vingt-sept sites français. Cela demande une planification de temps forts « diversité et inclusion » adaptés aux spécificité locale notamment aux salariés en 3x8. Nous n’avons encore pas détecté d’obstacles liés aux phénomènes religieux mais restons vigilants à ce sujet.

Comment le groupe tient-il compte des principes de l’accord diversité et inclusion dans le recrutement et le développement des compétences ?

H. P. : Pour le recrutement, nous avons une formation de trois jours pour les managers et les équipes RH qui inclut un module « diversité et inclusion ». Il éclaire les pratiques discriminatoires à l’embauche, les questions à poser, celles qui sont interdites. Pour le plan du développement des compétences, nous avons rendu obligatoire en 2023 un module d’e-learning qui rappelle les bases de la diversité et de l’inclusion. Nous avons lancé ce 12 septembre une première conférence dans le cadre des « Rendez-vous d’Eve », une formation interne qui vise à former au leadership féminin.

Qu’en attendez-vous en termes de solidarité et d’engagement des salariés ?

H. P. : Nous proposons un don de congés aux salariés aidants. Nous avons un partenariat avec la plateforme Vendredi, qui mobilise les salariés autour des enjeux sociaux et environnementaux. Danone offre la possibilité à chaque salarié de consacrer trois jours de son temps de travail à des causes qui lui sont chères.

Nous avons pour objectif d’allier projet personnel et mission de l’entreprise. Les jeunes que nous rencontrons lors des entretiens de recrutement, non seulement demandent quelle est la raison d’être de l’entreprise, mais en quoi, dans leur métier, ils participent à cette raison d’être Nous souhaitons que nos ambitions de diversité et inclusion rayonnent en interne, afin qu’elles parlent d’elles même en externe et donnent envie à des talents de nous rejoindre.

Enquête interne de satisfaction chaque année

Comment mesurez-vous la satisfaction des salariés et l’évolution du climat interne ? Sont-ils conduits à enrichir l’accord par de nouvelles propositions ?

H. P. : Depuis 2017, nous conduisons une étude, “DPS” [3] qui évalue la satisfaction et mesure l’engagement de nos équipes. Un des points porte sur la diversité et l’inclusion, nous cherchons à savoir si nos salariés se sentent respectés, accompagnés, s’il ont conscience des mesures prises, si, dans leur environnement de travail, leur management met en place une feuille de route adaptée, s’ils peuvent communiquer sans tabou, si les actions portant sur la diversité et l’inclusion sont effectives. Cela nous permet de nous comparer aux autres groupes.

Affichez-vous le « label diversité », créée en 2008 par l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) ?

H. P. : Nous affichons le label B Corp, qui intègre la diversité et l’inclusion. Cette certification, l’une des plus complètes et exigeantes (pratiques concernant les parties prenantes, les salariés, les clients et communautés, la gouvernance, l’empreinte environnementale), rassemble plus de  six mille entreprises dans le monde.

L’élaboration de l’accord a-t-elle révélé des aspects managériaux jusqu’alors considérés comme allant de soi qu’il a fallu corriger ?

H. P. : Oui, nous avons mis en place une formation sur les biais inconscients, les préjugés en faveur ou à l’encontre d’une personne, les discriminations qui bloquent la diversité et l’inclusion aussi bien au niveau du recrutement que de la promotion. Un module d’une heure permet de sensibiliser nos managers sur leurs propres biais inconscients afin qu’ils soient conscients de ce mécanisme et donc plus inclusifs au quotidien dans leur management.

Quand publierez-vous un premier bilan de l’accord ?

H. P. : Début 2024.

Avez-vous prévu d’en partager l’expérience avec d’autres entreprises ?

H. P. : Nous le faisons déjà lors de grandes célébrations de la diversité, par exempleles Assises de la parité à Bercy le 19 juin dernier. Nous avons des partages d’expériences avec d’autres entreprises que nous questionnons sur leur démarche et souhaitons partager nos pratiques avec des écoles(Danone participera à la journée HandiI-Day à l’Edhec le 30 novembre prochain) et avec les institutions.

1. Cf. https://www.ilec.asso.fr/actualites/actualite/19829.         
2. Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé.
3. “Danone people survey”, https://www.danone.com/fr/impact/people-communities.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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